Village de la Justice www.village-justice.com

Les frontières maritimes, une complexité avérée dans la région de la Corne de l’Afrique. Par Kadra Ahmed, Chercheure.
Parution : jeudi 10 novembre 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/doctorante,44153.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

C’est la convention de Montego Bay de 1982 qui délimite les frontières en mer de chaque Etat et les différentes zones d’espaces maritimes. La juridictionnalisation de la mer par les Etats côtiers n’est donc plus un mystère depuis la convention sur le droit de la mer. Néanmoins c’est là où il y a le plus de mésentente entre les Etas frontaliers. Surtout quand ces Etats partagent une mer fermée, semi-fermée ou encore un détroit ou un golfe [1].

La mer représente une hostilité pour l’Homme « …l’Homme n’est pas de la mer » disait-on. Pour dompter cet espace marin il faut comprendre ces espaces marins (a) puis distinguer les facteurs qui contribuent à une territorialisation de la mer (b) pour enfin appréhender les enjeux autours (c).

a. Comprendre les espaces marins !

L’espace aérien est sous jacent à la terre mais pas la mer. La mer est adjacente à la terre et elle possède aussi un espace aérien. La mer est à la suite de la terre. Ce sont les eaux intérieures qui sont les plus proches de la surface de la terre. Les eaux intérieures sont définit comme l’espace d’eau qui est en deçà de la ligne de base [2].

Cependant la souveraineté d’un Etat s’étend au-delà de son territoire terrestre, de son espace aérien, de ces eaux archipélagique (si l’Etat en a) et de ses eaux intérieures. Elle s’élargit à une mer adjacente appelée mer territoriale. La mer territoriale est définie dans les articles 3-16 de la convention de Montego Bay. Elle doit mesurer 12 miles de largeur au plus qui se fait calculées à partir de la ligne de base [3]. La ligne de base est donc un repère que les cartes marines utilisent pour situer le début de la mer territoriale. Elle se situe sur la ligne séparant la laisse de basse de mer (là où il existe une laisse de boue de mer) et la mer profonde (qui se distingue par sa profondeur). Elle est parfois marquée et dite ligne de base droite quant elle est profondément découpée le long de la côte.

La limite extérieure de la mer territoriale est déterminée par l’article 4 de la convention du droit de la mer

« La limite extérieure de la mer territoriale est constituée par la ligne dont chaque point est à une distance égale à la largeur de la mer territoriale du point le plus proche de la ligne de base ».

b. Comment les espaces marins se territorialisent ?

Le partage de la mer est tout autre s’il existe une histoire particulière ou un accord particulier entre les Etats voisins. C’est le cas par exemple des Etats où leurs côtes sont adjacentes ou se font faces. Dans ce genre de cas les Etats doivent parcourir la même distance à la ligne médiane. Cette distance commence à courir à partir des points les plus proches de la ligne de base des pays riverains. Ils peuvent aussi d’un commun accord s’entendre sur autre chose. L’importance est de maintenir un respect vis-à-vis de ces accords et qu’ils ne créent pas de conflit. C’est le cas aussi pour le Détroit qui par son étroitesse peut gêner la limite citée par la convention de droit de la mer. Ainsi entre deux Etats ou plusieurs Etats riverains où leurs côtes sont parallèles au Détroit, la largeur de la mer territoriale se limiterait donc à la dyade [4]. La dyade qui d’après Michel Foucher est une frontière commune à deux Etats peut ici être interprétée comme la limite de l’espace d’eaux territoriales de chacun de ces pays.

Ils existent donc plusieurs espaces maritimes et chaque espace maritime à ses propres spécificités. C’est le droit de la mer avec ses règles plus universelles encourage et estime que c’est plus approprié de travailler régionalement pour la délimitation des frontières maritimes. Chaque région présente une spécificité qui nécessite un encadrement spécial

Une spécificité de la région revendique une spécificité pour son encadrement. Tant pour une réglementation plus efficace permettant de répondre aux besoins spéciaux de cette région tant pour être plus proche de la volonté de ces Etats pour l’adaptation de leurs situation à une tendance régionale.

Dans la région de la Corne de l’Afrique l’Erythrée, Djibouti et la Somalie (qui sont d’ailleurs les Etats côtiers de la région, l’Ethiopie étant un Etat enclavé) ont des côtes adjacentes. Ils sont tous les trois traversés avec le Yémen par la Mer Rouge qui s’ouvre sur le Détroit de Bab el Mandeb puis le Golfe d’Aden afin de rejoindre le géantissime Océan Indien. Cet assemblage des eaux fait la richesse de la mer de cette région.

Mais la complexité des frontières maritimes du fait du Détroit qui est un Détroit très emprunté et une route maritime internationale très fréquentée reliant l’Orient à l’Occident et passant par l’Océan Indien, le continent asiatique à l’Afrique puis l’Orient pour rejoindre l’Occident.

Délimiter la frontière maritime internationale surtout quand ce Détroit sert de navigation internationale peut être à tout moment rediscuté.

c. L’enjeu autour des frontières maritimes.

Georges Labrecque, dans sa réflexion les frontières maritimes actuelles très inégalement réparties, donne une définition de comment peut être vue la délimitation d’une frontière maritime internationale [5]. Il en ressort que c’est un consensus entre deux Etats qui veulent éviter le chevauchement des territoires maritimes et qui d’un commun accord décident de limiter chacun l’espace où il entend exercer sa souveraineté et cela jusqu’aux limites du droit international.

L’Histoire de l’Homme nous ramène toujours à l’encadrement de ses actes, la culture de l’Homme est donc un élément constitutif de sa nature. Cette région de l’Afrique de l’Est était toujours au contact du grand monde comme le démontre son histoire maritime. Elle faisait face au sursaut des évènements en mer comme ailleurs.

Son importance est bien sûr tout autre de nos jours avec la mer qui est vue différemment.

Le géographe britannique Sir Halford John Mackender dans sa vision de la mer « qui domine la mer domine le monde.. » s’est montré visionnaire parce que celle-ci trouve toute sa pertinence de nos temps. La mer est un espace riche et plein d’avenir par non seulement sa route mais aussi par ses richesses en perpétuelle découverte.

Or pour cette petite région de l’Afrique de l’est, tous les pays n’en possèdent pas. Le grand Etat historique, le seul Etat a rassembler des monuments, des traces, des civilisations ou tout le reste du monde peuvent s’identifier ‘l’Ethiopie’, s’est retrouvé enclavé en 1993 lorsque l’Erythrée s’est érigé en Etat indépendant.

Dans la Corne de l’Afrique, les frontières terrestres ont été déjà négociées par les occupants de la période coloniale. Pour les frontières maritimes, l’accès à la mer est une nécessité de nos jours. Cela s’interprète dans l’antagonisme qui peut exister entre les deux Etats voisins et ennemis à savoir l’Erythrée et l’Ethiopie. Les affrontements de 1998 et 2000 menés par les deux Etats sur la ville frontalière de Badme. D’un côté l’Ethiopie qui mène une offensive dirigée vers Assab et de l’autre l’Erythrée conscient que son indépendance est devenue un handicap pour l’Ethiopie illustre les relations palpitantes et froides qu’ils entretiennent avec leurs voisins mais qui est aussi contingentes dans la région [6].

Les frontières entre ces deux Etats ont été fixées il y a bien longtemps par les colons.

C’est le traité du 2 mai de 1889 entre l’Italie et l’Ethiopie qui permettait la constitution d’un protectorat italien en Ethiopie [7]. Ce n’était donc pas tout l’Ethiopie qui était concerné mais une partie de celle-ci. L’actuel Erythrée était donc une colonie italienne. C’est dans les années 1900 que l’Italie établit plusieurs conventions pour délimiter la frontière de l’actuelle Erythrée.

L’Ethiopie était un grand empire dans le passé avant l’arrivée des occidentaux. De ce fait elle régnait en maitre dans un espace très vaste de la Corne de l’Afrique. Ce qui échappait dans la région à son impérialisme venait d’une manière ou d’une autre sous sa gratitude pour faire des trocs, de provisions ou s’installaient en Ethiopie terre fertile et plein de miséricorde qui attirait une population nomade de la région.

De ce fait l’Ethiopie occupe et jusque aujourd’hui des territoires somaliens. C’est la région de l’Ogaden qui a fait couler beaucoup de sang pour rejoindre la Somalie mais en vain ils ont quand même obtenu une autonomie récemment leurs garantissant la gestion de leurs propres ressources et de leurs identités.

Délimiter des frontières serait comme le dit Monique Chemillier-Gendreau spécialiste de droit international public, fixer la ligne de partage de souveraineté ou de compression de souveraineté car c’est une histoire des plus forts qui poussent au maximum leurs possessions territoriales sur leurs voisins pour déterminer leurs lignes de frontière.

C’est donc un jeu de rapport de force avant tout mêlé à l’histoire de cette région. La politique des administrateurs coloniaux qui servait à diviser pour mieux régner et se partager les pays coloniaux a tracé certes les frontières principales de ces pays.

Certaines sont discutées [8] à l’heure d’aujourd’hui, d’autres refaites ou encore laissées comme elles étaient tracées en période coloniale.

Il n’y a pas de facteurs pouvant déterminer la logique dans le tracé d’une frontière.

Elle peut regrouper des gens de même ethnies ou pas, de même religion ou pas, de même langage ou pas, de la même culture ou pas. C’est donc « un espace fortement délimité et politiquement homogène au sein duquel sont intégrés des individus qui le plus souvent ne se connaissent pas mais ont des intérêts communs, tel est pour l’histoire sociale, la définition première de la nation » [9]. Ce qui est important c’est la relation entre l’intangibilité des frontières et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

L’ethnie n’est autre qu’un produit des colons qui ne tient sur aucun critère de définition. Les frontières ethniques regroupent donc un ensemble d’individu partageant la même culture et voulant persister dans l’unité. Leurs existences dépendent donc de la persistance de cette identité culturelle qui les réunit et la continuité surtout de celle-ci dans les temps face à l’évolution de l’individu [10].

C’est un critère très irritable à maintenir s’il n’est pas forgé par d’autres intérêts plus lucides et concrets.

C’est le cas de la grande Somalie créée en 1960 par l’ethnie somalie. Ils avaient décidés de ne pas suivre les frontières laissées par leurs colons et ont décidé de former une frontière ethnique. Les critères d’identifications fondés sur l’ethnie somalienne étaient le langage, la culture, la religion et la morphologie (même si il existe des différences parfois marquées surtout dans la capitale Mogadiscio mais en majorité les somaliens ont les mêmes traits physiques). Mais cette identification a failli dans le temps, les individus évoluant aspiraient à autres choses ou ont formés d’autres sous ethnies créant donc une division dans l’unité.

La grande Somalie tombe dans les années 90 et laisse place à un éclatement de sous ethnies voulant leurs reconnaissance jusqu’au aujourd’hui (la Somaliland, Putland, Galmudug…etc.).

C’est donc un exemple concret de la limite du facteur ethnie comme facteur pouvant expliquer la création d’une frontière d’un Etat. Peu importe l’ethnie, le langage, la culture les individus peuvent être réunis comme Patrick Weil [11] le dit sous la même nationalité. La nationalité est donc une frontière. Cet Etat est devenu un Etat fédéral de nos jours plus ou moins reconnu dans toute la Somalie.

Mais depuis 2010, la Somalie se porte de mieux en mieux et peut donc constater et résoudre ses problèmes par le biais de son gouvernement fédéral. Elle dépose en 2014 une requête devant la Cour International de Justice sur laquelle elle obtient gain de cause en novembre 2021. Contestant l’établissement de la frontière maritime unique séparant la Somalie et le Kenya dans l’Océan Indien et délimitant la mer territoriale, la ZEE et le plateau continental ainsi que la partie qui s’étend au-delà de la limite de 200 miles marins.

La Somalie et le Kenya partagent une frontière océanique. La zone économique exclusive est un espace d’origine océanique. La limite du tracé de la frontière maritime de chacun des Etats est la limite fixée par le droit de la mer. Celle-ci est ratifiée en 1982 par la Somalie et c’est avec la loi n°5 du 26 Janvier de 1989 qui valide la loi maritime de l’Etat.

Cette loi stipule que les eaux territoriales s’étendent jusqu’à 12 miles des côtes, que la ZEE s’étend jusqu’à 200 miles et que le plateau continental comprend la prolongation naturelle du territoire de la Somalie jusqu’au rebord externe de la marge continentale.

C’est le plus grand différend sur les frontières maritimes de la région qui mène jusqu’à aujourd’hui à un combat judiciaire.

Quant à Djibouti elle est une frontière à elle seule, bordée par la mer Rouge à la croisée des espaces africains et arabe. Elle est frontalière avec l’Erythrée au Nord, à l’Est par l’Ethiopie et au Sud par la Somalie. A l’Ouest elle est traversée par la mer.

Djibouti petit pays de la région occupe une place de centrale dans la région. Tout comme sa position géographique elle est aussi carrefour des échanges dans la région.

Elle a eu un incident frontalier avec l’Erythrée en 2008 dans la région de Douméra.

Délimiter les frontières dans cette région connue pour ces nombreuses guerres internes, c’est comme tracer des lignes pour mieux les retenir. L’importance de cette région aux yeux des puissances coloniales et nouvelles puissances économiques telles que la Chine pourrait à tout moment recréer de grandes divergences concernant les frontières maritimes.

Le corridor maritime que représente la région est un atout principal que chaque Etat voudrait mettre à profit.

Kadra Ahmed Chercheure en Droit des affaires maritimes https://www.linkedin.com/in/kadra-ahmed-ibrahim-23179866/

[1C’est le cas des pays de la Corne de l’Afrique traversés par le détroit de Bab el mandeb et les golfes d’Eden.

[2Art8 de la Convention de Montego Bay.

[3Art 3 de la Convention de Montego Bay.

[4La dyade ici signifie la ligne médiane qui sera considéré comme le borne de chacun des deux Etats opposés.

[5Labrecque Georges 1998, pa 19.

[6L’Erythrée est soupçonné d’armer les rebelles extrémistes en Somalie dangereux pour l’Ethiopie. L’Ethiopie soutient Djibouti quand l’Erythrée et Djibouti ont eu une altercation…etc.

[7A consulter « La mémoire du gouvernement italien sur la situation en Ethiopie… » à la pa 5.

[8Les frontières tracées par les colons.

[9Noiriel (Gérard), 1998, p. 310.

[10Barth (Fredrik), 1969, in Streiff-Féinart (Jocelyne) et Poutignat (Philippe), 1999, p.248.

[11Weil (Patrick), Qu’est-ce qu’un français ? Histoire de la nationalité française depuis la révolution, Grasset, Paris, 2002, p.11.