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Crédit-bail : Excalibur ou les infortunes de la bonne foi. Par Jean-Louis Monnot, Expert-Comptable.
Parution : mardi 29 novembre 2022
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Il était une fois une SCI dénommée Excalibur qui avait pour unique objet la location nue d’un immeuble industriel dont elle disposait par un contrat de crédit-bail.
Comme la Justine du Marquis de Sade et les infortunes de sa vertu, l’affaire Excalibur nous raconte les infortunes de la bonne foi.

Cette SCI Excalibur payait régulièrement sa T.V.A. sur les loyers encaissés et avait même bénéficié d’une décision de remboursement de crédit de T.V.A. de 13 052 euros au titre du mois de septembre 2009.

En mars 2018, après la déconfiture de son locataire, la SCI Excalibur demande le remboursement d’un nouveau crédit de T.V.A. d’un montant de 40 914 euros, dont elle s’estime titulaire.

Ce remboursement lui est, cette fois refusé au motif que la SCI Excalibur n’a pas fait l’option pour l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévu à l’article 260 du Code Général des Impôts (C.G.I). Et le Tribunal Administratif de Paris considère que le remboursement de TVA obtenu en septembre 2009 ne constitue pas une prise de position formelle de l’Administration sur l’appréciation d’une situation de fait au regard du texte fiscal, et rejette la requête de la SCI Excalibur.

Comme la Justine du Marquis de Sade et les infortunes de sa vertu, l’affaire Excalibur nous raconte les infortunes de la bonne foi.

Quelle est la définition de « bonne foi » ?

Selon Serge Braudo, Conseiller honoraire de la Cour d’Appel de Versailles, la bonne foi est la croyance qu’a une personne de se trouver dans une situation conforme au droit, et la conscience d’agir sans léser les droits d’autrui. Il ajoute que c’est une notion utilisée dans notre législation pour atténuer les rigueurs de l’application de règles positives.

La première question posée est donc de savoir si la SCI Excalibur a agi de bonne foi en assujettissant ses loyers à la T.V.A.?

Aux termes de l’article 261 D du C.G.I., les locations de locaux nus sont, sauf option, exonérés de T.V.A.

N’étant pas propriétaire du bien, mais seulement titulaire d’un contrat de crédit-bail, la SCI Excalibur a pensé légitimement que ses recettes n’étaient pas des revenus de location mais des revenus de sous-location.

Sur le plan de l’imposition de ses résultats, la SCI Excalibur ne pouvait pas bénéficier du régime d’imposition des revenus fonciers puisqu’elle n’était pas propriétaire, et comme l’Administration considère que les revenus de sous-location sont, non pas des revenus fonciers mais des bénéfices non commerciaux, la SCI Excalibur avait pris la décision d’opter pour l’Impôt sur les Sociétés.

Compte tenu de cette différence de régime la SCI Excalibur a donc soumis, de plein droit, ses revenus à la T.V.A., en pensant qu’elle n’avait pas droit à l’exonération et qu’elle ne lèserait pas les intérêts du fisc.

Son raisonnement fut totalement validé à l’occasion de la demande de remboursement de T.V.A. de septembre 2009. Cette demande fit l’objet d’un contrôle tatillon où il fallut produire factures de loyers versés et bail de sous-location.

La croyance d’Excalibur de se trouver dans une situation conforme au droit et la conscience d’agir sans léser les droits d’autrui était validée par le remboursement de crédit de T.V.A.

Fort de ses droits et se croyant invincible, comme l’épée du Roi Arthur, Excalibur, dont la SCI avait pris le nom, la Société demanda un second remboursement de T.V.A. qui fut rejeté.

L’Administration puis le Tribunal Administratif de Paris (N°1816976/2-3), dans sa séance du 12 novembre 2020 jugea :
1 - que la sous-location était une location au sens du 2° de l’article 261 D du C.G.I.,
2 - que la SCI Excalibur aurait dû exercer l’option prévue à l’article 260 du C.G.I.,
3 - qu’un remboursement de T.V.A. ne constituait pas une prise de position formelle de l’Administration sur l’appréciation d’une situation de fait au regard du texte fiscal.

La requête de la SCI Excalibur fut donc rejetée malgré la preuve évidente de sa bonne foi.

La fable de cette histoire est double :

- Il apparaît tout d’abord que l’Administration n’est pas tenue par les actes qu’elle a accompli précédemment.

Imagine-t-on qu’un employeur, après 10 ans de paiements réguliers d’un salaire, puisse revendiquer le remboursement de celui-ci pour défaut d’une option formelle en début de contrat ?

- Il apparaît enfin que la bonne foi d’un contribuable n’est pas très opérante devant une juridiction administrative.

Une juridiction judiciaire, empreinte de l’esprit édicté par l’article 1104 du Code Civil (les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi) aurait sans doute essayé de chercher l’équité. Mais une juridiction administrative n’a pas cet objectif.

Cette décision a été reproduite, anonymisée, et diffusée sous l’entière responsabilité du cabinet d’avocat auteur de cet article.

Décision du Tribunal Administratif de Paris N°1816976/2-3 (2020) ci après :

Jean Louis Monnot Expert-comptable Monnot et Associés [->accueil@monnotassocies.fr]