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Prestation compensatoire et procédure d’appel. Par Daniel Massrouf, Avocat.
Parution : mardi 22 novembre 2022
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Lors d’un jugement de divorce, il peut être mis à la charge de l’une des parties, une prestation compensatoire.
L’appel, en matière de prestation compensatoire, a un effet suspensif mais il y a des exceptions (I).
Il conviendra dans ce cas d’analyser les recours du débiteur à hauteur d’appel si une prestation compensatoire est mise à sa charge avec exécution provisoire par le premier juge (II).

I) Effet suspensif de l’appel en matière de prestation compensatoire, principe et exceptions.

L’appel, en matière de prestation compensatoire, a un effet suspensif.

En d’autres termes, le débiteur ne devra pas la prestation compensatoire, tant que la cour d’Appel n’a pas statué sur ce point.

L’article 1079, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « la prestation compensatoire ne peut être assortie de l’exécution provisoire ».

Il en résulte qu’ en cas d’appel du jugement prononçant le divorce, le créancier de la prestation compensatoire ne pourra pas solliciter son versement à titre conservatoire, l’appel ayant un caractère suspensif.

Il y a toutefois des exceptions.

La règle posée à l’article 1079 du Code de procédure civile peut s’avérer très préjudiciable aux intérêts du créancier, lorsqu’un recours est formé sur cette prestation et non sur le divorce.

En effet, le divorce étant devenu définitif, le devoir de secours prend fin, privant ainsi le créancier du droit à la pension alimentaire alors que la prestation compensatoire n’est pas encore exigible.

C’est pourquoi l’article 1079 prévoit une exception, dans cette hypothèse, lorsque l’absence d’exécution de la prestation compensatoire aurait des conséquences manifestement excessives pour le créancier.

L’exécution provisoire peut alors être ordonnée pour tout ou partie de la prestation.

En pratique, la disposition permet au juge qui prononce le divorce d’assortir la prestation compensatoire de l’exécution provisoire s’il estime que le créancier n’a pas les moyens de subvenir seul à ses besoins sans le concours soit de la pension alimentaire, tant que le divorce n’est pas définitif, soit de la prestation compensatoire une fois que le prononcé du divorce a acquis force de chose jugée.

En cause d’appel, les articles 524 à 526 du Code de procédure civile sont applicables pour l’examen des demandes tendant à arrêter l’exécution provisoire ordonnée par le juge ainsi que des demandes tendant à l’ordonner, soit lorsqu’elle a été refusée, soit lorsque le juge n’a pas statué sur cette question.

Ces demandes sont portées, selon le cas, devant le premier président, son délégué ou le conseiller de la mise en état.

L’alinéa 3 de l’article 1079 précise que l’exécution provisoire conférée à la prestation compensatoire ne prend cependant effet qu’au jour où le prononcé du divorce a acquis force de chose jugée.

Ainsi l’exécution provisoire ordonnée par le juge est privée d’effet pendant le délai de recours et pendant le temps de l’examen d’un recours portant sur le principe du divorce

Observations sur les conditions de l’exécution provisoires.

L’exécution provisoire assortissant une décision de justice autorise la partie qui a obtenu gain de cause à poursuivre l’exécution de cette décision rendue contre son adversaire, malgré les recours qu’il aurait engagés.

L’exécution provisoire est de plein droit accordée à certaines décisions, mais elle peut également être prononcée par le juge accessoirement à sa décision.

Les décisions assorties de l’exécution provisoire de plein droit.

Le Code de procédure civile énumère les différentes décisions qui sont assorties de plein droit de l’exécution provisoire :
- les ordonnances de référé, les décisions qui prescrivent des mesures provisoires en cours d’instance ;
- les décisions qui ordonnent des mesures conservatoires et les ordonnances du juge de la mise en état accordant une provision au créancier ;
- la décision ordonnant la production d’un acte ou d’une pièce détenue par un tiers
les mesures prises par le JAF portant sur l’exercice de l’autorité parentale, la pension alimentaire, la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant… [1] ;
- les ordonnances rendues sur requête.

Cette liste n’est pas limitative, il existe des textes spéciaux prévoyant l’exécution provisoire de plein droit, par exemple l’article R661-1 du Code de commerce relatif aux décisions de justice en matière commerciale.

Le prononcé de l’exécution provisoire facultative.

L’article 515 du Code de procédure civile dispose que :

« Hors les cas où elle est de droit, l’exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d’office, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire ».

L’exécution provisoire peut donc être : soit demandée par une partie jusqu’à la clôture des débats, soit prononcée d’office par le juge, sans qu’il n’ait besoin de mettre les parties en mesure de s’expliquer sur ce point [2].

Pour être prononcé l’exécution provisoire doit d’abord être jugée nécessaire, ce qui implique essentiellement une condition d’urgence.

L’urgence découle d’une situation de fait, telle que l’importance ou l’ancienneté du dommage, ou encore les risques d’insolvabilité du débiteur.

II) Recours du débiteur de la prestation compensatoire si le premier juge l’assortit de l’exécution provisoire.

Le premier juge peut assortir son jugement de l’exécution provisoire.

Dans ce cas, la prestation compensatoire est due, nonobstant appel.

Se pose alors la question de savoir si, à hauteur d’appel, il est possible de demander la suspension de l’exécution provisoire.

La réponse est affirmative.

Ce type de demande est traitée par le Premier Président de la cour d’Appel.

Elle est fondée sur l’article 1079 du Code de procédure civile.

Il résulte de l’article 1079 du Code de procédure civile que la prestation compensatoire ne peut être assortie de l’exécution provisoire, en tout ou en partie, que lorsque l’absence d’exécution aurait des conséquences manifestement excessives pour le créancier en cas de recours sur la prestation compensatoire alors que le prononcé du divorce a acquis force de chose jugée.

Dès lors, encourt la cassation un arrêt d’une cour d’appel, saisie d’un appel limité à la prestation compensatoire, qui a assorti de l’exécution provisoire une partie de la somme d’argent due à ce titre, sans caractériser l’existence de telles circonstances [3].

Toutefois, l’obstacle à l’exécution provisoire est défini par des conditions très strictes :
L’article 524 du Code de procédure a prévu de façon générale qu’il peut être fait obstacle à l’exécution provisoire « lorsqu’elle elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ».

Ainsi la Cour de Cassation a récemment jugé que

« la prestation compensatoire ne peut être assortie de l’exécution provisoire que lorsque l’absence d’exécution aurait des conséquences manifestement excessives pour le créancier » [4].

Qu’elle soit de droit ou ordonnée par le juge, l’exécution provisoire peut faire l’objet de la part du débiteur, devant le Premier Président de la cour d’Appel.

L’article 524 du Code de procédure civile permet de solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire notamment « lorsqu’elle elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ».

Les conditions de recevabilité du recours devant le Premier Président de la cour d’Appel.

Les règles de compétence du recours.

L’article 524 du Code de procédure civile prévoit que le recours en arrêt de l’exécution provisoire relève de la compétence de principe du Premier Président de la cour d’Appel, suivant la procédure des référés.

L’exigence préalable à la formation de recours est qu’un appel ait été formé contre la décision exécutoire par provision.

En revanche, la jurisprudence est divisée sur le point de savoir si l’appel doit être recevable.

Certaines décisions estiment que l’irrecevabilité de l’appel ayant pour effet de priver de cause la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement [5] ; tandis que d’autres se contentent de la seule existence formelle d’un appel sans se préoccuper de sa recevabilité
La demande de suspension sera le plus souvent exercée par l’appelant.

Toutefois, rien n’empêche que le Premier Président soit saisi par l’intimé, dès lors que l’affaire est portée devant la cour d’appel par l’une ou l’autre des parties, le texte ne formulant pas de distinction [6].

Par ailleurs, le premier président a la faculté d’arrêter l’exécution provisoire pendant toute la durée de la procédure d’appel et donc jusqu’au dessaisissement de la cour par l’arrêt au fond.

Est donc irrecevable la fin de non-recevoir tirée du caractère tardif de la demande [7].

Toutefois, il est conseillé d’effectuer ce recours dans de bref délai, car l’autre partie pourra à tout moment se prévaloir de la décision de premier ressort qui est assortie de l’exécution provisoire.

Observations sur les motifs justifiant l’arrêt de l’exécution provisoire, de façon générale.

- Lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, l’article 524 du Code de procédure civile déclare qu’elle ne peut être arrêtée que : « Si elle est interdite par la loi ;
Si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives
 ».

- Lorsque l’exécution provisoire est de droit : « Le premier président peut arrêter l’exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l’article 12 et lorsque l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ».

Les risques de conséquences manifestement excessives liées à l’exécution provisoire.

L’article 524 permet au Premier Président de suspendre l’exécution provisoire de la décision de première instance, qu’elle soit de plein droit ou qu’elle ait été ordonnée, si celle-ci risque d’entraîner des conséquences excessives.

A titre liminaire, il convient de rappeler que le recours auprès du Premier Président vise seulement à apprécier l’existence d’un risque de conséquences manifestement excessives et non de juger du bien fondé de la décision rendue en première instance.

C’est ce qu’a rappelé une récente décision de la Cour de Cassation qui énonce que : « le premier président n’est tenu de ne prendre en considération que les seules conséquences manifestement excessives », alors que le requérant invoquait « des erreurs graves ou flagrantes affectant la décision dont il est interjeté appel » [8].

Le risque de conséquences manifestement excessives est caractérisé lorsque la poursuite de l’exécution provisoire apparaît susceptible de créer une situation irréversible pour le débiteur, dans le cas où l’exécution serait annulée du fait de la remise en cause de la décision en appel.

Sans être exhaustive, il existe des catégories justifiant, en jurisprudence, l’arrêt de l’exécution par provision.

La perte d’un bien.

Il peut évidemment s’agir de la perte matérielle du bien, par exemple dans le cas du prononcé d’une démolition [9].

Mais cette perte peut également avoir une nature juridique, qui consiste en une sortie définitive du bien du patrimoine du débiteur. Il s’agit par exemple de l’hypothèse où un jugement valant vente est assortie de l’exécution provisoire, la revente du bien litigieux par l’autre partie avant que la cour ait statué au fond étant possible.

Le risque lié à une mesure d’expulsion.

Une expulsion peut entrainer des conséquences manifestement excessives dès lors que le locataire n’aurait pas d’autre lieu où se loger [10].

Il est également tenu compte du contexte familial, ainsi la mise en cause des études de trois enfants scolarisés peut justifier un arrêt de l’exécution provisoire [11].

Par ailleurs, cette demande de suspension de l’exécution peut s’inscrire dans le cadre d’un bail commercial, la conséquence manifestement excessive résidant dans le trouble grave apporté à l’activité du locataire [12].

Un arrêt de la Cour de Cassation du 6 mai 2014 réaffirme la nécessité, pour qu’une expulsion entraine des conséquences manifestement excessives, de démontrer l’impossibilité de trouver une solution alternative de relogement.

La chambre commerciale estime que : « l’absence de conséquences manifestement excessives de l’exécution provisoire des redressements pouvait être retenue, car la requérante ne rapportait pas la preuve d’être dans l’incapacité de trouver un autre logement » [13].

L’atteinte à l’activité professionnelle.

L’arrêt de l’exécution provisoire pourra être sollicité dès lors qu’existe un risque d’atteinte irréversible à l’activité professionnelle du requérant.

La juridiction considérera notamment le fait que la survie de l’entreprise soit mise en péril [14] ou qu’existent des risques de licenciement [15].

Le risque tenant à la situation personnelle du créancier.

Cette dernière hypothèse n’est pas fondée sur la situation particulière du requérant, mais sur le risque que le créancier ayant obtenu l’exécution provisoire ne puisse restituer les sommes en cas de remise en cause du jugement en appel.

Ainsi le doute pesant sur la domiciliation du créancier peut faire craindre des difficultés dans le cas où il serait nécessaire de recouvrer les sommes versées [16].

De même, l’exécution provisoire pourra être suspendue à raison de l’état d’insolvabilité du créancier [17] ou en raison d’une procédure collective dont il fait l’objet [18].

La Cour de Cassation a récemment énoncé l’obligation pour le débiteur requérant de démontrer que le créancier ne présentait pas de garantie de restitution des fonds en cas d’infirmation du jugement.

L’arrêt du 27 février 2014 jugeait en l’espèce que : « la charge de la preuve de ce risque pesait sur la société » [19].

Daniel Massrouf, Avocat Barreau de Lyon [->danielmassrouf@gmail.com]

[1Art. 1074-1 CPC.

[2Cass. 2e civ., 13 avr. 1976 : Bull. civ. 1976, II, n°120.

[3Cass. 1re civ., 19 mars 2014, n° 12-29.653, Bull. 2014, I, n° 41. A rapprocher : 1re Civ., 28 mai 2008, pourvoi n° 07-14.232, Bull. 2008, I, n° 155 (rejet) ; 1re Civ., 28 mai 2008, pourvoi n° 07-14.232, Bull. 2008, I, n° 155 (rejet).

[4Cass. 1re Civ. 19 Mars 2014 ; N° 12-29.653, 306.

[5CA Paris, 9 févr. 1987 : Bull. avoués 1987, p. 99.

[6CA Paris, 20 janv. 1984 : Bull. avoués 1984, p. 33.

[7CA Paris, 18 déc. 1981 : Bull. avoués 1982, p. 34.

[8Cass. 2e Civ. 16 oct. 2014 ; Pourvoi n° 13-25.249.

[9Cass. 3e civ., prem. prés., 5 juin 2008, n° 07-20.355.

[10CA Versailles, Ord. réf., 24 mai 1989.

[11CA Aix-en-Provence, Ord. prem. prés., 19 nov. 2001, n° 01/00544.

[12CA Montpellier, 7 août 2009.

[13Cass. Com. 6 Mai 2014 ; N° 13-24.286, 511.

[14CA Bordeaux, 5 nov. 2009, n° 09/00139.

[15CA Paris, Ord. prem. prés., 10 mai 2000, n° 307/2000.

[16CA Paris, 16 déc. 2009, n° 09/21497.

[17CA Pau, Ord. prem. prés., 5 déc. 2001, n° 01/2556, n° 01/2955.

[18CA Pau, Ord. prem. prés., 30 mai 2001, n° 01/1337.

[19Cass. 2e Civ. 27 fevr. 2014 ; N° 12-24.873, 340.