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Cession de droits au sein d’un pacte d’associés : validité d’une cession générale. Par Jérôme Tassi et Salomé Garlandat, Avocats.
Parution : jeudi 3 novembre 2022
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Dans les sociétés innovantes ou créatives, il est fréquent que le pacte d’associés (ou d’actionnaires) contienne une cession au profit de la société de tous les droits futurs générés par l’associé dans le cadre de son activité au sein de la société. La conformité de ces clauses par rapport aux règles du droit de la propriété intellectuelle fait régulièrement débat. Dans son arrêt du 18 octobre 2022, la Cour d’appel de Montpellier reconnait la validité d’une cession générale contenue dans un pacte d’associés.

Dans les sociétés innovantes ou créatives, il est fréquent que le pacte d’associés (ou d’actionnaires) contienne une cession au profit de la société de tous les droits futurs générés par l’associé dans le cadre de son activité au sein de la société.

Confrontées aux règles de la propriété intellectuelle, ce type de clause pourrait entrer en conflit avec deux principes spécifiques au droit d’auteur :
- L’article L131-1 du CPI déclare nulle la cession globale des œuvres futures ;
- L’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle précise que « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

L’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier porte sur la validité de ce type de clauses dans les pactes d’associés. Les faits peuvent être résumés ainsi :
- La société X a pour objet la conception de logiciels de modélisation pour les architectes et les professionnels du bâtiment ;
- En janvier 2015, M. Z, associé, est nommé Directeur général. Son contrat de travail antérieur est suspendu ;
- Il adhère au pacte d’actionnaires aux termes duquel il était prévu que « les droits patrimoniaux afférents à toutes les créations, logiciels, développements informatiques et aux inventions brevetables réalisées par l’une des parties, dans l’exercice de ses fonctions et missions sont dévolus à la société » ;
- M. Z est révoqué de ses fonctions suite au redressement judiciaire de la société ;
- Suite à la transformation en liquidation judiciaire, M. Z revendique la propriété intellectuelle d’un code informatique développé entre 2015 et 2018.

La cour d’appel devait donc trancher la question de la validité de la clause de cession générale prévue dans le pacte d’actionnaires.

Premièrement, la cour d’appel considère que les exigences concernant la cession prévues par l’article L131-3 ne s’appliquent

« qu’aux contrats prévus par l’alinéa 1 de l’article L131-2 du code précité, à savoir les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle, et que tous les autres contrats de cession de droits d’auteur ne sont soumis par le second alinéa de cet article qu’à la seule obligation d’un contrat écrit ».

Autrement dit, peu importe que le pacte ne précise pas les modalités de la cession puisque la cession en cause porte sur un logiciel.

Deuxièmement, la cour considère que la société X avait valablement acquis les droits de propriété intellectuelle de M. Z sur les logiciels au terme du pacte d’associés car

« les dispositions de l’article L131-1 du code précité ne prohibent nullement le transfert de droits de propriété intellectuelle en vertu d’un pacte d’actionnaires hors dans les cas des contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle ».

La clause générale de cession des droits de propriété intellectuelle dans un pacte d’associés est donc considérée comme valable par la Cour d’appel de Montpellier, sauf pour les contrats visés à l’article L131-2, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle. La Cour d’appel de Paris avait également récemment jugée que les droits de propriété intellectuelle (sur des modèles de robes) avaient été valablement cédés aux termes d’un pacte d’associés rédigé ainsi :

« Chacun des membres du Groupe Majoritaire déclare avoir transféré à la Société la pleine propriété de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle lui appartenant, pour autant que ceux-ci soient nécessaires ou utiles aux activités de la Société. Chacun des membres du Groupe Majoritaire s’interdit à l’avenir de déposer ou de protéger de quelque façon que ce soit, à son nom, directement, indirectement ou par personne interposée, tous droits intellectuels (brevets, marques…) nécessaires ou utiles à l’activité de la Société. Il s’engage à déposer et protéger lesdits droits exclusivement au nom de la Société afin que cette dernière puisse en jouir et en disposer librement comme propriétaire » [1].

Cette décision est de nature à rassurer les sociétés sur leur titularité des créations réalisées par leurs associés si le pacte d’associés prévoit une cession des droits.

Cependant, sur le plan de la propriété intellectuelle, la motivation de l’arrêt est contestable puisqu’elle limite le formalisme de l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle aux seuls contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle. Cette solution résulte d’un arrêt de la Cour de cassation ayant considéré que le formalisme de l’article L131-3 du CPI ne s’appliquait qu’aux contrats énumérés à l’article L131-2, alinéa 1er, à savoir les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle, et non aux autres contrats [2]. Malgré certaines critiques doctrinales, cette position a été confirmée en jurisprudence [3].

Cependant, depuis la loi du 7 juillet 2016, le nouvel article L131-2 du CPI impose un écrit pour tous les contrats de transmission des droits d’auteur de sorte que cette solution aurait du être remise en cause [4]. Plusieurs décisions ont déjà appliqué le formalisme de l’article L131-3 à l’ensemble des contrats d’auteurs [5].

L’approche souple retenue par la Cour d’appel de Montpellier en présence d’un pacte d’associés pourrait donc être remise en cause et il reste plus prudent d’éviter les clauses trop générales de cession dans les pactes, à tout le moins lorsque des droits d’auteur sont concernés.

Salomé Garlandat Avocate www.agilit.law

[1CA Paris, 26 février 2021, RG 19/15130.

[2Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n° 05-19.294 : JurisData n° 2006-036062.

[3TGI Paris, 19 sept. 2007, n° 06/01258, inédit. - CA Paris, ch. 4, sect. A, 4 mars 2009, n° 07/12226 : JurisData n° 2009-004928. - CA Paris, 17 oct. 2012, n° 10/20895. - CA Paris, 30 mai 2014 : JurisData 2014-012535. - en sens contraire toutefois Cass. soc., 7 janv. 2015, n° 13-20.224.

[4En ce sens, C. Caron, Comm. com. électr. 2017, comm. 31 : « désormais, il semble bien que le formalisme de l’article L131-3, qui implique de préciser les contours de la cession, s’applique bien à tous les contrats, tant à ceux de l’alinéa 1er qu’à ceux de l’alinéa 2 de l’article L131-2 ».

[5CA Versailles, 22 fev. 2019, n°17/04881 : « Considérant que c’est vainement que la société intimée entend voir limiter les exigences susdites aux contrats énumérés par l’article L131-2 du même code alors que l’article précité ne distingue pas et que l’exigence d’un écrit concernant la cession des droits d’auteur a été généralisée à tous les contrats ».