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Les critères d’ordre de licenciement. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : lundi 2 janvier 2023
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La situation est la suivante : vous faites l’objet d’un licenciement collectif pour motif économique. Votre employeur a l’obligation de définir des critères d’ordre de licenciement définis par accord collectif et à défaut par la loi qui permettent d’assurer que les choix opérés par l’employeur ont été légitimes, loyaux et non discriminants.
Nous allons faire un tour d’horizon des décisions rendues en 2022 sur les critères d’ordre de licenciement.

1. Temporalité de la demande de critères d’ordre de licenciement

Cour d’Appel de Nîmes 19 avril 2022 RG n°19/00946.

Vous avez le droit de connaître les critères retenus par votre employeur pour fixer l’ordre des licenciements et vous permettre de vous assurer que votre employeur n’a pas été déloyal et qu’il n’a commis aucune erreur.

Vous devez néanmoins adresser votre demande par lettre recommandée avec avis de réception ou contre récépissé à votre employeur dans un délai maximum de 10 jours avant la date à laquelle vous quittez votre emploi [1].

De son côté, votre employeur à l’obligation de vous faire connaître les critères qu’il a retenus dès lors que vous en faites la demande dans les délais susvisés.

Voici une décision sur la date à laquelle vous pouvez transmettre votre demande :

Une assistante sociale licenciée pour motif économique reproche à son employeur de ne pas lui avoir communiqué les critères d’ordre des licenciements.

La salariée avait quitté son emploi le 13 février 2017 en acceptant le contrat de sécurisation professionnelle (le contrat s’arrête alors à la date d’acceptation du contrat).

Elle avait pris soin près d’un mois auparavant de faire la demande de critère d’ordre des licenciements à son employeur le 19 janvier 2017, après réception de la lettre de convocation à l’entretien préalable.

L’employeur prétendait que la salariée n’avait pas agi dans le délai fixé par la loi puisqu’elle avait adressé sa demande avant d’être informée de son licenciement pour motif économique.

Mais la Cour ne suit pas ce raisonnement et précise que :

« si l’article R1233-1 du Code du travail prescrit que la salariée doit formuler sa demande avant l’expiration d’un délai de 10 jours à compter de la date à laquelle elle quitte effectivement son emploi, rien n’interdit à la salariée d’agir auparavant…l’employeur qui n’a pas communiqué les critères d’ordre des licenciements malgré la demande qui lui a été faite…a privé la salariée de la possibilité de contester, lors de l’entretien préalable, le choix de procéder à son licenciement. Ce préjudice sera réparé par l’octroi d’une indemnité que la Cour arbitre à 1 000 € ».

2. Les critères d’ordre des licenciements et la discrimination liée au handicap.

Il existe un contentieux important relatif aux critères d’ordre de licenciement discriminatoires.

Voici deux décisions illustrant les difficultés rencontrées par des salariés handicapés :

1er arrêt : Cour d’Appel de Versailles 25 mai 2022 RG n°19/03629.

Un salarié handicapé fait l’objet d’un licenciement pour motif économique et adhère au contrat de sécurisation professionnelle puis conteste notamment la mise en œuvre du critère d’ordre des licenciements qu’il estime discriminatoire comme lié à son handicap.

Rappelons que l’article L1132-1 du Code du travail prohibe le licenciement du salarié en raison notamment de son handicap.

Dans cet arrêt, l’employeur aurait fait l’usage d’une possibilité offerte par la loi d’introduire des critères d’ordre non prévus par l’article L233-5 du Code du travail.

Ainsi l’employeur avait attribué des notes aux salariés comparés et avait particulièrement attribué de mauvaises notes au salarié handicapé en termes de qualité professionnelle, et de tenue de poste notamment.

Or, si l’employeur justifiait avoir fait travailler le salarié durant 13 ans avec son handicap et lui avoir attribué des points supplémentaires au titre de son handicap, il ne justifiait pas selon la Cour :

« des éléments propres à justifier des notes dont certaines particulièrement mauvaises attribuées au salarié… il conviendra en conséquence… de dire la discrimination établie…intégralement réparé par une indemnité de 2 000 € ».

2ème arrêt : Cour d’Appel de Bordeaux 21 septembre 2022 RGn°19/00247.

Dans cet arrêt, le salarié avait été licencié dans le cadre d’un licenciement pour motif économique individuel.

La loi exige alors de l’employeur qu’il prenne en compte dans le choix du salarié concerné les critères égaux retenus pour fixer l’ordre des licenciements dans le cadre d’un licenciement collectif [2].

A savoir :
- 1. les charges de famille ;
- 2. l’ancienneté dans l’entreprise ;
- 3. les difficultés de réinsertion professionnelles notamment des personnes handicapées ;
- 4 les qualités professionnelles, un de ces critères pouvant être privilégié par l’employeur à la condition de respecter l’ensemble des autres critères légaux.

Or, dans cette décision, l’employeur n’avait tout simplement pas pris en compte la situation de handicap du salarié qui était un des critères légaux qu’il avait l’obligation d’intégrer dans son choix.

Vainement la société expliquait ne pas avoir souhaité mettre en avant le handicap du salarié ce qui aurait été selon elle « déplacé », ayant choisi de retenir seulement le critère de l’âge, critère selon elle « objectif et incontestable ».

S’en tenant aux termes de la loi, la Cour ne pouvait que sanctionner l’employeur :

« si l’employeur peut privilégier l’un des critères relatifs à l’ordre des licenciements c’est à la seule condition d’avoir pris en considération l’ensemble des critères, aussi, en l’absence de prise en compte du handicap, alors que cette caractéristique est de nature à rendre la réinsertion professionnelle plus difficile (et qu’elle figure parmi un des critères d’ordre prévu par la loi)… les règles relatives aux critères d’ordre n’ont pas été respectées.

D’autre part, (la Cour relève) qu’un des éléments retenus pour l’évaluation des qualités professionnelles est critiquable et subjectif – « implication/motivation dans le projet de l’entreprise » - qui n’est ni justifié ni même développé…et le prétendu manque de rigueur n’ayant jamais fait l’objet d’un reproche adressé (au salarié)… Il sera en conséquence considéré que l’ordre des licenciements n’a pas été respecté… Il sera alloué à X la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour inobservation de l’ordre des licenciements ».

3. Les critères d’ordre et la déloyauté de l’employeur.

Cour d’Appel de Grenoble 31 mai 2022 RG n°20/00032.

Une responsable de formation fait l’objet d’un licenciement pour motif économique et conteste les critères d’ordre des licenciements sur les charges de famille.

L’employeur avait attribué des points en fonction de l’âge des enfants de chaque salarié.

Or comme constaté par la Cour :

« ce calcul basé sur l’âge des enfants a eu pour conséquence de privilégier Mme [R] qui avait pourtant moins d’ancienneté, était plus jeune et disposait d’une formation pédagogique moindre, (sans que), l’association X ne démontre en quoi cette distinction opérée selon l’âge des enfants est pertinente et objectivement justifiée quant à la charge réelle des enfants eu égard à leur âge.

Il en résulte qu’en faisant une application déloyale des critères d’ordre par des pondérations non pertinentes, Mme Y a subi la perte de son emploi à l’issue de 20 ans et 11 mois d’ancienneté à 50 ans, ayant encore à sa charge deux enfants…,justifiant la réparation du préjudice subi à hauteur de 34 000 € ».

4. Les critères d’ordre et l’imprécision de l’employeur.

Cour d’appel de Grenoble 5 avril 2022 RG nº 19/03178.

Un chef de chantier licencié pour motif économique conteste son licenciement et entre temps la société fait l’objet d’une liquidation judiciaire, la procédure étant reprise par le mandataire judiciaire.

Celui-ci avait appliqué les critères légaux dans l’ordre suivant : charge de famille, ancienneté, situation rendant la réinsertion professionnelle difficile (handicap et âge), et qualité professionnelle par catégorie professionnelle.

Sur ces critères, le salarié avait obtenu la note la plus basse parmi les autres chefs de chantier sans obtenir de l’employeur des éléments objectifs permettant de justifier du nombre de points obtenus en comparaison de ses collègues.

La Cour constatait effectivement que :

« aucun document de comparaison entre les salariés et notamment s’agissant de leur qualité professionnelle » n’avait été remis par l’employeur.

Le salarié de son côté justifiait de ses compétences professionnelles depuis plus de 30 ans dans le secteur dont dépendait l’employeur, aucun autre CV des salariés de la même catégorie qui n’avaient pas été licenciés n’étaient produits.

La Cour conclut à l’absence d’absence « d’information faite au salarié des éléments objectifs sur lesquels était fondé le choix (de le licencier)… Compte tenu du fait que X était salarié depuis 7 ans… âgé de 57 ans… à ce jour en invalidité… la cour… estime le préjudice… à la somme de 10ı000 € ».

Un arrêt similaire [3] dans lequel l’employeur refusait de communiquer le registre unique du personnel permettant de vérifier que tous les salariés d’une même catégorie professionnelle avaient été pris en compte dans les critères d’ordre des licenciements, alors que comme la Cour le rappelle :

« (C’est à l’employeur de communiquer (aux salariés et à la Cour) les éléments objectifs sur lesquels il a opéré son choix quant à l’ordre des licenciements… l’employeur ne fournit par ailleurs aucun élément probant de nature à justifier les critères d’ordre retenus… les conditions dans lesquelles il les a appliqués au salarié concerné. Causant à X un préjudice pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de son emploi… compte tenu de son ancienneté, de son âge et de ses conditions de retour à l’emploi, la Cour lui allouera la somme de 18 000 € à titre de dommages et intérêts ».

5.Les critères d’ordre et l’erreur d’appréciation de l’employeur.

Cour d’Appel de Toulouse 22 avril 2022 RG n°20/02158.

Une salariée manipulatrice en radiologie et secrétaire licenciée pour motif économique après son retour de congé parental d’éducation.

La salariée conteste son licenciement et relève que l’employeur a bien utilisé une première fois le critère légal de la situation familiale pour apprécier la situation de la salariée et de la collègue à laquelle elle était comparée « l’employeur a indiqué à X lors de l’entretien que ce qui a fait la différence avec Z était la situation familiale. Sur ce plan, les deux salariés ont chacune deux enfants (l’employeur) en instance de divorce et seule avec deux enfants à charge était dans une situation plus difficile que X en couple la note 1+ est objectivée.

La difficulté est que ce critère d’âge avait été de nouveau pris en charge par l’employeur pour attribuer 2 points à la collègue Z et 1 seul point à X en considérant que Z (âgée de 40 ans), parent isolé aura plus de difficulté à retrouver un poste que X âgé de 34 ans et marié ».

Or, ajoute la Cour :

« il a déjà tenu compte de la situation familiale par une majoration de points et la différence d’âge est faible dans cette tranche de vie. Il s’en évince une erreur d’appréciation…

Si la société a déclaré avoir privilégié la situation familiale, elle ne pouvait aller au-delà des critères déjà pris en compte au titre de la situation maritale et des charges de famille, en ajoutant un critère lié à l’âge, sans référence à une exigence particulière de difficulté d’insertion professionnelle, au regard de la faible différence d’âge entre les salariées (alors que la salariée X ayant saisi les juridictions prud’homales avait plus d’expérience que la collègue Z) X est fondée à solliciter des dommages et intérêts ».

Voici un tour d’horizon des décisions les plus éclairantes sur les difficultés rencontrées par les salariés confrontés aux critères d’ordre des licenciements.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail Barreau de Paris www.bouhana-avocats.com

[3Cour d’Appel de Bordeaux 25 mai 2022 RG n°19/00651