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La mutation intragroupe d’un salarié et la convention tripartite. Par Myriam Adjerad et Clara Galdeano, Avocats.
Parution : mercredi 9 novembre 2022
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La mutation intragroupe d’un salarié prend souvent la forme d’une convention tripartite signée entre ce salarié et ses deux employeurs successifs. Sans convention tripartite signée organisant la poursuite du contrat de travail, le salarié ne peut pas être débouté de ses demandes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse [1].

La convention tripartite a pour rôle de formaliser la mutation d’un salarié au sein du groupe : elle prévoit que le contrat de travail initial est transféré au nouvel employeur, en l’état ou selon des modalités précisées dans la convention. Conclue entre un salarié et deux employeurs successifs, elle organise ainsi, non pas la rupture, mais la poursuite du contrat de travail. Une reprise d’ancienneté est prévue et aucune indemnité de rupture n’est versée au titre du premier contrat de travail.

Qu’en est-il en l’absence de signature d’une convention tripartite ?

En l’espèce, une salariée engagée en 1994 par une société du groupe Edf Gdf Suez avait été mutée au 1er janvier 2012 au sein d’une autre société du groupe.

Pour ce faire, elle avait signé une demande de mutation sur un imprimé du groupe. Sa candidature avait été acceptée par une autre société du groupe. Le changement apporté à sa situation administrative lui avait été notifié par courrier interne et mentionnait son ancienne et sa nouvelle situation professionnelle. Les deux sociétés étaient d’accord pour cette mutation demandée par la salariée.

Le premier employeur avait remis à la salariée un certificat de travail mentionnant sa présence dans l’entreprise jusqu’à la date de sa mutation.

La salariée a formulé diverses demandes à l’encontre du premier employeur au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse : elle a été déboutée en première instance et à hauteur d’appel.

La Cour d’appel a considéré que du fait de l’acceptation de sa demande de mutation et des formalités ci-dessus exposées, le contrat de travail n’avait pas été rompu : la salariée avait été mutée d’une société vers une autre du même groupe, dans des conditions caractérisant un changement de situation administrative [2]. La Cour d’appel concluait à l’existence d’une convention tripartite

« formée d’abord par l’acceptation de la demande de la salariée par EDF qui a pris à sa charge les obligations incombant à l’employeur, puis par l’acceptation de cette mutation par la SICAE qui a laissé partir la salariée sans rompre son contrat de travail, et enfin par l’accord de cette dernière qui a accepté sa mutation au CNPE de Localité 3 ».

Selon la Cour d’appel, les volontés de toutes les parties étaient réunies.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel, au visa de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de l’article L1231-1 du Code du travail.

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » [3].

Pas de poursuite du contrat de travail sans convention tripartite.

Aucune convention tripartite n’avait été signée entre la salariée et ses employeurs successifs organisant la poursuite du même contrat de travail.

Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié, ou d’un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du Code du travail [4].

Ainsi, toute rupture amiable conclue en dehors du cadre de la rupture conventionnelle s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse [5]. Et la rupture conventionnelle n’est pas applicable à la convention tripartite conclue, dans le cadre d’une mobilité intragroupe, entre un salarié et deux employeurs successifs ayant pour objet d’organiser la poursuite du contrat de travail [6].

En l’espèce, en l’absence de convention tripartite, la poursuite du contrat de travail n’avait pas été organisée. Les règles relatives à la rupture du contrat de travail n’avaient pas été respectées.

Dès lors, la Cour d’appel ne pouvait pas débouter la salariée de ses demandes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Outre son intérêt pratique, la convention tripartite apparait ainsi comme indispensable en cas de mutation intragroupe.

A défaut, la conclusion d’une rupture conventionnelle du premier contrat de travail et la signature d’un nouveau contrat de travail avec le second employeur parait être une solution, moins pratique, mais à explorer.

Myriam Adjerad Clara Galdeano Adjerad avocats, Avocats au Barreau de Lyon [->contact@adjeradavocats.fr] https://fr.linkedin.com/in/myriam-adjerad-473903121

[1Cass. soc., 26 oct. 2022, n° 21-10.495.

[2Cour d’appel d’Amiens, 15 octobre 2020, n° 19/01481.

[3Art. 1134 c. civ. dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

[4Art. L1231-1 c. trav.

[5Cass. soc., 15 oct. 2014, n° 11-22.251.

[6Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-17.555 et Cass. soc., 17 nov. 2021, n° 20-13.851.