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Appropriation artistique d’une Joconde playmobil : création originale ou contrefaçon ? Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : lundi 7 novembre 2022
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Courant né de la culture pop dans les années 1960, l’appropriationnisme consiste en la reproduction d’œuvres ou de contenus préexistants, souvent iconiques, dans un but artistique. Les appropriationnistes ajoutent en cela une légère transformation révélatrice de leur vision et de leur empreinte, scellant l’acte créateur. Elaine Sturtevant était pionnière en la matière, obtenant la reconnaissance de ses œuvres appropriant celles d’autres artistes tels qu’Andy Warhol.

Toutefois, par son essence même, l’appropriation soulève des questions d’ordre juridique. Assurément, l’absence de coopération entre l’artiste de l’œuvre préexistante et l’artiste qui se l’approprie interroge la portée de la liberté de création au détriment de la protection des droits de l’artiste approprié.

Dans une récente affaire, un peintre Pierre-Adrien Sollier, appartenant au courant geek art, courant artistique ludique et inspiré par la pop culture, revisitait depuis 2011 des classiques de la peinture sous les traits de Playmobil, ayant notamment réinterprété la Joconde.

En 2018, l’artiste Sollier découvrait que son œuvre, la Joconde Playmobil, avait été reprise dans un panneau reproduisant neuf Joconde revisitées sous la forme de personnages d’animation et de comics dans une portée humoristique. Le peintre a donc assigné l’auteur de cette appropriation, artiste appartenant au courant de l’art cinétique et de l’art figuratif pop art, la société ainsi que la galerie d’art qui exploitaient et commercialisaient les œuvres litigieuses.

À l’occasion de cet arrêt du 30 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris a rappelé le principe selon lequel toute reproduction ou représentation d’une œuvre originale (I) sans l’autorisation de son auteur constitue un acte de contrefaçon dont le préjudice est indemnisable (II).

I. L’appropriation d’une œuvre originale : la ligne rouge de la contrefaçon.

Par un raisonnement classique en droit d’auteur, la cour rappelle la notion d’originalité (A) comme condition sine qua non à la contrefaçon, dont aucune exception ou liberté créatrice ne saurait y faire échec en l’espèce (B).

A. Le rappel académique de l’originalité comme condition à la contrefaçon.

En application des articles L111-1, L112-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Ce droit est conféré à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Aussi, ne sont protégées au titre de la propriété intellectuelle que les œuvres mises en forme et originale.

A titre illustratif, la Cour de cassation, dans l’arrêt Paradis de 2008, a ainsi validé la protection par le droit d’auteur d’une œuvre d’art conceptuel consistant en l’apposition de l’inscription en lettres dorées du mot « Paradis » sur une porte dans un hôpital psychiatrique, ainsi que la condamnation pour contrefaçon du photographe ayant utilisé cette œuvre comme cadre de l’une de ses photographies sans autorisation de l’auteur.

Par ailleurs, classiquement, le défendeur appropriationniste dans une affaire de contrefaçon, arguera de deux types d’arguments pour échapper à une éventuelle condamnation, soit il se déclara auteur de l’œuvre première, soit il contestera l’originalité de celle-ci.

Dans cette affaire, l’artiste appropriationniste et les sociétés intimées ne revendiquaient pas la paternité de la Joconde revisitée mais déploraient son absence d’originalité opposant notamment que le tableau de la Joconde Playmobil avait été créé postérieurement à la publication d’une œuvre similaire, c’est-à-dire, une photographie représentant la Joconde en Playmobil publiée dans l’ouvrage Playmobil Le tour du monde paru en octobre 2010.

De cette manière, pour les défendeurs, l’œuvre n’était pas nouvelle.

La Cour d’appel de Paris rappelait alors que :

« l’originalité comme condition de la protection au titre du droit d’auteur, s’oppose à la notion de nouveauté et la notion d’antériorité est donc inopérante en droit d’auteur ».

Assurément, le caractère nouveau est pertinent pour la propriété industrielle pour des besoins de distinctivité en droit des marques notamment. A contrario, droit éminemment romantique, la propriété littéraire et artistique se fonde davantage sur les partis-pris esthétiques comme marque de personnalité de l’auteur de l’œuvre.

En l’espèce, l’originalité découlerait :

« d’une réinterprétation humoristique, espiègle et nostalgique de la figure mythique de La Joconde en y associant un traitement décalé, par la rencontre poétique avec le personnage enfantin du Playmobil, revisité pour l’occasion afin de le transposer et le confronter aux codes du début du XVIe siècle, ce voyage inopiné dans l’imaginaire conférant au tableau un caractère éminemment personnel, ainsi que des caractéristiques qu’il expose et détaille dans ses écritures tels les proportions du personnage peint, la position de la tête, des bras et des mains, la forme de la coiffure, la stylisation du corsage et des vêtements, la représentation de la jupe, de couleurs, des jeux de lumière et du fond paysager stylisé ».

B. Un courant artistique aléatoire : l’appréciation de l’exception de parodie.

L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit la liberté d’expression et notamment, l’expression créative.

Au demeurant, son exercice ne peut mener à contrevenir au droit d’auteur des artistes.

Dès lors, un consensus semble être trouvé par l’élaboration d’exceptions aux droits exclusifs des titulaires du droit d’auteur limitativement énumérées à l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle, telle l’exception de parodie.

Dans cette affaire, la portée humoristique du panneau de l’artiste appropriationniste était mise en exergue pour pouvoir bénéficier de l’exception de parodie prévue par les textes, celle-ci devant ainsi évoquer une œuvre préexistante, sans pour autant créer un risque de confusion dans l’esprit du public.

Ledit artiste développait alors que « la représentation de la Joconde en Playmobil ne constitue qu’une petite partie de l’œuvre qui juxtapose 9 vignettes représentant la Joconde de façon humoristique ».

L’exception sera toutefois rejetée par la cour d’appel, car l’auteur se prévalait in fine d’une parodie de la peinture de De Vinci et non d’une parodie de La Joconde en Playmobil appropriée, cette dernière étant parfaitement reprise à l’identique dans le panneau litigieux.

En cela, l’artiste du panneau ne peut se prévaloir d’une quelconque exception au droit d’auteur.

En outre, il invoque à tort, selon la Cour, le courant appropriationniste pour justifier sa reprise.

Néanmoins, la logique artistique s’accommodant mal avec la logique juridique, ledit courant ne saurait pas constitué une exception au monopole de l’auteur, ne figurant d’ailleurs nullement dans la liste de l’article précité.

Il ne faut pas au demeurant en déduire que l’artiste appropriationniste ne puisse donner libre cours à son art, la cour rappelle toutefois sur le fondement de l’article L113-4 du Code de la propriété intellectuelle relatif aux œuvres dérivées que

« l’incorporation dans une œuvre nouvelle d’une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière constitue certes une œuvre nouvelle qui est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, mais sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante ».

Dans cette espèce, le droit d’autoriser ou d’interdire de l’auteur restant le principe en la matière, l’artiste du panneau litigieux et les sociétés qui le commercialisent se sont rendus contrefacteurs à travers divers actes.

La cour a retenu que le tableau présentait un caractère orignal, empreint de la personnalité de son auteur. L’artiste bénéficiait donc de la protection du droit d’auteur.

Dès lors, toute reproduction ou représentation sans autorisation était potentiellement constitutive d’une contrefaçon, à moins de bénéficier d’exceptions aux droits exclusifs des titulaires de droit d’auteur.

II. L’appropriation artistique : un pari risqué aux lourdes conséquences.

La liberté de création n’est pas un droit absolu et cet artiste du courant appropriationniste s’est heurté aux droits de l’auteur antérieur dans son activité (A) et s’est vu condamné à ce titre à des dommages et intérêts (B).

A. Une atteinte au droit moral et patrimonial de l’artiste préexistant.

En application de l’article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

Aussi, l’article L121-1 prévoit que l’auteur jouit au droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.

En l’espèce, l’auteur appropriationniste a reproduit la Joconde en Playmobil sur divers tableaux, la société reconnaissait les avoir commercialisés directement ou par l’intermédiaire de galeries d’art.

Il était également constaté, par des pièces versées au débat, que lesdites créations étaient visibles sur le site internet desdites galeries et sur le compte Facebook de l’artiste mis en cause.

La cour d’appel conclut d’abord qu’« en reproduisant sans autorisation dans les panneaux représentant la Joconde, le tableau dont le premier artiste est l’auteur et en représentant cette œuvre sur son compte Facebook, l’appropriationniste a porté atteinte aux droits patrimoniaux du premier ».

Elle poursuivait ensuite qu’

« en exposant, représentant, diffusant, offrant à la vente et en commercialisant les panneaux créés par le premier artiste, la société (…) qui ne discute pas commercialiser l’œuvre et la société (…) qui édite notamment le site belairfineart.com sur lequel est représenté l’œuvre (…) arguée de contrefaçon, ont également porté atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur dont celui-ci est titulaire ».

Les juges relèveront enfin que l’atteinte au droit moral est également caractérisée par le défaut de mention de l’identité de l’auteur de l’œuvre représentée dans le panneau, ainsi que par le suppression du fond du tableau et le découpage du bas de la représentation du personnage tronqué à hauteur de la poitrine. Autrement dit, l’acte litigieux est constitué tant par une atteinte au droit de paternité qu’au droit au respect de l’intégrité de l’œuvre.

Ces reproductions frauduleuses et le non-respect de l’image originelle donnent lui à des mesures réparatrices incarnées par l’allocation de dommages et intérêts.

B. L’enjeu financier : l’évaluation du préjudice.

L’article L331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle pose les critères pour l’évaluation des dommages et intérêts à verser à l’auteur lésé. Il est ainsi notamment pris en compte les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits de l’auteur, le préjudice moral causé à ce dernier et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.

Dans cette affaire, la cour d’appel relève que 10 panneaux de l’artiste appropriationniste ont été cédés pour un total de 44 000 euros, dont 3 sont encore en stock.

Au regard de la cote de l’artiste et du prix de ventes des tableaux litigieux, elle fixe ainsi le montant des dommages et intérêts à 80 000 euros, soit 60 000 euros au titre de l’atteinte au droit patrimonial et 20 000 euros au titre de l’atteinte au droit moral.

Aussi, elle prononce une mesure d’interdiction à la création d’autres de ces œuvres contrefaisantes et interdit également la cession des œuvres restantes. Cependant, elle juge disproportionné de procéder à la destruction de ces dernières.

Cette décision s’intègre dans un mouvement jurisprudentiel constant qui trace les limites à ce courant appropriationniste pointant vers un juste équilibre entre liberté d’expression condition à l’exercice de son génie artistique, et le droit d’auteur, justifiant que cet artiste soit condamné pour contrefaçon.

Ainsi, dans un arrêt en date du 23 février 2021, la Cour d’appel de Paris avait condamné Jeff Koons pour contrefaçon au sujet d’une installation exposée au Centre Pompidou reprenant la photographie d’une publicité pour les vêtements Naf-Naf.

À l’époque, elle avait déjà considéré qu’un acte de création, quel qu’il soit et peu importe le courant artistique auquel il appartient, était susceptible de porter atteinte à des droits antérieurs.

Si les juges doivent désormais procéder à une balance des intérêts pour justifier de la nécessité de la condamnation pour contrefaçon lorsque la liberté d’expression est invoquée, les cas de remise en cause du droit d’auteur par la liberté d’expression semblent en pratique rester exceptionnels.

Béatrice Cohen Barreau de Paris www.bbcavocats.com
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