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Renonciation au droit d’eau fondé en titre et conséquences pour l’acquéreur. Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.
Parution : mardi 29 novembre 2022
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L’arrêt du 22 novembre 2022 rappelle que le droit d’eau fondé en titre est un droit réel exclusivement attaché à des ouvrages pour l’usage des moulins qui a pour effet de conférer de plein droit à son propriétaire l’autorisation d’exploitation de l’ouvrage pour une période illimitée. La renonciation au droit d’eau attaché au moulin emporte extinction de ce droit et s’impose aux nouveaux acquéreurs du moulin, en cas de vente de l’ouvrage.

Dans cet arrêt, saisi de la question de savoir si le droit d’eau fondé en titre subsistait à la vente du moulin, alors même que la renonciation à ce droit était intervenue antérieurement à la vente, le Conseil d’Etat répond par la négative. Il confirme ainsi que dès lors que le propriétaire a renoncé à ce droit, cette renonciation s’impose au nouvel acquéreur.

CAA Bordeaux, 22 novembre 2022, req. n°20BX03159.

1.- Par un arrêté du 9 juillet 2014, le préfet des Deux-Sèvres a constaté la perte du droit d’eau fondé en titre du Moulin Neuf, situé sur la rivière le Thouet, sur le territoire de la commune d’Azay-le-Thouet. Il a abrogé l’arrêté du 14 août 1860 portant règlement d’eau du moulin et a ordonné la suppression du déversoir, des vannes et des palplanches de l’ouvrage dans un délai de deux ans. Le 2 décembre 2016, le moulin a été cédé à de nouveaux acquéreurs, l’acte de vente n faisant pas mention de l’existence d’un éventuel droit d’eau fondé en titre.

Le 1er septembre 2017, un constat, établi par les services de la direction départementale des territoires, a mis en évidence que des travaux avaient été réalisés. Plus précisément, il a été constaté que le déversoir avait été consolidé à l’aide de béton et que les vannes avaient été refaites. Par arrêté du 30 mars 2018, la préfète des Deux-Sèvres a adressé aux nouveaux propriétaires du moulin une mise en demeure de respecter l’article 2 de l’arrêté du 9 juillet 2014 en supprimant le déversoir et les vannes du moulin dans un délai de six mois.

Les nouveaux acquéreurs ont saisi le Tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral du 30 mars 2018, pris en méconnaissance de leur droit d’eau fondé en titre. Par un jugement en date du 17 juillet 2020, le tribunal a rejeté leur demande. Les acquéreurs ont interjeté appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux devait se prononcer, d’une part, sur la question de savoir si la ruine des ouvrages permettant l’utilisation de la force motrice était de nature à entraîner la perte du droit d’eau fondé en titre, et d’autre part, si les acquéreurs pouvaient se prévaloir d’un tel droit alors même que la perte de ce droit était intervenue antérieurement à l’acquisition du moulin.

Répondant à la première question par la négative, la Cour administrative d’appel de Bordeaux s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’Etat [1] particulièrement favorable au maintien de ce « droit hors des temps modernes » et jugé qu’alors même que le moulin n’aurait pas fonctionné depuis plus de 40 ans et que les roues ou turbines d’usinage de l’eau, qui ne sont pas des éléments essentiels de l’ouvrage, auraient disparu, le droit d’eau attaché au moulin Neuf ne peut être regardé comme ayant été perdu du fait de la ruine des ouvrages permettant l’utilisation de la force motrice de l’eau.

La Cour répond par l’affirmative à la seconde question. Après avoir relevé que les anciens propriétaires avaient expressément renoncé à leur droit d’eau fondé en titre, que l’acte de vente ne faisait pas mention d’un droit fondé en titre mais seulement de « parcelles de terre agricole sur lesquelles est édifié un bâtiment en ruine », la Cour juge que le droit réel immobilier constitué par le droit fondé en titre attaché au moulin Neuf doit être regardé comme ayant été éteint par la renonciation des propriétaires à ce droit, de sorte que ce droit n’a pu être transmis aux nouveaux propriétaires.

2.- Cet arrêt attire l’attention à plusieurs titres.

2.1.- En premier lieu, la Cour administrative d’appel de Bordeaux s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence ancienne aux termes de laquelle le droit d’eau fondé en titre est attaché à la prise d’eau et à l’utilisation de la force hydraulique et non à l’ouvrage en tant que tel.

« Il en résulte qu’un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau. Ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L’état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète ».

Le droit d’eau fondé en titre perdure si les ouvrages essentiels ne sont pas en état de ruine et s’ils ne nécessitent pas une reconstruction complète. Ainsi, ni l’absence d’entretien d’un ouvrage [2], ni le défaut d’entretien d’un ouvrage conformément à un règlement d’eau [3], ni l’existence d’une brèche de 8 mètres de longueur pour une surface de près de 30 m² sur un barrage [4] ne sont susceptibles d’entraîner la perte du droit fondé en titre.

Faisant application de ces principes, la Cour relève que les vannes de décharge situées à l’entrée du bief ne sont plus fonctionnelles, qu’un rideau de palplanches situé en amont empêche tout écoulement d’eau dans le bief et toute gestion du niveau d’eau dans ce canal, que ce canal était envasé et très encombré par de la végétation et que la roue ou la turbine employant la force motrice de d’eau n’existait plus, ainsi que l’ancien ouvrage de répartition des eaux entre le bief et le déversoir.

Pour autant, elle en déduit qu’il ne

« résulte d’aucun élément de l’instruction, et notamment pas de ce rapport, que les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice de l’eau avaient disparu ou qu’il n’en restait que de simples vestiges de sorte qu’ils auraient dû être reconstruits pour être utilisés ».

Selon la juridiction, rien ne permet d’en déduire que l’enlèvement des palplanches et le nettoyage du canal d’amenée n’auraient pas suffi à la remise en état de la prise d’eau. Ainsi, s’il y a lieu de réaliser des travaux, ceux-ci ne sauraient s’analyser comme une reconstruction complète des ouvrages essentiels du moulin. Par suite, le droit d’eau attaché au moulin Neuf ne peut être regardé comme ayant été perdu du fait de la ruine des ouvrages permettant l’utilisation de la force motrice de l’eau.

Ainsi, l’absence d’utilisation prolongée et le délabrement ne sont pas « de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit » [5].

2.2.- En second lieu, la Cour s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence judiciaire qui a déjà qualifié ce droit de droit réel immobilier [6] et la jurisprudence du Conseil d’Etat [7], Ministre de la Transition écologique et solidaire). Elle réaffirme expressément sa nature de « droit réel immobilier ». Mais surtout, elle rappelle que ce droit d’eau fondé en titre n’est pas perpétuel et qu’il est possible d’y renoncer. La renonciation doit être expresse ou doit être révélée par une volonté manifeste de renoncer à ce droit.

A titre d’exemple, il a ainsi été jugé que le fait de s’engager à démonter un moulin, en contrepartie du versement d’une indemnité, caractérisait une volonté manifeste de renoncer à ce droit [8]. A contrario, la circonstance qu’un moulin n’ait pas été utilisé depuis 1920, n’est pas de nature à elle seule à remettre en cause le droit fondé en titre [9]. La Cour relève que l’ancien propriétaire du moulin a attesté, par écrit, donner son accord à la proposition des services de la direction départementale des territoires de « supprimer le droit d’eau » du moulin Neuf. Il a également, en 2014, signé une convention avec le syndicat mixte de la vallée du Thouet en vue de la réalisation des travaux de restauration de la continuité écologique au niveau du moulin Neuf comportant notamment la démolition du seuil et du déversoir, sous la maîtrise d’ouvrage du syndicat mixte et avec les financements de celui-ci et de ses partenaires financiers.

De tels actes révèlent une volonté manifeste et sans ambiguïté de renoncer au droit d’eau attaché au moulin Neuf. Lors de la vente du moulin, l’acte de vente vise des « parcelles de terre agricole sur lesquelles est édifié un bâtiment en ruine ». La Cour en déduit que le droit réel immobilier constitué par le droit fondé en titre attaché au moulin Neuf doit être regardé comme ayant été éteint par la renonciation des propriétaires à ce droit. Les nouveaux acquéreurs ne sauraient donc s’en prévaloir.

La Cour rejette l’appel et confirme le jugement de première instance.

A l’instar du droit de propriété qui ne peut se perdre sans renonciation expresse de la part de son titulaire, ce droit réel immobilier ne peut se perdre que par une renonciation expresse, matérialisée par des actes et une volonté non équivoque, interprétée de manière stricte par la jurisprudence. La renonciation par le vendeur au droit d’eau fondé en titre s’impose aux nouveaux acquéreurs qui ne peuvent s’en prévaloir.

Anne-Margaux Halpern Avocat - Droit public des affaires Barreau de Lyon Adaltys Avocats

[1CE, 24 avril 2019, n° 420764, Ministre de la Transition écologique et solidaire ; CE, 5 juillet 2004, n° 246929, SA Laprade Énergie.

[2CAA Marseille, 11 mars 2014, n° 12MA03453.

[3CAA Bordeaux, 2 mai 1996, n° 95BX0007, Beaumont c/ SIVOM de Navarrens.

[4CAA Bordeaux, 20 mars 2018, n° 17BX02848, n° 17BX02891.

[5CE, 7 février. 2007, n° 280373, Sable.

[6Cass. Civ. 3ème, 6 février 1985, Bull. civ. III, n°24, p. 17.

[7CE, 24 avril 2019, n° 420764.

[8Cass. 3e civ., 28 nov. 2012, n° 11-20.156.

[9CE, 7 février 2007, n° 280373.