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L’historique du droit au compte : de la loi du 24 janvier 1984 au décret du 11 mars 2022. Par Sadia Chelbi, Avocate.
Parution : vendredi 18 novembre 2022
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Le décret 2022-347 du 11 mars 2022, entré en vigueur le 14 juin 2022, est venu modifier un dispositif appelé le droit au compte ou DAC. Ce droit est le résultat d’une longue suite de réformes depuis bientôt quarante ans.

La convention qui lie une banque à un déposant est un contrat « intuitu personae ».

Les établissements bancaires sont donc parfaitement libres de choisir leurs clients, de refuser d’ouvrir un compte à un demandeur et peuvent librement décider de clôturer un compte qui, par exemple, serait resté inactif trop longtemps.

Mais est-il possible de vivre sans compte bancaire ? Très tôt, le législateur a estimé que non. Il a donc, dès 1984, créé le droit au compte. La loi 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit a inséré à l’article L312-1 du Code monétaire et financier (CMF) le droit pour quiconque, qui se serait vu refuser l’ouverture d’un compte par un établissement de crédit, d’en demander l’ouverture à la Banque de France.

S’en est suivie une longue liste - de lois, décrets et arrêtés - venue ajouter, modifier mais surtout moderniser un droit au rythme des évolutions d’usage des instruments de paiement, de la prévalence de la carte bancaire et de la désuétude du chéquier.

Panorama des grandes évolutions de ce droit.

- Loi 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit (JO n° 0021 du 25 janvier 1984).

L’article 58 de la loi du 24 janvier 1984, contenu dans le Chapitre IV relatif aux relations entre les établissements de crédit et leur clientèle dispose simplement que

« Toute personne qui s’est vu refuser l’ouverture d’un compte de dépôt par plusieurs établissements de crédit et qui, de ce fait, ne dispose d’aucun compte, peut demander à la Banque de France de lui désigner un établissement de crédit ou l’une des personnes et services visés à l’article 8 auprès duquel elle pourra ouvrir un tel compte. L’établissement de crédit, la personne ou le service désigné, peut limiter les services liés à l’ouverture de ce compte aux opérations de caisse ».

A ses débuts, le droit au compte était très restrictif. Pour pouvoir saisir la Banque de France, il fallait donc pouvoir justifier de refus par plusieurs établissements de crédit. L’ouverture d’un compte par la Banque de France n’ouvrait alors droit qu’à un service minimum, les opérations de caisse.

L’article 37 a institué la Commission bancaire « chargée de contrôler le respect par les établissements de crédit des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés ». Cette Commission bancaire se transformera, par l’ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010 en Autorité de contrôle prudentiel (ACP) puis, par la loi du 26 juillet 2013, deviendra l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) que l’on connaît aujourd’hui et qui se charge, notamment, de sanctionner les manquements des banques à leurs obligations en la matière.

- Loi 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions (JO du 31 juillet 1998, p. 11679).

L’article 137 de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 a précisé les bénéficiaires du droit au compte. Pouvaient donc s’en prévaloir « toute personne physique résidant en France, dépourvue d’un compte de dépôt ». Seul le domicile en France était alors pris en compte et non la nationalité des demandeurs.

Pour démontrer l’absence de compte de dépôt, le demandeur devait remettre à l’établissement de crédit « une déclaration sur l’honneur attestant le fait que le demandeur ne dispose d’aucun compte ».

La loi de 1984 ouvrait droit à de simples opérations de caisse. L’article 137 introduit la notion de « service bancaire de base » (SBB) sans en préciser le contenu : « Les établissements de crédit, les services financiers de La Poste ou du Trésor public ne pourront limiter les services liés à l’ouverture d’un compte de dépôt aux services bancaires de base que dans des conditions définies par décret. En outre, l’organisme désigné par la Banque de France, limitant l’utilisation du compte· de dépôt aux services bancaires de base, exécute sa mission dans des conditions tarifaires fixées par décret ».

Il a fallu attendre le décret n° 2001-45 du 17 janvier 2001 pour qu’une liste des « services de base » soit fixée. On y trouve

« l’ouverture, la tenue et la clôture du compte ; un changement d’adresse par an ; la délivrance à la demande de relevés d’identité bancaire ou postale ; la domiciliation de virements bancaires ou postaux ; l’envoi mensuel d’un relevé des opérations effectuées sur le compte ; la réalisation des opérations de caisse ; l’encaissement de chèques et de virements bancaires ou postaux ; les dépôts et les retraits d’espèces au guichet de l’organisme teneur de compte ; les paiements par prélèvement, titre interbancaire de paiement ou virement bancaire ou postal ; des moyens de consultation à distance du solde du compte ; une carte de paiement à autorisation systématique, si l’établissement de crédit est en mesure de la délivrer, ou, à défaut, une carte de retrait autorisant des retraits hebdomadaires sur les distributeurs de billets de l’établissement de crédit ; deux formules de chèques de banque par mois ou moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services ».

Ce décret sera abrogé par le décret n° 2005-1007 du 2 août 2005 relatif à la partie réglementaire du Code monétaire et financier et remplacé par le décret du 27 mars 2006.

- Décret no 2006-384 du 27 mars 2006 relatif aux services bancaires de base mentionnés à l’article D312-5 du Code monétaire et financier (JO du 31 mars 2006, texte n° 11).

Ce décret est venu moderniser les services bancaires de base. Désormais, la délivrance de la carte de paiement n’est plus en option puisque l’établissement de crédit est tenu de fournir au demandeur « une carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par l’établissement de crédit qui l’a émise » et non plus une simple carte de retrait.

- Loi 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (JO du 18 mai 2011, texte n° 1).

L’article 52 de la loi étend le bénéfice de ce droit au compte à « toute personne physique de nationalité française résidant hors de France ». Les expatriés y ont enfin droit.

- Loi 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires (JO 27 juill. 2013, texte n° 1).

Cette importante loi de 2013 va faire évoluer le dispositif DAC sur trois points :

Le droit à ouverture d’un compte bancaire.

En premier lieu, l’article 64 de la loi étend le droit au compte aux personnes qui ont fait l’objet d’un interdit bancaire et judiciaire ainsi qu’aux personnes concernées par un incident de paiement caractérisé lié aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels.

Le droit de faire la démarche auprès de la Banque de France s’ouvre à des organismes sociaux :

« le département, la caisse d’allocations familiales, le centre communal ou intercommunal d’action sociale dont cette personne dépend, une association ou une fondation à but non lucratif dont l’objet est d’accompagner les personnes en difficulté ou de défendre les intérêts des familles ou une association de consommateurs agréée ».

Enfin, pour accélérer la procédure, les banques se voient imposer des délais pour procéder à la remise au demandeur d’une attestation de refus d’ouverture de compte qui permet ensuite au demandeur de saisir la Banque de France (remise qui doit être « systématique et sans délai » et à l’ouverture du compte ordonnée par la Banque de France, qui doit avoir lieu « dans les trois jours ouvrés à compter de la réception de l’ensemble des pièces qui lui sont nécessaires pour procéder à cette ouverture ».

Sur les services bancaires de base (SBB).

La loi de 2013 prévoit que « Les établissements de crédit ainsi désignés par la Banque de France sont tenus d’offrir au titulaire du compte des services bancaires de base dont le contenu et les conditions tarifaires sont précisés par décret ». Ces services sont listés à l’article D312-5 CMF.

La gratuité de ces services bancaires de base est limitée aux seules personnes ayant obtenu l’ouverture d’un compte selon cette procédure, catégorie de bénéficiaires qui se distingue des « personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels qui se trouvent en situation de fragilité, eu égard, notamment, au montant de leurs ressources » prévue à l’article L312-1-3 al. 2 CMF. Par ailleurs, la banque peut proposer des services supplémentaires non mentionnés à l’article D312-5 CMF qui devront alors faire l’objet d’une facturation avec un plafonnement spécifique identique à celui appliqué au personnes en situation de fragilité financière.

Sur l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).

La loi du 26 juillet 2013 a transformé l’Autorité de Contrôle prudentiel (ACP, issue de l’ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010) en Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (l’ACPR que l’on connaît aujourd’hui), en la dotant de pouvoir de résolution des problèmes bancaires, composée d’un collège chargée de saisir la Commission des sanctions qui prononce les sanctions pécuniaires.

- Arrêté du 30 mai 2014 (JO 11 juin 2014, texte n° 20).

L’arrêté du 30 mai 2014 remplace rapidement l’arrêté du 16 avril 2014 et fixe une nouvelle liste des pièces justificatives pour l’exercice du droit au compte auprès de la Banque de France. Il y est bien précisé que « les pièces justificatives requises pour l’exercice du droit au compte auprès de la Banque de France sont indépendantes des pièces que les établissements de crédit demandent lors de l’ouverture du compte ».

- Arrêté du 31 juill. 2015 (JO 7 août 2015, texte n° 23).

Un nouvel arrêté du 31 juillet 2015 fixe une nouvelle liste des pièces justificatives pour l’exercice du droit au compte auprès de la Banque de France.

- Ordonnance no 2016-1808 du 22 décembre 2016 relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (JO, 23 déc. 2016, texte n° 17).

L’ordonnance, entrée en vigueur le 23 juin 2017, transpose la directive n° 2014/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base.

Elle ouvre le droit au compte à « toute personne physique résidant légalement sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union européenne n’agissant pas pour des besoins professionnels ». Le droit au compte s’étend donc à tout résidant de l’Union européenne.

Par ailleurs, l’ordonnance prévoit qu’en cas de refus d’ouverture d’un compte, les établissements de crédit devront communiquer « gratuitement et par écrit les motifs de ce refus ». Cette obligation sera passablement respectée par les banques.

Enfin, en cas d’ouverture d’un compte sur le fondement du droit au compte, les établissements bancaires ne pourront clôturer le compte que dans des ces six cas limitativement énumérés :

« 1° Le client a délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales ; 2° Le client a fourni des informations inexactes ; 3° Le client ne répond plus aux conditions de domicile ou de résidence définies au I ; 4° Le client a ultérieurement ouvert un deuxième compte de dépôt en France qui lui permet d’utiliser les services bancaires de base ; 5° Le client a fait preuve d’incivilités répétées envers le personnel de l’établissement de crédit ; 6° L’établissement est dans l’une des situations prévues à l’article L561-8 ».

- Décret no 2016-1811 du 22 décembre 2016 relatif à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (JO, 23 déc. 2016, texte n° 21).

Il est rappelé que les services bancaires de base sont à destination des seuls bénéficiaires de la procédure de droit au compte devant la Banque de France. Le décret de 2016 a renvoyé la liste des SSB de l’article D312-5 CMF à l’article D312-5-1 CMF. Le nouvel article D312-5 CMF fixe désormais les « prestations de base » à destination de tous les détenteurs d’un compte de dépôt.

- Décret n° 2018-229 du 30 mars 2018 relatif à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier (JO, 31 mars 2018, texte n° 37).

Le décret de 2018 fixe la version actuelle des prestations de base qui comprennent

« 1° L’ouverture, la tenue et la clôture du compte ; 2° Un changement d’adresse par an ; 3° La délivrance à la demande de relevés d’identité bancaire ; 4° La domiciliation de virements bancaires ; 5° La fourniture mensuelle d’un relevé des opérations effectuées sur le compte ; 6° L’encaissement de chèques et de virements bancaires ; 7° Les paiements par prélèvements SEPA, titre interbancaire de paiement SEPA ou par virement bancaire SEPA, ce dernier pouvant être réalisé aux guichets ou à distance ; 8° Des moyens de consultation à distance du solde du compte ; 9° Les dépôts et les retraits d’espèces au guichet ou aux distributeurs automatiques de l’organisme teneur de compte ; 10° Une carte de paiement permettant notamment le paiement d’opérations sur internet et le retrait d’espèces dans l’Union européenne ».

- Décret du 2022-347 11 mars 2022.

Le décret du 2022-347 11 mars 2022 est venu modifier la procédure sans toutefois y apporter de modifications majeures.

Pour pallier aux carences des établissements bancaires, le demandeur n’a plus à attendre une réponse de la banque. L’absence de réponse sous quinzaine à une demande d’ouverture de compte vaut refus implicite qui ouvre droit, pour le demandeur, à la saisine de la Banque de France.

Sadia Chelbi Avocate au Barreau de Paris