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Au secours ! La terrasse du bar en dessous de chez moi fait trop de bruit ! Par Christophe Sanson, Avocat.
Parution : mercredi 2 novembre 2022
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Les terrasses des bars, cafés ou restaurants constituent une source de nuisances sonores importante, surtout dans les grandes villes.
Pour soutenir l’activité des commerçants face à la pandémie de Covid-19, les collectivités ont cependant mis en place des dispositifs d’extension ou de création de ces terrasses. Malgré leur encadrement réglementaire, ces dispositifs ont parfois engendré des nuisances sonores excessives, rendant la vie des riverains particulièrement difficile.
La saison estivale touchant à sa fin, voici l’occasion de rappeler les règles de droit et la jurisprudence applicables à la matière ainsi que les procédures pouvant être mises en œuvre, avec ou sans l’assistance d’un avocat spécialisé.

Par quels moyens juridiques tenter d’obtenir la cessation des nuisances sonores générées par les terrasses ?

La réponse du droit pénal

Aux termes de l’article R. 1336-5 du Code de la santé publique, « aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité. »

Cet article ne vise que les consommateurs des terrasses bruyantes.

Le commerçant, quant à lui, peut être poursuivi sur le fondement de l’article R. 1336-6 du Code de la santé publique, lequel prévoit que « lorsque le bruit […] a pour origine une activité professionnelle […], l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l’article R. 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article » (soit 5 dB(A) le jour (de 7 h 00 à 22 h 00) et 3 dB(A) la nuit (de 22 h 00 à 7 h 00)).

Toutefois, la jurisprudence a précisé que l’exploitant d’un restaurant ne pouvait être poursuivi sur le fondement de l’article R. 1337-7 du Code de la santé publique, du fait des nuisances résultant des rires et éclats de voix, voire de musique, en provenance de son établissement. Pour la Cour de cassation en effet, ces nuisances constituent des bruits de comportement, relevant de l’article R. 1336-5 du Code de la santé publique précité et non des bruits d’activités professionnelles (Cass., crim., 8 mars 2016, n° 15-83.503).

Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt estimant qu’un restaurant n’ayant pas vocation à créer des nuisances sonores, son exploitation ne rentrerait pas dans le champ de la réglementation relative aux bruits des activités professionnelles siégeant à l’article R. 1337-6 du Code de la santé publique (Cass., crim., 14 janv. 2020, n° 19-82.085).

Seuls les bruits d’un restaurant autres que ceux générés par la clientèle (comme ceux provenant de l’extracteur de la cuisine, par exemple) relèvent au plan pénal du bruit professionnel. Cette solution facilite le constat de l’infraction puisqu’aucun mesurage acoustique d’émergence n’est nécessaire et que le seul constat à l’oreille de l’agent verbalisateur suffit.

Par ailleurs, il est possible de condamner pénalement les bruits excessifs émanant d’une terrasse sur la base réglementaire du tapage nocturne, lorsque les conditions de l’article R. 623-2 du Code pénal sont remplies.

Les personnes responsables des nuisances sonores encourent une contravention pouvant aller jusqu’à 450 euros.

S’il n’existe par ailleurs pas d’interdiction de principe de sonoriser une terrasse, la tolérance prévue par le Code de l’environnement, pour les lieux de diffusion de sons amplifiés, d’une émergence maximum chez les voisins, de jour comme de nuit, de 3 dB(A), rend la chose impossible en pratique.

En matière pénale, la seule responsabilité des consommateurs bruyants s’avère au final peu efficace pour mettre un terme aux nuisances générées par les terrasses.

La réponse du droit administratif

Il est toujours possible de remettre en question les autorisations administratives dont bénéficient les commerçants pour l’exploitation de leurs terrasses.
Une Autorisation d’Occupation Temporaire du domaine public (AOT), sous la forme d’un permis de stationnement doit être demandée auprès du maire afin d’installer une terrasse ouverte (article L. 2213-6 du Code général des collectivités territoriales). L’installation d’une terrasse sans autorisation ou sans respect de ses termes peut entraîner une amende de 1 500 euros (article R* 116-2 du Code pénal).
A Paris, le dispositif d’extension temporaire des terrasses a rencontré un tel succès auprès des commerçants que la Ville a décidé de le pérenniser en réformant le règlement des étalages et terrasses (RET) par arrêté applicable au 1er juillet 2021.

Sont concernés par ce dispositif : les restaurants, débits de boissons, glaciers et salons de thés. Par extension, peuvent également faire l’objet d’une autorisation, les hôtels, certains commerces culturels (par exemple, les librairies) ou encore les fleuristes.

L’autorisation couvre une période dite « estivale » allant du 1er avril au 31 octobre, avec une fermeture obligatoire des terrasses à 22 h 00 pour respecter la tranquillité des riverains. Les commerces n’ayant pas reçu d’autorisation au 1er avril de l’année en cours, ne peuvent mettre en place une telle installation.

Les terrasses estivales doivent être implantées sur des emplacements précis. Elles se limitent aux :
-  places de stationnement faisant face au commerce et ce, uniquement sur une installation munie d’un plancher et de protections latérales. Elles peuvent toutefois s’étendre aux stationnements situés de part et d’autre. Par exception, elles ne peuvent être installées sur les stationnements spécifiques réservés (places de livraison, de personnes handicapées, de taxis, de deux-roues, ou encore de transports de fonds) ;
-  trottoirs en se limitant au long des immeubles et jusqu’aux immeubles mitoyens uniquement. Il est possible d’étendre l’installation devant les murs aveugles ou les commerces ayant donné leur autorisation ;
-  les terre-pleins ;
-  les placettes et les rues temporairement piétonnisées.

L’autorisation délivrée par les services de la ville peut ainsi être contestée si l’une de ces obligations n’est pas respectée. Il pourrait s’agir du dépassement des horaires de fermeture de la terrasse par exemple.

C’est par ailleurs au maire, à Paris comme dans toutes les autres villes de France, qu’incombe l’obligation d’assurer la tranquillité publique en réprimant « les atteintes à la tranquillité publique telles que […] les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité́ publique » comme le prévoit l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales.

Le maire doit ainsi prendre les mesures appropriées pour prévenir les bruits excessifs dans sa commune. La jurisprudence a clairement établi la responsabilité d’une commune lorsque son maire n’avait pas pris les mesures permettant de lutter contre les nuisances de nature à troubler le repos et la tranquillité́ des habitants (CE, 25 sept. 1987, Cne de Lège-Cap-Ferret, n° 68501 ; CAA Nancy, 7 juin 2007, Cne de Montauville, n° 06NC00055 ; CAA Nantes, 25 avr. 2014, M. et Mme A. D., n° 12NT00387).

Ainsi, les riverains qui seraient victimes de nuisances sonores générées par des terrasses peuvent saisir le maire afin de lui demander de prendre toutes les dispositions nécessaires permettant de lutter contre ce bruit, dans le cadre de ses pouvoirs de police. Il faut toutefois souligner qu’en droit, le maire ne peut jamais prononcer une interdiction définitive de l’exploitation d’une terrasse, les mesures de police ne pouvant être ni générales, ni absolues (CAA Marseille 9 janvier 2018, Cne de Beaucaire, req. n° 17MA02562).

La réponse du droit civil

Les différentes solutions présentées précédemment n’excluent pas, après l’échec de la conciliation, une procédure devant les tribunaux civils, lorsque l’existence du bruit excède les inconvénients dits normaux du voisinage. Selon un principe général du droit en effet : « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Cass., 2ème civ., 19 novembre 1986, n° 84-16.379).

Dans cette hypothèse, les tribunaux civils apprécient l’anormalité de ces bruits en fonction des conditions fixées par la jurisprudence, indépendamment des textes applicables. Le trouble doit toutefois remplir les conditions suivantes :
-  s’inscrire dans une relation de voisinage ;
-  causer un préjudice pour la personne s’en disant victime, notamment un préjudice de jouissance, de santé, moral ou financier ;
-  présenter un caractère anormal, c’est-à-dire être supérieur aux inconvénients normaux que toute personne doit pouvoir supporter dans le cadre d’une relation de voisinage.

Il doit par ailleurs exister un lien de causalité entre le trouble anormal de voisinage et le préjudice.

Il revient aux riverains des terrasses en cause, victimes de nuisances sonores, d’apporter la preuve du préjudice subi. Cette preuve doit confirmer la réalité, l’intensité et la persistance des troubles subis.

Le rapport d’un expert judiciaire en acoustique obtenu en référé reste aujourd’hui le meilleur moyen d’apporter la preuve de la gêne subie.

Quand le trouble anormal de voisinage est prouvé, le juge civil doit le faire cesser, y compris au moyen de travaux réalisés sous astreinte et indemniser les préjudices qui en résultent.

Déçus par les réponses du droit pénal et du droit administratif, les propriétaires riverains se tourneront utilement vers la réponse du droit civil qui apporte, le plus souvent, une solution pérenne en matière de terrasses trop bruyantes.

Christophe Sanson, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine