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Fintechs : le "bac à sable réglementaire", une nécessité ou une pratique dangereuse ? Par Jazil Lounis, Elève-Avocat.
Parution : mardi 29 novembre 2022
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L’essor des fintechs pose de nombreuses problématiques d’ordre juridique. Et pour cause, les besoins réglementaires du secteur financier peuvent être lourds. Soit en raison de la quantité de règles à respecter, soit parce que certaines d’entre elles peuvent s’avérer obsolètes, compte tenu de l’impact de la technologie et de l’innovation sur le développement du secteur financier.

Afin de pallier cela, certains États ont fait le choix du bac à sable réglementaire, autrement dit la possibilité laissée aux entreprises de tester et d’expérimenter des produits, services ou activités nouveaux et innovants dans un cadre réglementaire assoupli.

Seulement, si cette solution peut permettre de résorber certaines défaillances, il n’en reste pas moins que des risques subsistent. Ce faisant, le bac à sable réglementaire est-il une nécessité ou une pratique dangereuse ?

Sur plus de 750 fintechs interrogées dans le cadre du rapport doing business de la Banque mondiale en 2020, 96% d’entre elles estiment que la réglementation existante constitue un obstacle à l’innovation. Et pour cause, les besoins réglementaires du secteur financier peuvent être lourds, soit en raison de la quantité de règles à respecter, soit parce que certaines d’entre elles peuvent s’avérer obsolètes, compte tenu de l’impact de la technologie et de l’innovation.

Pour y remédier, certains États ont fait le choix de mettre en place des bacs à sable réglementaire. Le pionnier en la matière est le Royaume-Uni. En 2015, le Royaume-Uni était le seul pays qui disposait d’un bac à sable réglementaire. Aujourd’hui, plus de 70 États envisagent de mettre en œuvre ou ont déjà mis en œuvre un bac à sable réglementaire, ce qui n’est pas l’approche préconisée par les autorités de régulation française.

Qu’est-ce que le bac à sable réglementaire ?

Les bacs à sable réglementaire désignent des outils réglementaires permettant à des entreprises sélectionnées de tester et d’expérimenter des produits, services ou activités nouveaux et innovants dans un cadre réglementaire assoupli sous la supervision d’un régulateur pendant une période limitée.

A contrario, un bac à sable réglementaire ne constitue pas une autorisation permanente ni un terrain d’essai pour déterminer la viabilité commerciale d’une idée.

Bien que les bacs à sable réglementaire diffèrent d’un État à un autre, certaines similitudes subsistent, notamment au regard des :

Objectifs poursuivis :

- Innovation,
- Intérêt du consommateur,
- Partage des connaissances entre le régulateur et les entreprises,
- Soutien à l’industrie et au développement économique.

Critères et processus d’entrée :

- Caractéristique de l’entreprise : être soumise à la juridiction de l’autorité de régulation de l’État concerné,
- Caractéristique du produits/services : caractère innovant du produit/service (définition qui varie d’un État à un autre). Par exemple, la FCA favorise les produits qui sont nouveaux ou sensiblement différents de ceux qui sont actuellement offerts,
- Processus : demande faite par l’entreprise (fournir des détails sur l’entreprise, le produit ou le service qu’elle cherche à tester, le type de problématiques juridiques qu’elle cherche à régler en utilisant le bac à sable ; le bénéfice du produit pour le consommateur ; le soutien que l’entreprise recherche ; et la façon dont l’entreprise prévoit de protéger les consommateurs). Dans la majorité des cas, une fois qu’une entreprise a soumis une demande, le régulateur l’évalue. En cas d’acceptation, s’en suit une période de test pendant un temps limité (généralement six mois) ainsi qu’une sortie à l’issue de cette période.

Allègement offert :

Celui-ci dépend des objectifs qui ont conduit à sa création, ainsi que des pouvoirs détenus par l’autorité de régulation en charge. Par exemple, la FCA peut offrir de multiples formes d’aide, allant de l’autorisation, à des dérogations et des modifications de règles, en passant par des conseils individuels tandis que les autorités de régulation des États de l’Arizona et l’Utah ne fournissent qu’une licence d’exploitation temporaire.

Bénéfices.

Pour le régulateur :

- Permet d’observer les fintechs de près afin d’être au coeur de l’innovation,
- Permet de rédiger une meilleure réglementation pour couvrir des domaines qui étaient auparavant peu clairs ou simplement inexistants en raison de leur méconnaissance,
- Favorise la communication entre toutes les parties intéressées et contribue à créer les conditions d’une approche consensuelle de la définition des règles applicables.

Pour les fintechs :

- Tester leurs produits/services tout en étant soumis à un cadre réglementaire assoupli,
- Donne un accès régulier au régulateur, sous forme d’assistance en temps réel dans certains cas, et permet de bénéficier d’une meilleure compréhension des attentes réglementaires,
- Permet d’éliminer de nombreux risques, dont le risque juridique et les barrières à l’entrée. Cela peut potentiellement réduire le cycle de mise sur le marché des nouveaux produits/services.

Pour le consommateur :

- Il lui offre une protection contre les nouvelles initiatives dysfonctionnelles qui pourraient conduire à des produits et services potentiellement dangereux,
- Plus large choix de produits et services.

Risques.

Risque de privilège économique.

Chaque fois qu’un régulateur aide une entreprise spécifique, il lui donne un pouvoir de marché. Il nuit potentiellement à toutes les autres entreprises du secteur qui n’ont pas reçu le même avantage. Par ailleurs, il existe un risque manifeste de fragmentation du marché de l’UE si les critères d’accès au bac à sable réglementaire divergent de manière significative d’un État à un autre.

L’entreprise aidée bénéficie donc d’un pouvoir de marché qui s’explique de plusieurs façons :
- Le bac à sable limite l’exposition réglementaire. Les entreprises peuvent être confrontées à des risques de responsabilité différents pour un comportement pourtant comparable,
- Permet à l’entreprise admise de trouver et d’obtenir plus facilement des investissements par rapport à ses concurrents non admis car cela peut être considéré comme un « cachet d’approbation » du régulateur pour l’investisseur,
- Les conseils donnés par le régulateur donnent un avantage à l’entreprise, contrairement aux entreprises non admises qui devront en supporter le coût.

Risques juridiques.

- Insécurité juridique : notamment si le régulateur adopte un état d’esprit excessivement dérégulateur qui génère des risques injustifiés en donnant la priorité à l’innovation au détriment des consommateurs,
- Capture juridique : laisser un pouvoir discrétionnaire au régulateur ouvre la porte au risque de conflit d’intérêt qui peut possiblement concourir à une influence de l’esprit de la réglementation par le secteur privé, notamment par le nombre restreint d’acteurs du bac à sable.

Risques politiques.

- La mise en place d’un bac à sable réglementaire peut remettre en cause les choix effectués en amont. Cela revient à reconnaitre, soit qu’il y a une complexité telle des réglementations que les entreprises ont du mal à comprendre les attentes, ce qui est de nature à freiner l’innovation, soit, au contraire, qu’il y a un vide juridique sur certaines problématiques donc que le régulateur accuse un retard sur les avancées technologiques),
- Ensuite, une ingérence du régulateur pourrait être reprochée en cas d’échec des entreprises qui intègrent le bac à sable réglementaire,
- Il pourrait être également reproché au régulateur qu’il préconise une politique court termiste au détriment de l’élaboration de politiques et de règles à long terme. En effet, un bac à sable peut tout au plus apporter un soulagement temporaire à un petit nombre d’acteurs du marché.

Le bac à sable réglementaire n’est donc pas véritablement une nécessité puisque cela ne représente pas un besoin impérieux. Il n’est qu’un outil parmi tant d’autres permettant de concilier la norme juridique aux avancées technologiques. Cela étant dit, le bac à sable réglementaire peut devenir une pratique dangereuse, s’il n’est pas maitrisé, compte tenu des différents types de risque énoncés.

Jazil Lounis, Élève-avocat