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Délimitation des régles applicables au contrat de louage d’ouvrage. Par Teresa Inverso, Juriste.
Parution : jeudi 10 novembre 2022
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Le contrat de louage d’ouvrage est l’un des plus anciens contrats existants.
Parfois il est compliqué de délimiter les régles y applicables.
La détermination des règles applicables au contrat d’entreprise constitue l’un des chantiers importants de la réforme du droit des contrats spéciaux.

1. Contrat de louage d’ouvrage.

Le contrat de louage d’ouvrage est l’un des plus anciens contrats existants.

En droit romain la « Locatio-conductio operarum » était un type particulier de locatio-conductio, dans lequel quelqu’un mettait ses services à la disposition du client, moyennant le paiement d’un prix.

Le contrat de louage d’ouvrage (aujourd’hui communément appelé contrat d’entreprise) dans le Code Civil français est définit à l’Article 1710 comme le « contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles ».

Cette définition, très succincte, n’indique pas clairement les éléments qualificatifs du contrat à tel point qu’il est difficile de le distinguer d’autres contrats similaires tels que le contrat de travail ou le contrat de mandat. Pour effectuer cette distinction il faut s’appuyer sur des intuitions doctrinales et jurisprudentielles qui nous permettent aujourd’hui d’affirmer que le contrat d’entreprise se distingue du contrat de mandat par l’absence de représentation et du contrat de travail par l’absence du lien de subordination (existant entre employeur et employé).

2. Le contrat de louage d’ouvrage dans la réforme du droit des contrat spéciaux.

Les contrats spéciaux sont les contrats soumis à des règles particulières par rapport au droit commun des contrats, ils obéissent à un ensemble de règles identifiées qui dérogent ou précisent le droit commun des contrats.

Ces contrats sont donc soumis, d’une part, aux règles du droit commun des contrats, et d’autre part à celles du droit spécial des contrats (qui sont propres à chaque contrat spécial).

Le droit commun des contrats a fait l’objet d’une profonde réforme par l’ordonnance du 10 février 2016 qui a mis à jour le Code civil de 1804 et a codifié les évolutions d’origine jurisprudentielle. Le droit des contrats spéciaux n’a pas été affectée par la réforme précitée, c’est pourquoi il est apparu désormais nécessaire de mettre en œuvre une réforme des contrats spéciaux. De nombreuses dispositions (datant de 1804) ne correspondent plus aux usages et aux besoins de la vie économique actuelle et certains contrats jugés mineurs en 1804 sont désormais d’une plus grande importance. Dans un système de droit codifié, comme celui français, une intervention législative était donc plus que nécessaire.

Selon les rédacteurs de l’avant-projet, le chapitre du Code Civil relatif à ce contrat était désormais l’un des plus incomplets. En effet, la prestation de services (matériels ou intellectuels) est depuis longtemps l’un des contrats les plus répandus dans tous les secteurs de l’économie moderne (transports, voyages, construction, restauration, etc.).

Toutes les prestations (contrat de conseil, expertise, contrat relatif à une œuvre de l’esprit, etc.) entrent dans cette catégorie de contrat. Compte tenu de l’importance actuelle de ce contrat, l’avant projet aborde le sujet en apportant des précisions sur son encadrement et son fonctionnement.

Un groupe de travail a été constitué en avril 2020 pour proposer un projet de réforme.

La commission a élaboré un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux qui a été diffusé à partir d’avril 2022. Précisément les avant-projets relatifs aux contrats de service ont été communiqués en mai 2022 : ce sont quarante-deux articles insérés dans le nouveau Titre VIII bis, référencé « contrat d’entreprise ».

L’ensemble de l’avant-projet est actuellement en consultation publique qui prendre fin le 18 novembre 2022.

Certaines innovations peuvent d’ores et déjà être accueillies :
(i) Utilisation du terme « Contrat d’entreprise » au lieu de « Contrat de louage d’ouvrage et d’industrie », aujourd’hui trop obsolète. L’utilisation du terme « client » au lieu de « Maître d’œuvre » qui est également trop démodée.
(ii) Définition plus compréhensible et plus précise du contrat de service permettant de le distinguer des autres contrats similaires.
(iii) Introduction de la possibilité d’un service gratuit.

3. Question de la délimitation des règles applicables au contrat d’entreprise : focus sur la garantie des vices cachés (arrêt du 29 juin 2022) et analyse de l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux.

L’application de la garantie contre les vices cachés (prévue par les articles 1641 et suivants du Code civil) est subordonnée à l’existence d’une vente. Le contrat d’achat est défini par l’article 1582 du code civil comme « une convention par laquelle l’un s’engage à livrer une chose et l’autre à la payer ».

La garantie des vices cachés n’existe donc pas en présence d’un autre contrat, par exemple le contrat d’entreprise. Or, en présence d’un contrat hybride, il peut parfois être difficile d’identifier les règles qui lui sont applicables, comme l’a récemment démontré un litige concernant la construction d’une centrale électrique : une entreprise du secteur de l’électricité avait confié à une entreprise la construction d’une centrale électrique au moyen d’un contrat de louage d’ouvrage.

Dans le cadre de la construction, l’entrepreneur a utilisé des produits (des connecteurs) qu’il avait achetés auprès d’un fabricant.

Une fois la centrale électrique construite, l’entreprise détecte des pannes dues aux connecteurs électriques et se retourne contre l’entrepreneur pour être indemnisée au titre de la garantie des vices cachés. La Cour d’appel accepte la demande car la prestation aurait impliqué la fourniture/vente des connecteurs quelle que soit la qualification attribuée au contrat. La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel et rejette la demande d’indemnisation, précisant que « l’action en garantie des vices cachés n’est pas ouverte au maître d’ouvrage contre l’entrepreneur » et que la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 1641 du Code civil.

Ce cas met en évidence comment le contrat d’entreprise se retrouve souvent dans une configuration de « Contrat Hybride » (en particulier dans le secteur de la construction où le Maître d’Ouvrage n’est pas seulement responsable d’une activité de conception/réalisation mais aussi de l’achat de matières premières) et comment dans ces cas il est encore plus compliqué de définir les règles qui y sont applicables.

La détermination des règles applicables au contrat de service constitue l’un des chantiers importants de réforme du droit des contrats spéciaux.

La détermination des règles applicables au contrat d’entreprise constitue l’un des chantiers importants de la réforme du droit des contrats spéciaux.

Pour l’instant, l’article 1757, tel qu’il résulte du projet de réforme, apporte quelques précisions :

« Lorsque l’ouvrage requiert, pour sa parfaite exécution, des prestations relevant habituellement d’autres contrats nommés, telles que la mise à disposition, la garde, la conservation, le déplacement d’un bien ou la conclusion d’actes juridiques, ces prestations obéissent, en tant que de raison, aux règles particulières régissant ces contrats.

Il en va de même s’agissant du transfert de propriété quand la réalisation de l’ouvrage emporte un tel effet ».

Ce sont certainement des détails importants qui s’expliquent par le fait que souvent le contrat d’entreprise est lié à d’autres prestations, obligations ou contrats complémentaires.

Comme le relève, à juste titre, l’alinéa 2 de l’article 1757 du Code civil, se pose parfois aussi le problème du transfert de propriété : lorsque, par exemple, le contractant achète des matières premières en vue d’exécuter et de finaliser une prestation pour le client.

Il paraît souhaitable que la Réforme des contrats spéciaux puisse apporter encore plus de précisions sur cette question. Toute sorte de clarification supplémentaire sur ce type de contrat serait certainement appréciée par les praticiens du droit.

Teresa Inverso - Legal Counsel spécialisé en Business law / Contract law Toulouse
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