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Le Conseil d’État consacre une éligibilité "très" limitée de la recherche juridique au CIR. Par Gbandi Nadjombe, Juriste.
Parution : jeudi 1er décembre 2022
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Dans une décision rendue le 14 octobre 2022, le Conseil d’État admet une éligibilité de principe de la recherche juridique au crédit d’impôt recherche (CIR). Toutefois, du propre aveu de la Rapporteure publique dans cette affaire, la possibilité de se voir attribuer une créance de CIR au titre de la recherche juridique « restera extrêmement rare ».

Le 14 octobre 2022, le Conseil d’État a approuvé la cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux pour avoir jugé que les dépenses de personnel exposées au titre de l’embauche d’une doctorante en droit effectuant au sein d’un cabinet d’avocats des recherches sur les particularités de la procédure de divorce ne peuvent ouvrir droit au crédit d’impôt recherche (CIR). [1]

Cette position de la jurisprudence administrative n’est pas nouvelle. En 2014, la CAA de Paris semblait exclure par principe l’éligibilité de la recherche juridique au CIR. Elle retenait que les dépenses de personnel exposées par une entreprise dans le cadre du recrutement d’un salarié pour effectuer des recherches de nature juridique ne peuvent pas être qualifiées de dépenses de recherche au sens de l’article 244 quater B du Code général des impôts (CGI) [2].

En d’autres termes, pour la CAA de Paris, les doctorants en droit ne pouvaient en aucun cas être considérés comme des chercheurs au sens des dispositions favorables du CGI concernant le CIR.

Or, dans sa décision du 14 octobre 2022, le Conseil d’État précise que les dépenses relatives aux recherches menées dans le domaine du droit ne sauraient par principe être exclues des dépenses éligibles au CIR.
Il a suivi l’avis de Madame Marie-Gabrielle Merloz, Rapporteure publique dans cette affaire, selon laquelle : « l’esprit général du CIR comme la logique économique qui le sous-tend plaident […] pour une interprétation large : il a vocation à s’appliquer à tous les domaines de la recherche scientifique ou technique et on ne voit guère de raison d’en exclure par principe des entreprises qui investiraient dans la recherche en droit pour accroître leur compétitivité ».
Toutefois, Madame Merloz apporte une limitation de taille à cette éligibilité de principe de la recherche juridique : « si la recherche en droit ne paraît pas pouvoir être exclue, par principe, du champ du CIR, ce d’autant moins que de nouveaux horizons s’ouvrent notamment avec la justice prédictive ou l’intelligence artificielle, la possibilité d’en bénéficier restera extrêmement rare compte tenu des critères exigés par ailleurs, et tout particulièrement celui de nouveauté par rapport à l’état des connaissances, et de la difficulté à les manier à défaut de référentiel communément admis dans le domaine juridique ».

C’est en réalité ouvrir une porte et presque la refermer immédiatement. Le Conseil d’État accepte de qualifier les doctorants en droit de chercheurs au sens de l’article 49 septies G de l’Annexe III au CGI, mais en réalité, les hypothèses dans lesquelles le CIR sera effectivement accordé au titre de la recherche juridique resteront limitées en l’état actuel de la jurisprudence. La solution retenue au fond dans l’affaire analysée en est une illustration alors même que les dépenses en cause pouvaient bien relever de la recherche appliquée, éligible au CIR [3].

Quoi qu’il en soit, cette précision du Conseil d’État est très importante et doit être appréciée, car elle permet d’espérer l’octroi du CIR au titre de la recherche juridique. En outre, elle rompt, dans une certaine mesure, avec une conception essentiellement technologique des dispositifs fiscaux de soutien à la recherche et à l’innovation.

Il reste à espérer une adaptation des critères d’appréciation des activités de R&D à la recherche juridique. Selon le manuel de Frascati de l’OCDE [4], pour relever de la R&D, une activité doit réunir cumulativement 5 critères ; elle doit comporter un élément de nouveauté, de créativité, d’incertitude, être systématique [5] et être transférable et/ou reproductible [6].
Ces critères ont été conçus et pensés pour les sciences dites exactes ou dures. En particulier, l’appréciation en sciences juridiques du critère de nouveauté ne saurait résulter d’une simple transposition de la méthode utilisée en sciences exactes ou dures.

Pour l’heure, on peut conseiller aux contribuables, notamment les cabinets d’avocats ou entreprises, qui souhaitent bénéficier du CIR au titre du recrutement de doctorants en droit à demander l’avis de l’Administration sur l’éligibilité de leurs projets de recherche juridique par le biais d’un rescrit CIR.

Gbandi Nadjombe Juriste PI & Digital Parthema Avocats Docteur en droit privé

[1CE, 3e et 8e ch., 14 octobre 2022, n° 443869

[2CAA Paris, 27 novembre 2014, n° 12PA05144.

[3F. Douet, « Le doctorat en droit est-il de la recherche au sens du crédit d’impôt recherche ? », D. 2020, p. 1874.

[4OCDE (2016), Manuel de Frascati 2015 : lignes directrices pour le recueil et la communication des données sur la recherche et le développement expérimental, Mesurer les activités scientifiques, technologiques et d’innovation, OECD Publishing, Paris, p. 47. https://dx.doi.org/10.1787/9789264257252-fr.

[5Les étapes de l’activité doivent avoir été planifiées et les résultats consignés.

[6Les résultats de la recherche doivent être transférables ou/et reproductibles, qu’ils soient positifs ou négatifs.