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La condition de nouveauté des inventions brevetables : confidentialité, publications et demandes provisoires. Par Rose-Marie Ehanno, Juriste.
Parution : lundi 14 novembre 2022
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Une invention peut être protégée de deux manières par son titulaire : soit par le dépôt d’une demande de brevet, soit par le secret des affaires. Dans les deux cas, il est crucial de protéger cette invention d’une part, en posant des obligations contractuelles de confidentialité et d’autre part, en limitant les hypothèses de divulgation. Lorsque cela ne suffit pas, il faut prendre date au plus vite, si besoin à l’aide d’une demande provisoire.

La confidentialité pour protéger la nouveauté.

Lorsque le titulaire de l’invention souhaite la protéger par le secret des affaires, celui-ci saura être vigilant lors des échanges avec toute personne, tiers ou partenaire. Il devra en faire de même s’il souhaite protéger son invention par une demande de brevet. En effet, la délivrance du brevet est soumise à plusieurs conditions : la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle (L611-10 CPI).

La nouveauté est définie dans le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) à l’article L611-11 « Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique », le texte continue en expliquant que l’état de la technique consiste en

« tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen ».

Cela signifie que toute divulgation, par exemple au travers d’un article publié ou d’une conférence, portant sur l’invention et faite avant le dépôt de la demande de brevet prive l’invention de son caractère brevetable.

C’est la raison pour laquelle, il est essentiel de s’assurer de la discrétion de toute personne ayant eu connaissance des travaux portant sur l’invention, qu’il s’agisse d’un partenaire, d’un salarié ou encore d’un sous-traitant. Avant toute divulgation d’une information ou d’un savoir-faire, il est nécessaire de s’assurer de cette discrétion en rédigeant un contrat de confidentialité, ou en insérant une clause de confidentialité au sein du contrat qui lie les parties (contrat de travail, de partenariat, de sous-traitance).

Le plus grand soin doit être apporté à la rédaction de cette obligation, et notamment, l’objet de la confidentialité doit être défini de manière claire et non équivoque, afin d’interdire tout doute sur sa portée. C’est cette obligation contractuelle qui permet de faire jouer la responsabilité contractuelle de celui qui divulgue l’information confidentielle en cas de litige.

L’obligation contractuelle de confidentialité permet aussi de ne pas tomber dans le piège d’une auto-divulgation. En effet, dans une décision de la Cour de cassation en 1987, il est reconnu que la divulgation faite dans un devis, en l’absence d’une obligation de confidentialité, fait perdre au brevet « l’exigence de nouveauté qui en conditionnait la validité » (Cass.,com., 19 mai 1987 n°86-11598). Il ne s’agit donc pas seulement de se protéger contre les divulgations faites par des tiers, mais aussi contre les divulgations faites soi-même.

La clause de publication pour encadrer les divulgations.

En pratique, la confidentialité des échanges est souvent limitée dans le temps. Il faut parfois laisser la possibilité au partenaire de publier des articles scientifiques sur les avancées techniques et les connaissances développées. Il est en effet fréquent que les inventeurs souhaitent publier leurs recherches ou leurs résultats. Cette diffusion des connaissances nouvelles est l’un des piliers de l’avancée de la science et confère une renommée à son auteur.

Dans l’hypothèse d’une volonté ou d’une nécessité, pour le partenaire ou le sous-traitant, de publier un article portant sur l’invention, il est nécessaire de prévoir une clause de publication. Cette clause doit spécifier les limites et conditions aux communications pouvant porter sur l’invention. Il peut s’agir, selon les besoins des parties, d’une limite temporelle : afin d’empêcher toute publication pendant un certain laps de temps, et ainsi permettre le dépôt de la demande de brevet ; ou d’une condition d’approbation préalable de toute publication par le titulaire de l’invention.

L’encadrement des hypothèses de publications n’est pas anecdotique. En effet, en posant les conditions de manière précise, les communications portant sur l’invention pourront être contrôlées, et les risques de divulgation limités.

La demande provisoire de brevet pour sauver la nouveauté.

Dans l’hypothèse où les mesures précédentes n’ont pas été prises ou ont été insuffisantes, et qu’une divulgation se prépare, il reste une possibilité pour sauver le caractère nouveau de l’invention : le dépôt d’une demande provisoire de brevet.

La demande provisoire est issue de la loi PACTE et est entrée en vigueur au 1er juillet 2020, elle s’inspire directement des demandes provisoires américaines. Cette procédure permet de prendre date et d’ouvrir un droit de priorité, en communiquant à l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) une simple description technique de l’invention. Il n’est pas nécessaire de transmettre les revendications, et les pièces du dossier seront apportées ultérieurement. C’est ce qui permet de faire un dépôt avec une grande rapidité.

Cette demande est moins onéreuse et bien plus rapide. Il faut toutefois noter que la demande provisoire n’est pas un titre de propriété intellectuelle, elle doit être transformée en une véritable demande de brevet ou en un certificat d’utilité dans les 12 mois qui suivent son dépôt, sans quoi, la demande sera réputée retirée.

Cette option permet d’anticiper une divulgation imminente et ainsi, limite le risque de perte de droit dû à une absence de nouveauté. Attention toutefois à ne l’utiliser qu’avec parcimonie, lorsqu’il n’y a plus suffisamment de temps pour rédiger une demande complète.

En effet, la description technique de l’invention qui est la seule condition au dépôt d’une demande provisoire, peut se révéler insuffisante pour fonder valablement la priorité de la demande ultérieure, particulièrement en l’absence de revendication.

Dans ce cas, la divulgation ayant déjà eu lieu, la nouveauté fera défaut et la demande finale sera rejetée.

Rose-Marie Ehanno, Responsable du service Contrats et Inscriptions, Novagraaf, France Novagraaf - Conseils en Propriété Intellectuelle Brevets - Marques - Dessins & Modèles https://www.novagraaf.com/fr