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Top 10 des mythes et fausses-certitudes en droit du travail. Par Ugo Giganti, Avocat.
Parution : jeudi 3 novembre 2022
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L’expérience montre que la plupart des salariés et employeurs tiennent pour certitudes certaines règles qui s’avèrent pourtant complètement fausses.

Ce guide non-exhaustif recense les principales fausses-certitudes.

1- « Les cadres n’ont pas d’horaires et n’ont pas le droit aux heures supplémentaires ».

En principe les cadres suivent la même durée du travail que tous les autres salariés, à savoir 35 heures de travail par semaine.

Toutes les heures effectuées au-delà de 35 heures génèrent des heures supplémentaires devant faire l’objet d’une compensation, soit en salaire soit en repos.

Ce n’est que par exception que leur contrat de travail peut prévoir une modalités de décompte du temps de travail différente du droit commun, par exemple un forfait annuel en jours.

Il ne s’agit que d’une exception qui ne se présume pas.

Seule la conclusion et l’exécution conforme d’un forfait annuel en jours empêchera un salarié de demander le paiement d’heures supplémentaires.

2- « On ne peut pas licencier un salarié en arrêt de travail ».

Un salarié en arrêt de travail d’origine non professionnel peut être licencié au même que n’importe quel autre salarié, sous réserve de l’existence d’une éventuelle clause de garantie prévue dans certaines conventions collectives.

N’importe quel motif pourra être invoqué au soutien du licenciement.

En revanche, un salarié en arrêt de travail d’origine professionnelle à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne peut être licencié que pour :
- une faute grave ;
- une absence prolongée ou répétée perturbant le fonctionnement de l’entreprise et nécessitant de procéder au remplacement définitif du salarié.

Ces deux motifs de licenciement sont particulièrement difficiles à caractériser. Si l’employeur décide néanmoins de procéder au licenciement sur l’un de ces motifs le licenciement risque d’être frappé de nullité pour discrimination sur l’état de santé.

3- « J’ai cassé du matériel, je dois le rembourser à mon employeur ».

Un employeur ne peut pas demander à son salarié de rembourser les dégradations ou la perte du matériel lui ayant été fourni.

Pire encore, un employeur qui prendrait l’initiative de retenir sur le salaire de son salarié le prix du matériel endommagé ou détruit s’expose à une amende de 3 750 euros [1].

Cela étant dit un employeur garde deux possibilités :
- Porter plainte pour dégradation de biens et demander devant la juridiction pénale le remboursement ;
- Licencier pour faute lourde et engager la responsabilité du salarié devant le conseil de prud’hommes afin d’obtenir le paiement de dommages et intérêts.

4- « Mieux vaut embaucher en CDD qu’en CDI, c’est plus flexible et moins risqué ».

Certains employeurs pensent que la conclusion d’un CDD est moins couteuse et plus pratique qu’un CDI pour évaluer les capacités d’un salarié.

C’est un très mauvais calcul :

- La période d’essai est fortement réduite et ne peut pas être renouvelée ;
- Une fois la période d’essai l’employeur sera engagé jusqu’au terme du CDD et ne pourra se séparer unilatéralement de son salarié que pour faute grave ;
- Le salarié peut bénéficier d’une prime de précarité ;
- L’employeur peut se voir appliquer un malus de contributions à l’assurance chômage ;
- L’employeur s’expose à une action en requalification du CDD en CDI avec des chances de succès souvent assez élevées pour les salariés en l’absence de motif de recours solide ;
- L’entreprise aura plus de difficultés à embaucher en période de tension sur le marché de l’emploi et n’attirera donc pas les meilleurs profils.

Afin de tester les capacités d’un salarié mieux vaut donc souvent embaucher le salarié en CDI avec une période d’essai renouvelable.

5- « J’ai été déclaré inapte à mon poste, je ne vais plus pouvoir retrouver d’emploi ».

Une déclaration d’inaptitude peut être prononcée par un médecin du travail.

Le médecin du travail va alors identifier que le salarié est inapte à un poste « A » au sein de l’entreprise « X » où il travaille.

Cette « inaptitude » acte l’incompatibilité entre l’état de santé du salarié et son poste de travail au sein de son entreprise et ouvre la voie à un licenciement pour inaptitude.

Cela ne signifie pas que le salarié ne pourra plus retrouver d’emploi puisqu’il serait « inapte ».

Un salarié déclaré inapte à un poste « A » au sein d’une entreprise « Y » pourra parfaitement être embauché le lendemain de son licenciement pour inaptitude à ce même poste « A » … au sein d’une entreprise « Y ».

6- « Un enregistrement d’une conversation n’est pas une preuve ».

Les juridictions pénales ont toujours admis la production de preuves obtenues de manière déloyale par des salariés ou employeurs souhaitant démontrer l’existence d’une infraction.

Un harcèlement moral ou sexuel peut donc être démontré devant un tribunal correctionnel sur la base d’enregistrements obtenus sans le consentement des tiers.

Pendant longtemps les conseils de prud’hommes ont résisté à cette jurisprudence et systématiquement écarté les preuves obtenues de manière « déloyale ».

Plusieurs arrêts récents ont toutefois admis qu’il peut être « légitime » de produire :
- Des extraits de vidéosurveillance n’ayant pas fait l’objet d’une consultation des représentants du personnel [2] ;
- Une conversation enregistrée à l’insu de son interlocuteur [3].

La jurisprudence n’est pas encore tout à fait stabilisée mais il est désormais globalement admis qu’un enregistrement puisse être produit devant une juridiction, sauf à ce qu’il constitue une atteinte disproportionnée aux droits et libertés fondamentales.

7- « Je dois signer mon solde de tout compte pour qu’il me soit payé ».

Le solde de tout compte est un document remis par l’employeur au terme du contrat de travail d’un salarié et faisant l’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail, peu important le motif de rupture dudit contrat.

Les employeurs exigent couramment que ce document soit signé par les salariés afin d’obtenir le paiement des sommes y étant mentionnées.

Or, une fois signé, le solde de tout compte ne pourra plus être dénoncé que dans un délai de 6 mois : passé ce délai un salarié ne pourra plus contester le montant des sommes mentionnées [4].

Un salarié doit percevoir les sommes visées dans le solde de tout compte, même s’il ne signe pas celui-ci. Mieux vaut donc, pour un salarié, ne jamais signer un solde de tout compte.

8- « Je ne peux plus attaquer mon employeur aux prud’hommes puisque j’ai signé une rupture conventionnelle ».

Une rupture conventionnelle empêche un salarié de contester la rupture de son contrat de travail : l’employeur est donc protégé du contentieux prud’homal sur ce point.

Pour l’essentiel il ne sera possible de contester cette rupture conventionnelle qu’en démontrant l’existence d’une fraude ou d’un vice du consentement.

En pratique cette démonstration est quasiment impossible.

Cela étant dit rien n’empêche un salarié de saisir le conseil de prud’hommes de demandes en lien avec l’exécution de son contrat de travail en présentant par exemple des demandes de paiement d’heures supplémentaires, de rappels de primes ou encore de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

9- « Ma période d’essai est rompue, je n’ai pas le droit au chômage ».

Un salarié travaillant alors qu’il se trouve en période d’essai cotise à l’assurance chômage.

Celui-ci ne peut donc pas être exclu par principe du bénéfice de l’assurance chômage en cas de rupture de la période d’essai à l’initiative de l’employeur.

Ainsi dès lors qu’un salarié aura été en période d’essai pendant plus de 6 mois consécutif (ce qui est courant pour un cadre) il pourra bénéficier de l’assurance chômage pour une durée d’au moins 6 mois.

En outre le régime d’assurance chômage a mis en place une exception en faveur des salariés ayant démissionné de leur précédent emploi (emploi A) et dont la période d’essai aurait été rompu dans leur nouvel emploi (emploi B). L’allocation sera versée si :
- Le salarié a travaillé au moins 3 ans dans l’emploi A ;
- Le salarié a travaillé moins de 65 jours dans l’emploi B ;
- Le salarié ne pas été inscrit à Pôle Emploi entre l’emploi A et l’emploi B.

10- « Un auto-entrepreneur coûte moins cher qu’un salarié, arrête d’embaucher ! »

Certains employeurs pensent qu’un auto-entrepreneur serait moins couteux qu’un salarié dans la mesure où ils n’ont pas à payer de charges sociales et que leur activité serait plus flexible.

Ce raisonnement peut s’avérer désastreux pour l’employeur :
- Un salarié payé au niveau du smic ne génère quasiment pas de charges patronales pour l’employeur : un smic versé à un salarié ne coûtera à l’employeur que 1 750 euros au total dont seulement 80 euros de charges patronales.

Or, un auto-entrepreneur est généralement payé nettement au-dessus du smic, y compris lorsqu’il accomplit des fonctions sans qualifications particulières.

- L’employeur s’expose à une action en requalification du statut d’auto-entrepreneur en salariés, surtout lorsque ces auto-entrepreneurs exécute des tâches identiques à celles d’autres salariés. Les sanctions pouvant être prononcées sont extrêmement lourdes :
- Paiement d’une indemnité forfaitaire de 6 mois de salaires pour travail dissimulé au salarié concerné [5] ;
- 3 ans d’emprisonnement outre 45 000 euros d’amendes pour le dirigeant et 225 000 euros d’amendes pour la personne morale [6] ;
- Redressement de charges sociales sur l’année en cours et les 3 années précédentes.

Mieux vaut donc être très vigilant avant de recruter des auto-entrepreneurs en lieux et place de salariés.

Ugo Giganti - Avocat au barreau de Paris

[1Art. L1334-1 du Code du travail.

[2Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 17-19.523 Cass. soc., 10 nov. 2021, n° 20-12.263.

[3Cour d’appel de Bourges, 26 mars 2021, n° 19/01169.

[4Art. L1234-20 du Code du travail.

[5Art. L8223-1 du Code du travail.

[6Art. L8224-1 du Code du travail.