Village de la Justice www.village-justice.com

Loi Carrez, Loi Boutin, DPE : que faut-il désormais retenir en matière de mesurage ? Par Fanny Quilan, Juriste.
Parution : samedi 26 novembre 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/loi-carrez-loi-boutin-dpe-que-faut-desormais-retenir-matiere-mesurage,44397.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

En matière immobilière, le critère de la « surface » s’impose pour décrire et estimer un bien sur le marché.

Retenons que le législateur impose des règles précises de mesurage, mais différentes selon la nature du bien mais aussi de l’acte passé (location ou vente).
En la matière, il s’agit principalement de la loi « Carrez » applicable exclusivement aux bien situés en copropriété et mis en vente, mais aussi de la loi « Boutin » applicable exclusivement aux biens mis en location qu’ils soient autonomes ou situés en copropriété.

Deux textes législatifs aux aspects bien différents régissent donc les règles relatives au mesurage d’un bien :
- La « surface privative » d’un bien définie par la Loi n° 96-1107 du 18 décembre 1996 « améliorant la protection des acquéreurs d’un lot de copropriété », dite loi « Carrez », applicable (comme son nom l’indique) exclusivement aux biens situés en copropriété et dont la rigueur en matière de mesurage vise à protéger l’acquéreur d’un lot mis en vente ;
- La « surface habitable » d’un bien définie par la loi n°2009-323 du 25 mars 2009 « de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion », dite loi « Boutin », applicable exclusivement aux biens mis en location, qu’ils soient autonomes ou en copropriété, et dont la rigueur en matière de mesurage vise à protéger le locataire d’un bien mis en location.

Prenons un instant pour observer qu’aucune règle de mesurage ne semble régir le cas du bien autonome mis en vente (la loi « Boutin » n’ayant vocation à s’appliquer qu’en matière de location ; tandis que la loi « Carrez » ne s’applique qu’à l’égard des biens mis en vente situés en copropriété).
Une incongruité mise en lumière par la récente réforme DPE, puisque les informations portées à ce diagnostic, parmi lesquelles le mesurage du bien sont opposables depuis 1 er juillet 2021.

Voici un éclairage de ce qu’il faut comprendre en matière de mesurage pour la réussite de vos ventes immobilières.

I. Vente d’un bien en copropriété : la surface privative du bien doit être mentionnée à l’acte de vente.

a) Le fondement et le champ d’application.

La vente d’un lot en copropriété exige bel et bien de réaliser, ou de fournir, un certificat de mesurage, et ce, nonobstant la destination du bien. Tous les lots en copropriété sont concernés par cette obligation à la condition de répondre aux critères de mesurage détaillés au point b).

Cette obligation légale découle de l’art.46 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut des immeubles en copropriété, créée par l’entrée en vigueur de la loi « Carrez ».

Ainsi qu’il est dit aux intitulés respectifs de ces deux lois, la loi Carrez est exclusivement applicable aux biens en copropriété et mis en vente.
Dès lors, l’art.46 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 indique que :

« Toute promesse unilatérale de vente ou d’achat, tout contrat réalisant ou constatant la vente d’un lot ou d’une fraction de lot mentionne la superficie de la partie privative de ce lot ou de cette fraction de lot. La nullité de l’acte peut être invoquée sur le fondement de l’absence de toute mention de superficie. [...] »

Les règles abordées aux points b) et c) du Chapitre I seront donc exclusivement applicables à la vente des biens situés en copropriété.

b) Les critères de mesurage.

Pour satisfaire à cette obligation légale, le diagnostiqueur (dont le concours n’est pas obligatoire, mais fortement recommandé !) doit éditer une attestation de mesurage. Cette attestation est un certificat déterminant la « surface privative » du bien situé en copropriété et mis en vente.

Les critères de mesurage de la « surface privative » sont posés par l’art.4.1 du décret n°67-223 du 17 mars 1967 indiquant que :

« La superficie de la partie privative d’un lot [..] est la superficie : des planchers des locaux clos et couverts après déduction des surfaces occupées par les murs, cloisons, marches et cages d’escalier, gaines, embrasures de portes et de fenêtres. Il n’est pas tenu compte des planchers des parties des locaux d’une hauteur inférieure à 1,80 mètre »

Mais aussi par l’art.4-2 du même décret qui ajoute que :

« Les lots ou fractions de lots d’une superficie inférieure à 8 mètres carrés ne sont pas pris en compte pour le calcul de la superficie mentionnée à l’art. 4-1. »

Ainsi définie la « surface privative » d’un lot mis en vente est la surface « d’un lot ou d’une fraction de lot » en copropriété (verticale ou horizontale), clos, couvert et d’une hauteur supérieure ou égale à 1,80 mètre, et d’une superficie supérieure ou égale à 8m2.

Au sens de la loi Carrez et de son décret application, la « surface privative » est donc l’addition des pièces suivantes :
- Pièces classiques ;
- Combles aménagés ;
- Combles non aménagés ;
- Lorsqu’ils sont clos, couvert, d’une hauteur supérieure ou égale à 1,80 mètre : vérandas, loggias, mansardes, sous-sols contiguë, ainsi que les placards et dressings à la condition que le niveau du sol soit le même que le reste de la pièce ;
- Grenier ;
- Réserve ;
- Remises.

Seront exclus de ce mesurage : « les surfaces occupées par les murs, cloisons, marches et cages d’escalier, gaines, embrasures de portes et de fenêtres », « les planchers des parties des locaux d’une hauteur inférieure à 1,80 mètre » ; les pièce, espace, locaux, d’une hauteur inférieure à 1.80m ; les terrasses, balcons (non couverts et non clos) ; l’art.46 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 excluant également « les caves, garage, parking, et enfin les locaux communs à la copropriété ».

Connaître ces cas d’exclusions est important dans le cadre de votre obligation de vigilance.
En cas de doute sur le mesurage, relisez le titre de propriété et/ou le règlement de copropriété.
Si le doute persiste, mieux vaudra éditer une attestation de mesurage inférieure à la superficie réelle du bien qui sera alors supérieure à celle annoncée (= aucun risque en contestation), plutôt que d’éditer une attestation de mesurage supérieure à la superficie réelle du bien qui sera, alors, inférieure à celle annoncée (= risque en contestation).

Rappelons que l’agent pourra voir sa responsabilité engagée - conjointement à celle du notaire et du diagnostiqueur - dès lors qu’une lecture simple et complète du certificat lui aurait permis de s’apercevoir d’une erreur commise [1].

Dernier conseil, dans le cas où le lot vendu aurait fait de travaux, ou d’un changement de destination impliquant la réalisation de travaux il sera recommandé d’actualiser le certificat de mesurage, puisqu’un doute quant à la superficie réelle du bien vendu pourra subsister [2].

c) Les sanctions applicables.

1. L’action en nullité de l’acte de vente.

La vente d’un lot en copropriété exigeant bel et bien de fournir un certificat de mesurage. Tout manquement à cette règle sera passible d’une sanction à la demande de l’acquéreur.

En effet, l’art.46 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 ajoute à ce sujet que :

« [l’acquéreur] peut intenter l’action en nullité, au plus tard à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de l’acte authentique constatant la réalisation de la vente. »

Ce mêmearticle ajoutant au sujet de l’action en nullité que :

« La signature de l’acte authentique constatant la réalisation de la vente mentionnant la superficie de la partie privative du lot ou de la fraction de lot entraîne la déchéance du droit à engager ou à poursuivre une action en nullité de la promesse ou du contrat qui l’a précédé, fondée sur l’absence de mention de cette superficie. »

Dès lors, l’action en nullité est ouverte au profit de l’acquéreur, lorsque l’acte de vente définitif (et l’avant contrat le précédant) n’indiquent pas la mention de la surface privative. L’action en nullité pouvant alors être intentée au plus tard à l’expiration d’un délai d’1 mois à compter de l’acte authentique constatant la réalisation de la vente.

En outre, lorsque l’avant contrat n’indique pas la superficie de la partie privative, seule la signature de l’acte authentique mentionnant la superficie permet de régulariser la nullité de l’avant-contrat et ainsi d’entraîner la déchéance du droit à engager une action en nullité de l’avant-contrat [3].
Retenons que seule la signature de l’acte authentique mentionnant la superficie privative du bien permet d’entraîner la déchéance du droit à engager ou à poursuivre une action en nullité de l’avant contrat [4].

2. L’action en réduction du prix.

Pour finir, l’art.46 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 indique que «  Si la superficie est supérieure à celle exprimée dans l’acte, l’excédent de mesure ne donne lieu à aucun supplément de prix.  »
A l’inverse, « Si la superficie est inférieure de plus d’un vingtième à celle exprimée dans l’acte, le vendeur, à la demande de l’acquéreur, supporte une diminution du prix proportionnelle à la moindre mesure. »
Cet article précise que :

« L’action en diminution du prix doit être intentée par l’acquéreur dans un délai d’un an à compter de l’acte authentique constatant la réalisation de la vente, à peine de déchéance. »

Cette action étant très lourde puisqu’elle n’impose ni faute, ni tromperie de la part du vendeur, ni même de préjudice pour l’acquéreur.
En revanche, elle ne pourra prospérer qu’à la condition pour l’acquéreur de démontrer une erreur de mesurage, c’est-à-dire de prouver que la superficie réellement vendue est inférieure de plus d’1/20e (soit 5%) à la superficie exprimée dans l’acte de vente.

Cette action en réduction du prix sera ouverte à l’acquéreur dans un délai d’1 an courant à compter de la signature de l’acte authentique, celui-ci pourra alors demander une diminution du prix au prorata du nombre de mètres carrés manquants.
Le préjudice réparable s’analysant dans la perte de chance de vendre le bien au même prix pour une surface moindre correspondant à la surface effective de celui-ci, puisqu’il s’avère que la surface est l’un des critères de détermination du prix de vente.

II. Vente d’un bien autonome : la surface habitable doit être mentionnée au DPE et être exacte !

a) L’état du droit en ce qui concerne le mesurage d’un bien autonome mis en vente.

Prenons un instant pour observer qu’aucune règle de mesurage ne semble régir le cas du bien autonome qui est mis en vente (la loi « Boutin » n’ayant vocation à s’appliquer qu’en matière de location ; tandis que la loi « Carrez » ne s’applique qu’à l’égard des biens mis en vente situés en copropriété).

Jusqu’à l’entrée en opposabilité du DPE, il était acquis que la mise en vente d’un bien autonome ne souffrait aucune obligation de mesurage, faute de législation à ce sujet.
Rappelons également que « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » [5].
La mise en vente d’un bien autonome n’était donc astreinte à aucune obligation de mesurage, faute d’obligation légale, tel était le droit applicable (où plutôt l’absence de droit).

b) La situation a bel et bien évolué depuis le 1er juillet 2021 avec l’entrée en opposabilité du DPE.

L’état du droit en matière de mesurage d’un bien autonome semble avoir évolué avec la récente réforme DPE, puisque les informations portées à ce diagnostic, parmi lesquelles la mention de la surface d’un bien, sont opposables depuis 1 er juillet 2021 [6].

Rappelons que l’indication du mesurage d’un bien figure en gras au titre des informations préambulaires du DPE, ainsi qu’en page 7 au titre des ’Généralités’ du bien.
Rappelons ensuite que le mesurage ainsi renseigné présente une importance certaine pour l’estimation des dépenses annuelles énergétiques (page 1 du DPE) qui en dépendra notamment.

Le mesurage renseigné en page 1 et 7 étant désormais rendu opposable par la récente réforme du DPE, il sera nécessaire d’y accorder une attention particulière, et au besoin (en cas de doute quant à la surface renseignée) de demander l’édition d’un certificat de mesurage.

c) Les critères de mesurage.

L’Art. R156-1 du CCH définit les critères de mesurage qui seront, a priori, applicables dans le cas de la vente d’un bien autonome (faute de disposition légale à ce sujet).

Par application de cet Art., la surface habitable d’un bien autonome serait « [..] la surface de plancher construite, après déduction des surfaces occupées par les murs, cloisons, marches et cages d’escaliers, gaines, embrasures de portes et de fenêtres. Le volume habitable correspond au total des surfaces habitables ainsi définies multipliées par les hauteurs sous plafond.
Il n’est pas tenu compte de la superficie des combles non aménagés, caves, sous-sols, remises, garages, terrasses, loggias, balcons, séchoirs extérieurs au logement, vérandas, volumes vitrés prévus à l’art. R. 155-1, locaux communs et autres dépendances des logements, ni des parties de locaux d’une hauteur inférieure à 1,80 mètre.
 »

Au sens de cet article la « surface habitable » serait l’addition des pièces suivantes :
- Pièces classiques ;
- Combles aménagés.

Exclusion faite des terrasses, loggias, balcons, séchoirs extérieurs au logement, vérandas, volumes vitrés prévus à l’art.R. 155-1, locaux communs et autres dépendances des logements, ainsi que des parties de locaux d’une hauteur inférieure à 1,80 mètre.

Ces critères de mesurage étant drastiquement restreints en comparaison à ceux de la loi « Carrez ».

Le DPE ne faisant mention que d’une surface habitable et non d’une surface utile.
La surface utile définie à l’art.D.331-10 du CCH n’étant pas retenue pour l’information portée au DPE (la surface utile peut présenter un intérêt pour l’estimation de votre bien, elle se calcul en augmentant la surface habitable de la moitié de la surface des annexes).

d) Les sanctions applicables.

Jusqu’à l’entrée en opposabilité du DPE, l’acquéreur ne pouvait agir que sur le fondement du dol.
Le dol ne pouvant être invoqué, qu’à la condition pour l’acquéreur de justifier de dissimulations ou d’agissements réalisés intentionnellement par le vendeur dans le dessein d’induire en erreur l’acquéreur.
Sans dissimulations particulières, ni manœuvres démontrées et destinées à tromper, la mention erronée de la surface ne démontre pas une volonté de tromper [7].

Depuis l’entrée en opposabilité du DPE, l’acquéreur pourra agir sur le fondement de la délivrance conforme du bien.
Cette règle de droit étant posée à l’art.1604 du c.civ indiquant que :

« La délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur ».

Cette notion s’appréciant par rapport à la chose promise et aux caractéristiques annoncées.

Il faudra donc détailler très précisément le bien vendu et le délivrer dans son identité même, puisqu’il n’y aura pas de délivrance conforme si certaines des caractéristiques annoncées au contrat de vente font finalement défaut, comme cela pourra être le cas, notamment, pour le mesurage annoncé au DPE et dont la valeur juridique sera désormais opposable au vendeur.
D’où l’importance de demander au diagnostiqueur l’édition systématique d’un certificat de mesurage, même lorsque cela concernera la vente d’un bien autonome.

Fanny Quilan Responsable juridique du réseau immobilier AXO

[1Exemple : le diagnostiqueur avait intégré à tort, la cave dans le calcul de la Carrez, CA d’Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 3 septembre 2019, RG n° 17/07459 ; la cuisine américaine avait été comptée 2 fois, la surface était donc inférieure de plus d’1/20e à celle exprimée dans l’acte de vente Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 1re chambre A, 14 mars 2017, RG n° 15/13918.

[2Cour de Cassation, 3e chambre civile. 4 mars 2021 n° 20-12.723.

[3Cass. 3e civ. 22-11-2018 n° 17-23.366.

[4Cf : le certificat de mesurage postérieurement annexé par avenant à l’avant-contrat signé n’entraîne pas la déchéance du droit à engager l’action en nullité. L’acquéreur sera alors en mesure de retirer de la procédure de vente à son gré et sans pénalités (Cass. 3e civ. 22-11-2018 n° 17-23.366).

[6Art. 179 III de la ELAN venu modifier les art. L134-3-1 et L271-4 du CCH et 3.3 de la loi du 6 juillet 1989, afin de rendre les informations du DPE opposables à compter du 1 er juillet 2021 ; Le Décret n°2020-1610 et le Décret n°2020-1609 accompagnaient l’entrée en vigueur de cette opposabilité.

[7Cour de Cass. Civ 3, 7 septembre 2022, D 21-19.292.