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Le secret de l’enquête et de l’instruction, un secret en voie de déperdition ? Par Yanis Kemmat, Etudiant.
Parution : lundi 21 novembre 2022
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Dans l’actualité, le secret de l’enquête et de l’instruction semble constamment violé par les médias. La procédure pénale encadre pourtant le régime juridique du secret de l’enquête et de l’instruction. À la lumière d’exemples récents, cet article s’efforce de dresser un constat sur deux impératifs difficilement conciliable : le droit fondamental à l’information ainsi que le secret de l’enquête et de l’instruction qui a pour vocation la protection de droits fondamentaux et le bon déroulement de la procédure judiciaire. Dès lors, comment s’illustre cette confrontation, comment concilier le secret de l’enquête et de l’instruction et le droit à l’information ?

Le 27 octobre 2022 au cours d’une interview [1], Me Jean-Yves Le Borgne, avocat pénaliste critiquait l’impatience de l’opinion publique et des médias dans la communication d’information relative à une enquête ou à une instruction. Ceci aurait pour conséquence de donner un caractère dérisoire au secret de l’enquête et de l’instruction. En effet, force est de constater une ambivalence entre le temps judiciaire et le temps médiatique. Le temps judiciaire est doté d’une procédure qui dure un certain temps contrairement au temps médiatique, pour qui la communication auprès du public est immédiate. Selon Me Jean-Yves Le Borgne, les médias se substituent à l’instruction et même à la Justice en fournissant des commentaires et des explicatifs de faits délictueux ou criminels. Il y’aurait ainsi un déplacement de la Justice en la création d’un « forum médiatique » [2].

Cette séquence télévisée met en lumière une certaine fragilité du secret de l’enquête et de l’instruction. Cette fragilité avait déjà été soulignée par une mission d’information [3] sur le secret de l’enquête et de l’instruction menée par des parlementaires en 2019. Ces derniers estimaient notamment que « la place du secret est fréquemment remise en cause, son utilisation, même à bon droit, régulièrement assimilée à de l’opacité, voire de la dissimulation » [4].

Mais qu’est-ce qu’un secret ? La loi n’apporte pas de définition du secret, ce dernier désigne selon le dictionnaire Le Robert une information « qui n’est connu que d’un nombre limité de personnes ; qui est ou doit être caché aux autres, au public ».

Juridiquement le secret est « un principe aux termes duquel, sauf les cas où la loi en dispose autrement, les procédures d’instruction et d’enquête sont secrètes pour les personnes qui y concourent. Ces personnes sont soumises aux règles du secret professionnel, dans les conditions de l’incrimination prévue par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal » [5].

De cette manière, la définition du terme secret qu’elle soit du sens courant ou du sens juridique a une signification commune : ne pas rendre connue de tous une ou plusieurs informations.

Le secret est donc une exception au droit fondamental à l’information prévue notamment à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières ».

Ainsi, deux impératifs se confrontent : le droit fondamental à l’information ainsi que le secret de l’enquête et de l’instruction qui a pour vocation la protection de droits fondamentaux et le bon déroulement de la procédure judiciaire. Dès lors, comment s’illustre cette confrontation, comment concilier le secret de l’enquête et de l’instruction et le droit à l’information ?

I- Le secret de l’enquête et de l’instruction, pilier stable de la procédure pénale ?

Le secret de l’enquête et de l’instruction est un pilier stable de la procédure pénale qui en théorie n’est pas fragilisé. Ce secret est précisé à l’article 11 du Code de procédure pénale qui dispose que :

« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues à l’article 434-7-2 du Code pénal.
Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ou lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire agissant avec son accord et sous son contrôle, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause
 ».

Ainsi, à la lecture de cet article, on perçoit un principe fort qui est celui du secret de l’enquête et de l’instruction. Attention toutefois à ne pas confondre le secret de l’enquête et de l’instruction selon Didier Paris magistrat : « Le secret de l’enquête est un secret а l’égard des parties et du public, tandis que le secret de l’instruction est un secret а l’égard du seul public » [6].

Néanmoins, l’article 11 du Code de procédure pénale ne semble pas distinguer d’une part le secret de l’enquête et d’autre part le secret de l’instruction. Effectivement, cet article évoque clairement : « la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ». Mais ce principe est aménagé par une exception qui est celle du droit de communication du procureur de la République.

On pourrait en effet étayer l’hypothèse selon laquelle le droit de communication du procureur de la République viole le secret prévue à l’article 11 CPP. Théoriquement, ce droit de communication porte atteinte au principe du secret étant donné que le procureur peut rendre public des éléments de la procédure en cours. Mais en pratique, le droit de communication du procureur prévu par l’article 11 CPP est conditionné. En effet, il permet « d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ou lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie » ces éléments doivent nécessairement être « objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ». On comprend ainsi que le secret de l’enquête et de l’instruction n’est pas absolu, il existe des dérogations à sa non divulgation.

Toutefois, on pourrait émettre une critique à l’égard de ce droit de communication du procureur de la République. Cette critique serait formulée de la manière suivante : le droit de communication du procureur de la République pourrait causer une violation du secret de la procédure effectuée de manière indirecte par les médias et l’opinion publique. Effectivement, le secret de l’enquête et de l’instruction serait en quelque sorte violé par ricochet. Les médias et l’opinion publique se saisiraient des informations communiquées par le procureur afin de discuter et commenter ces mêmes informations, cela créerait ainsi un véritable « forum médiatique » où la présomption d’innocence des prévenus pourraient être atteintes.

Les propos [7] révélés par un chroniqueur sur la chaîne télévisée C8 témoignent de ce principal risque. Ce dernier réclamait à une heure de grande écoute un « jugement expéditif » ainsi qu’une « perpétuité directe » ou encore le fait que la prévenue ne devait pas recevoir de défense. Suite à ces propos, l’ARCOM [8] a ouvert une instruction pour déterminer d’éventuellement manquements du chroniqueur. La décision [9] de l’ARCOM a été rendue le 16 novembre 2022, il a été estimé que les propos du chroniqueur entraient en contrariété avec le principe de la présomption d’innocence ainsi que la présence d’« un défaut de mesure dans l’évocation d’une procédure judiciaire criminelle en cours, dans le cadre, au surplus, d’un programme bénéficiant de larges audiences » [10].

Cet exemple permet de comprendre que le secret de l’enquête et de l’instruction permet de protéger la présomption d’innocence des mis en cause et de ce fait garantir au justiciable un procès équitable au sens de l’article 6 CESDH, c’est-à-dire le droit à « un procès équilibré entre toutes les parties (aequus = équilibre) dont les principales manifestations, dans la jurisprudence de la Cour EDH, sont : le droit à un recours effectif devant un tribunal, le droit à un tribunal indépendant et impartial ; le droit à un procès public, respectant l’égalité des armes et conduisant à un jugement dans un délai raisonnable ; le droit à l’exécution effective de la décision obtenue » [11]. En sus, le secret de l’enquête et de l’instruction permet de :
- Garantir le bon déroulement de l’enquête et de l’instruction,
- Garantir la protection des preuves et des témoignages,
- Protéger les personnes concernées par la procédure afin de garantir leurs droits fondamentaux (vie privée et présomption d’innocence notamment),
- Garantir l’impartialité des acteurs qui concourent à la chaine pénale en les isolants de la pression médiatique ou de l’opinion publique (policiers, avocats, greffiers, magistrats…).

Ainsi, le secret de l’enquête et de l’instruction est un pilier stable de la procédure pénale, bien ancré dans le système normatif français mais force est de constater que ce secret est fragilisé. Dès lors, une évolution du secret de l’enquête et de l’instruction semble a priori nécessaire.

II- Vers une évolution possible du secret de l’enquête et de l’instruction ?

Le rapport de mission d’information sur le secret de l’enquête et de l’instruction [12] rendu public en 2019 précise qu’il faut aller vers une évolution du secret de l’enquête et de l’instruction. Néanmoins, force est de constater que le secret de l’enquête et de l’instruction se heurte au principe de la liberté d’expression protégé par le droit de la CEDH [13]. En effet, en cas de violation du secret de l’enquête et de l’instruction, les poursuites sont possibles mais se retrouvent limitées par la liberté d’expression et son corollaire : le principe de secret des sources.

Comme le soulignait la mission d’information sur le secret de l’enquête et de l’instruction : « il est rare que la violation se fasse sans l’intermédiaire de la presse ».

Ainsi, les journalistes sont souvent uniquement condamnés en cas de divulgation de pièces de procédure c’est-à-dire une divulgation qui ne laisse présager aucun doute sur le fait qu’une personne liée par le secret a rompu ce dernier. Dès lors, la Chambre criminelle confirme systématiquement la condamnation du journaliste, en illustre l’arrêt rendu le 9 juin 2015 [14], les juges ont pu estimer que :

« Attendu que, pour retenir à l’encontre de M. X...un manquement aux devoirs et responsabilités que comporte l’exercice de sa liberté d’expression de journaliste, et, en conséquence, le déclarer coupable du délit de recel, l’arrêt relève que le droit d’informer le public sur le déroulement de la procédure pénale en cours devait être confronté aux exigences de confidentialité de l’enquête portant sur des faits de nature criminelle d’une exceptionnelle gravité et se trouvant dans sa phase la plus délicate, celle de l’identification et de l’interpellation de l’auteur présumé ; que la publication du portrait-robot du suspect, à la seule initiative du journaliste, qui n’en avait pas vérifié la fiabilité, et au moment choisi par lui, avait entravé le déroulement normal des investigations, contraignant le magistrat instructeur et les services de police à mettre en œuvre, le lendemain de la publication de l’article, la procédure d’appel à témoin ; Attendu qu’en se déterminant par ces motifs, la cour d’appel a justifié sa décision, sans méconnaître les dispositions de l’article 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors que la liberté d’expression peut être soumise à des restrictions nécessaires à la protection de la sûreté publique et la prévention des crimes, dans lesquelles s’inscrivent les recherches mises en œuvre pour interpeller une personne dangereuse ».

De la sorte, le secret des sources des journalistes n’est pas absolu, la Chambre criminelle comme la CEDH établissent des limites au secret des sources des journalistes. En effet, la CEDH reconnait pleinement la liberté d’expression, en atteste l’arrêt Handyside contre Royaume-Uni mais elle fixe des limites à la liberté d’expression et au secret des sources des journalistes en estimant que : « si elle ne doit pas franchir les bornes fixées en vue, notamment, de préserver la « sécurité nationale » ou de « garantir l’autorité du pouvoir judiciaire », il incombe néanmoins de communiquer des informations et des idées sur des questions d’intérêt public. À sa fonction qui consiste à en diffuser, s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. S’il en était autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de « chien de garde » » [15]. Cette idée « d’intérêt public » dégagée par la CEDH semble avoir été reprise dans la nouvelle rédaction de l’article 11 CPP : « (…) lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie, le procureur de la République peut, (…) rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure (…) ».

La jurisprudence de la CEDH semble permettre une conciliation du secret de l’enquête et de l’instruction avec le droit à l’information. Cependant, en pratique, les violations du secret de l’enquête et de l’instruction s’accumulent. En atteste par exemple la teneur des procès verbaux d’auditions de l’affaire Lola qui ont fuités dans la presse ou encore la révélation par une chaîne télévisée de la présence de civils dans une chambre froide lors de la prise d’otage de l’hyper cacher en 2015.

Plus récemment, le Conseil constitutionnel a pu estimer le 28 octobre 2022 qu’un tiers à une procédure ne peut demander l’annulation d’un acte violant le secret des sources. Cette décision a été justifiée par la protection de l’intérêt des parties au cours d’une instruction judiciaire. Ainsi, le Conseil constitutionnel estime que :

« En réservant à ces personnes la possibilité de contester la régularité d’actes ou de pièces versés au dossier de la procédure, le législateur a entendu préserver le secret de l’enquête et de l’instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celles-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 » [16].

De la sorte, le Conseil constitutionnel fait prévaloir le secret de l’enquête et de l’instruction sur le secret des sources d’un journaliste au nom de l’intérêt des personnes concernées par l’instruction et au nom de la prévention des atteintes à l’ordre public.

Ainsi, les juridictions internes semblent affirmer qu’il y a une ligne rouge à ne pas dépasser. Les auteurs de la QPC ont annoncés leurs intentions de saisir la CEDH. Il est ainsi clair que la protection du secret de l’enquête et de l’instruction est sans cesse remise en cause. Des limites ont étés placées par les juridictions internes ou internationales. La divergence d’intérêt entre la protection d’une part du secret de l’enquête et de l’instruction et d’autre part la protection du secret des sources ne semble pas trouver de compromis viable.

En effet, l’un accuse l’autre de violer ses intérêts propres et inversement. Une évolution du secret de l’enquête et de l’instruction semble dès lors compliqué étant donné la défense des intérêts fondamentaux propres en causes (liberté d’expression et protection du secret des sources /secret de l’enquête et de l’instruction).

Yanis Kemmat, étudiant M2 droit

[1Interview sur la chaîne télévisée BFMTV le 27/10/2022 à 20:37 à propos du meurtre de Justine Vayrac.

[2Ibidem.

[3Rapport mission d’information sur le secret de l’enquête et de l’instruction est composée de MM. Xavier Breton et Didier Paris, rapporteurs.

[4Ibidem n°2.

[5Lexique des termes juridiques Dalloz 2018-2019 p.983.

[6État des lieux et propositions de réforme sur le secret de l’enquête et de l’instruction - Didier Paris - Légipresse 2021. 19.

[7Émission du mardi 18 octobre Touche pas à mon poste -TPMP- sur C8.

[8Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

[9Décision de l’ARCOM du 16 novembre 2022 n°2022-704.

[10Considérant n°8 de la décision de l’ARCOM.

[11Lexique des termes juridiques Dalloz 2018-2019 p.854.

[12Rapport mission d’information sur le secret de l’enquête et de l’instruction est composée de MM. Xavier Breton et Didier Paris, rapporteurs.

[13CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, n° 5493/72.

[14Cass., Crim., 9 juin 2015, 14-80.713. Voir en ce sens précédent Crim., 6 mars 2012, pourvoi n° 11-80.801, Bull. crim. 2012, n° 61.

[15CEDH, 26 novembre 1991, Sunday Times c. Royaume-Uni, n° 13166/87.

[16Décision n° 2022-1021 QPC du 28 octobre 2022.