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Propos sexistes et sexuels contre une salariée = harcèlement sexuel = licenciement nul. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 16 décembre 2022
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Des propos déplacés, grossiers et sexistes de M. Z à l’égard de Madame Y qu’elle a dénoncés dans un premier courrier adressé à l’employeur le 4 octobre 2018 à l’occasion de la contestation de son avertissement puis un second envoyé visant des propos à connotation plus sexuelle en février 2019 « Ça a été chaud ce week end ? Quoi de neuf sur le plan sexuel ? Le vernis à ongles je suis sûr que c’est sexuel. Ça ne va pas tu veux un câlin ? Salut Miss G point tu portes un string aujourd’hui ? ».

Le témoignage d’une autre salariée Mme W qui rapporte avoir assisté à des propos inadaptés et à caractère sexuel de M. Z à l’égard de Mme Y « tu ne donnes pas envie avec ce bonnet » ou « pourquoi tu boudes viens dans mes bras » ou que de façon générale il tient des propos inappropriés envers les femmes utilisant sans gêne les toilettes femmes ou lui ayant demandé après un rendez-vous commercial « si elle avait couché ».

Des propos sexistes voire sexuels corroborés par une attestation d’une salariée en litige avec la société constituent un harcèlement sexuel et moral.

La salariée obtient 5 000 euros de dommages intérêts pour harcèlement sexuel et moral, l’annulation d’un avertissement et la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec l’ensemble des indemnités de rupture pour licenciement nul (préavis, indemnité pour licenciement nul).

C’est ce que vient de juger la Cour d’appel de Paris (Pole 6 Chambre 11) dans un arrêt du 6 septembre 2022.

La société s’est pourvue en cassation.

1) Faits et procédure.

Mme Y a été engagée par la SA Indep’AM, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 août 2006 en qualité d’assistante de direction moyennant un forfait jour.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des sociétés financières.

Le 31 mai 2013, Mme Y a bénéficié jusqu’au 2 septembre 2013 d’un congé parental à l’issue duquel elle a repris son travail à temps partiel soit 28 heures par semaine et ce jusqu’au 31 mai 2016.

Le 1er juin 2016 Mme Y a repris à temps plein, soit 35 heures hebdomadaires et à compter du 1er février 2017, elle est passée à 39 heures hebdomadaires dans le cadre d’un forfait en heures sur la semaine.

Le 10 septembre 2018 un avertissement a été notifié à Mme Y pour manquement contractuel à son devoir de loyauté et de réserve envers son employeur, qu’elle va contester.

Le 5 octobre 2018, Mme Y a saisi une première fois le Conseil de prud’hommes de Paris d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Mme Y a été placée en arrêt maladie du 3 octobre au 16 décembre 2018. Le 19 décembre 2018, lors de sa visite de reprise, le médecin du travail a constaté que l’état de santé de la salariée n’est pas compatible avec la reprise de son poste puis le 2 janvier 2019 son inaptitude définitive au poste d’assistante de direction.

Par lettre datée du 8 janvier 2019, Mme Y a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 janvier 2019 et licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement par lettre datée du 25 janvier 2019.

Le 7 février 2019, Mme Y a saisi le conseil de Prud’hommes de Paris pour contester son licenciement pour inaptitude.

A la date de la rupture, Mme Y avait une ancienneté de 12 ans et 2 mois et la société Indep’AM occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le conseil de prud’hommes de Paris, par jugement du 25 novembre 2019, auquel la
cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes.

La salariée a interjeté appel.

2) Arrêt du 6 septembre 2022.

Dans son arrêt du 6 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris (Pole 6 Chambre 11) :

- Confirme le jugement déféré, en ce qu’il a débouté Mme Y de ses demandes tendant à l’illicéité de sa convention de forfait heure à la semaine, de rappels d’heures supplémentaires et d’indemnité pour travail dissimulé. L’infirme quant au surplus.

Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

- annule l’avertissement délivré à Mme Y le 10 septembre 2018.

- prononce la résiliation du contrat de travail de Mme Y aux torts de l’employeur et dit que celle-ci produit les effets d’un licenciement nul.

- condamne la SA Indep’AM à payer à Mme Y les sommes suivantes :
- 5.000 euros d’indemnité pour harcèlement moral et sexuel et propos sexistes.
- 1.353,43 euros à titre de rappel d’heures complémentaires majorés de 1a somme de 135,34 euros de congés payés afférents entre le 5 octobre 2015 et le 31 mai 2016.
- 10.249,98 euros à titre d’indemnité conventionnelle de préavis outre la somme de 1.024,99 de congés payés afférents.
- 1.391,32 euros à titre de solde d’indemnité conventionnelle de licenciement.
- 25.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul.
- 2.000 euros par application de l’article 700 du Code de procédure civile.

- ordonne le remboursement à Pôle Emploi par la SA Indep’AM des indemnités de
chômage versées à Mme Y dans la limite de 6 mois.

- rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la
réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

- ordonne la remise par la SA Indep’AM à Mme Y d’un bulletin de paie
récapitulatif des sommes de nature salariale allouées ainsi qu’une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifié conformes au présent arrêt et ce, dans le délai de deux mois à compter de sa signification.

- déboute Mme Y du surplus de ses prétentions.

- condamne la SA Indep’AM aux dépens d’instance et d’appel.

2.1) Sur l’exécution du contrat de travail.

2.1.1) Sur la contestation de l’avertissement délivré le 10 septembre 2018.

Par courriel adressé le 10 septembre 2018, l’employeur a délivré à l’appelante un avertissement ainsi libellé :

« Lors de la réunion de présentation et d’échange sur le nouvel accord d’entreprise, tu as devant les collaborateurs d’Indep’AM, proclamé que moi-même, n’avait pas ta confiance, ce que tu as appuyé par un « a c’est dit ».
Ces propos s’inscrivent en rupture avec l’article 7 de ton contrat de travail par lequel, d’une part, tu es tenue par une « obligation particulière de loyauté » envers la Direction, et d’autre part, tu es supposée « véhiculer une image positive » et « préserver les intérêts » de la société.
Par ailleurs, la fonction que tu occupes suppose une certaine réserve de ta part, et une confiance réciproque.
Or constatant que le que je suis n’a pas ta confiance, il est difficile que tu bénéficies en retour de la confiance nécessaire au bon fonctionnement de nos relations professionnelles.
De ce fait, je t’adresse cet avertissement en te rappelant tes obligations contractuelles, et te demande de ne plus ouvrir les courriers en provenance de la DGFIP, des URSSAF, de la DIRECCTE, de l’AMF et des autres services ministériels.(...)
 » Signé Z.

En application de l’article L1331-1 du Code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

L’article L1333-1 du Code du travail, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

L’article L1333-2 du même code précise que le conseil de prud’homme peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Pour infirmation du jugement déféré, l’appelante qui conteste cette sanction qui n’est selon elle ni justifiée ni proportionnée, fait en outre valoir que celle-ci a eu des conséquences sur sa fonction (l’interdiction d’ouvrir certains courriers) de sorte que celle-ci aurait du être précédée d’un entretien préalable outre que celle-ci n’était pas prévue au règlement intérieur de l’entreprise. Elle en sollicite dès lors l’annulation.

Pour confirmation jugement, la société intimée réplique que l’appelante a jeté le discrédit sur M. Z portant atteinte à son image auprès de tous ces collaborateurs d’autant qu’elle a été la seule à manifester des signes de défiance, raison pour laquelle elle a été la seule à être sanctionnée. Elle conteste que cette sanction ait eu une incidence sur ses fonctions et indique que l’avertissement était bien une sanction prévue dans l’échelle des sanctions du règlement intérieur.

La cour retient que l’employeur n’explicite pas dans quelles conditions l’appelante lui aurait manifesté sa défiance, ne produisant quant à lui pas d’attestation de témoins sur ce point alors que la salariée expose sans être utilement contredite en étant confirmée par une témoin.

Mme W (pièce 32), que c’est dans un contexte de discussion relatif à un nouvel accord sur le temps de travail et sur la surveillance des horaires que les salariés participant à cette réunion ont, à la question expressément posée par M. Z « vous ne me faites pas confiance ? » répondu par la négative et que seule Mme Y a été sanctionnée.

Le doute devant profiter à la salariée, la cour par infirmation du jugement annule
l’avertissement prononcé.

2.1.2) Sur les heures complémentaires réclamées.

Pour infirmation du jugement querellé, l’appelante fait valoir qu’entre le 5 octobre 2015 et le 31 mai 2016, alors qu’elle avait repris dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel, elle a accompli 56,76 heures complémentaires qui ne lui ont jamais été payées.

Pour confirmation du jugement, la société intimée conteste la réalisation effective des heures complémentaires alléguées en relevant différentes incohérences dans les pièces versées par la salariée.

Selon l’article L3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

L’appelante fournit dans ses pièces un décompte précis des heures qu’elle affirme avoir effectuées, déduisant notamment le temps de pause de midi et les congés, ainsi que la liste des courriels adressés depuis sa messagerie professionnelle notamment pendant la période litigieuse, attestant selon elle, du dépassement à de nombreuses reprises de sa durée de travail de 28 heures par semaine convenue.

Elle donne des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

L’employeur ne verse aucune pièce à ce titre se bornant à critiquer la force probante des pièces versées par l’appelante et notamment les courriels produits.

La Cour estime par conséquent que la salariée a accompli les heures complémentaires qu’elle réclame et par infirmation du jugement déféré condamne la société Indep’AM à lui verser la somme de 1.353,43 euros à titre de rappel d’heures complémentaires majoré de 1a somme de 135,34 euros de congés payés afférents.

2.1.3) Sur la validité du forfait heures et la demande d’heures supplémentaires ?

Pour infirmation du jugement déféré, Mme Y fait valoir que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur la validité de la convention de forfait en heures sur la semaine qui lui a été imposée et qui est illicite notamment eu égard à sa rémunération laquelle était inférieure au salaire qu’elle aurait perçue si ses heures supplémentaires lui avaient été payées. Elle indique qu’il n’y a plus lieu de se référer au minimum conventionnel applicable mais à un salaire de référence pratiqué dans l’entreprise, soit le sien puisqu’elle était la seule attachée de direction, alors qu’elle était à temps partiel avant d’être soumise à la convention de forfait en heures à la semaine.

La société Indep’AM réplique qu’il a été convenu entre les parties une rémunération annuelle brute de 40.000 euros pour 39 heures de travail hebdomadaire (35 heures + 4 heures de travail supplémentaires), soulignant que la rémunération octroyée à la salariée était bien supérieure à la rémunération minimale applicable dans l’entreprise pour 39 heures de travail hebdomadaire, par référence à la rémunération minimale conventionnelle garantie pour 35 heures auxquelles sont ajoutées 4 heures de travail supplémentaires.

Elle précise que l’appelante n’est pas fondée à considérer que le taux horaire qui lui a été appliqué lorsqu’elle était à temps partiel correspond à la rémunération minimale garantie au sein de l’entreprise.

L’article L3121-57, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, dispose :

« La rémunération du salarié ayant conclu une convention de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l’entreprise pour le nombre d’heures correspondant à son forfait, augmentée des majorations pour heures supplémentaires prévues aux articles L3121-28, L3121-33 et L3121-36 ».

Il est de droit que la rémunération au forfait ne peut résulter que d’un accord entre les parties et que la convention de forfait doit déterminer le nombre d’heures correspondant à la rémunération convenue, celle-ci devant être au moins aussi avantageuse pour le salarié que celle qu’il percevrait en l’absence de convention, compte tenu des majorations pour heures supplémentaires.

En l’espèce, il est établi que les parties ont convenu d’une rémunération annuelle de 40.000 euros soit 3.333 euros par mois pour 39 heures de travail (35 heures auxquelles s’ajoutaient 4 heures de travail supplémentaires).

La rémunération convenue dans le cadre d’une convention de forfait heures, ne doit pas au sens de l’article L3121-57 précité, être inférieure à celle du collègue le moins bien payé de l’entreprise situé au même coefficient et en tout état de cause en l’espèce au minimum garanti par la convention collective des sociétés financières pour les cadres au coefficient 360 d’un montant de 25.398 euros au 1er avril 2017, soit 25.700,19 euros avec les 4 heures supplémentaires, toute comparaison avec le salaire perçu par Mme Y dans le cadre d’un contrat à temps partiel précédemment conclu n’étant ni pertinente ni appropriée.

Au constat que Mme Y n’établit pas ni même n’allègue que sa rémunération serait inférieure à la rémunération minimale applicable dans l’entreprise pour les cadres de son coefficient alors qu’il est établi que le salaire perçu était supérieur au minimum conventionnel, la cour retient par confirmation du jugement déféré, que le recours à la convention de forfait par la société était licite et que l’appelante ne peut prétendre aux heures supplémentaires réclamées.

2.1.4) Sur le harcèlement moral et sexuel et les agissements sexistes.

Pour infirmation du jugement déféré, l’appelante soutient avoir été victime de souffrance au travail en raison d’une surcharge de travail et d’une hyper-sollicitation y compris pendant ses arrêts de travail ou ses congés s’apparentant à un harcèlement moral mais aussi d’agissements et propos sexistes de la part de M. Z sans qu’aucune enquête ne soit diligentée.

La société intimée conteste tout harcèlement qu’il soit moral ou sexuel répliquant que la salariée est défaillante dans la preuve des faits qui lui incombe.

L’article 1152-1 du Code du travail dispose que : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

L’article L1153-1 du Code du travail, en sa version applicable à l’instance dispose qu’ « Aucun salarié ne doit subir des faits : 1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers
 ».

L’article L1153-1 du Code du travail dispose que « Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l’article L1153-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° du même article, si les propos ou comportements n’ont pas été répétés ».

En application de l’article L1154-1 du Code du travail, alors applicable, il incombe au salarié qui l’invoque de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Dans cette hypothèse, il appartient à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de ses prétentions, l’appelante invoque s’agissant du harcèlement sexuel et des agissements sexistes qui sont nécessairement liés :
- des propos déplacés, grossiers et sexistes de M. Z à son égard qu’elle a dénoncés dans un premier courrier adressé à l’employeur le 4 octobre 2018 à l’occasion de la contestation de son avertissement (pièce 26) puis un second envoyé visant des propos à connotation plus sexuelle en février 2019 (pièce 25) « ça a été chaud ce week end ? Quoi de neuf sur le plan sexuel ? Le vernis à ongles je suis sûr que c’est sexuel. ça ne va pas tu veux un câlin ? Salut Miss G point tu portes un string aujourd’hui ? ».

- le témoignage d’une autre salariée Mme W qui rapporte avoir assisté à des propos inadaptés et à caractère sexuel de M. Z à l’égard de Mme Y « tu ne donnes pas envie avec ce bonnet » ou « pourquoi tu boudes viens dans mes bras » ou que de façon générale il tient des propos inappropriés envers les femmes utilisant sans gêne les toilettes femmes ou lui ayant demandé après un rendez-vous commercial « si elle avait couché » (pièce 32, salariée).

Au soutien du harcèlement moral lié à sa charge de travail l’appelante se fonde invoque une surcharge de travail et une hyper-sollicitation alors même qu’elle était soit en congés soit en arrêt de travail voire par des courriels à des horaires tardifs.

Elle produit à ce titre :
- des échanges de courriels alors qu’elle était en congé, ou en arrêt de travail voire tardifs (Pièces 23-18 à 23-34, salariée),
- l’attestation de Mme W selon laquelle M. Z avait intimé l’ordre de laisser Mme
Y tranquille car elle avait beaucoup de travail, de façon par ailleurs à l’isoler de ses collègues (pièce 32, précitée).

Pris dans leur ensemble, ces faits laissent présumer l’existence de harcèlements moral et sexuel.

L’employeur réplique s’agissant des faits de harcèlement sexuel que la salariée ne produit aucune attestation ni aucune pièce qui établirait les propos prêtés à M. Z qui le conteste, en précisant que Mme W qui a attesté n’a été engagée qu’à compter de janvier 2018 et qu’elle se trouve elle-même en conflit avec la société sans qu’elle ne dénonce les faits qu’elle rapporte. Il souligne que l’appelante n’a jamais émis la moindre alerte ni saisi quiconque. Il s’appuie sur les échanges de SMS entre les parties qui ont toujours été courtois et sur des attestations de témoins qui attestent de relations cordiales et professionnelles entre l’appelante et M. Z. Il conteste une quelconque surcharge de travail estimant que les courriels produits ne sont pas probants et affirme que les sollicitations de Mme Y au-delà de 18 heures 15 étaient résiduelles et correspondaient à une situation d’urgence. Il nie enfin tout lien de causalité entre les conditions de travail et l’état de santé de l’appelante.

La cour retient que Mme Y explique que la dégradation des relations avec M. Z notamment par l’usage par ce dernier de propos sexistes voire sexuels sont récents et que s’il n’est produit aucune attestation de personnes ayant été témoin et si les échanges (certes plus anciens ) de sms étaient plus courtois et corrects (ce qui se conçoit puisqu’ils sont écrits), les propos prêtés à l’intéressé sont toutefois accrédités par le témoignage de Mme W, lequel respectant les dispositions de l’article 220 et suivants du CPC et engageant pénalement son auteur, ne peut être disqualifié au seul motif qu’elle est également en conflit avec la société. Le témoin décrit en effet les propos inappropriés tenus par celui-ci à l’égard des femmes et deux situations particulières qui ont pu mettre Mme Y mal à l’aise. Les attestations produites par la société tendant à établir la cordialité et le professionnalisme des relations entre l’appelante et M. Z ne sont pas de nature à modifier cette perception de la situation. Il importe peu que Mme Y n’ait pas dénoncé en leur temps ces propos sexistes voire grossiers tenus à son égard ou saisi quiconque de ces derniers, cela n’étant pas de nature à mettre en doute leur réalité.

Il est en outre établi même si la surcharge de travail ne doit pas être retenue dans les proportions invoquées par Mme Y laquelle bénéficiait d’une convention de forfait, que celle-ci a été à de nombreuses reprises sollicitée alors qu’elle était en congés ou en arrêt de travail, au mépris de son droit au repos. Enfin le lien de causalité entre la dégradation des conditions de travail et son état de santé ressort de l’avis d’inaptitude à son poste constaté par le médecin du travail

Faute pour l’employeur de démontrer que les faits établis par l’appelante étaient justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel à l’encontre de Mme Y doivent être retenus.

En réparation de son préjudice causé par les harcèlements dont elle a été victime la cour alloue à l’appelante une somme de 5.000 euros de dommages et intérêts à laquelle la société Indep’AM sera condamnée par infirmation du jugement déféré.

2.2) Sur la rupture du contrat de travail.

2.2.1) Sur la demande de résiliation judiciaire.

En application des dispositions de l’article 1224, en cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties, l’autre partie peut demander au juge de prononcer la résiliation du
contrat.

Lorsqu’un salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

Si le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

La résiliation judiciaire à la demande du salarié n’est justifiée qu’en cas de manquements de l’employeur d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, Mme Y invoque notamment outre la situation de harcèlement moral et sexuel subie, les impayées d’heures complémentaires et supplémentaires, la convention de forfait illicite et l’avertissement injustifié.

Au regard de ce qui a été jugé plus avant, la cour retient que le non-paiement des heures complémentaires, l’annulation de l’avertissement et la situation de harcèlement moral et sexuel retenue, caractérisent des manquements de l’employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail justifiant la résiliation judiciaire de celui-ci aux torts de l’employeur, à effet au 25 janvier 2019, date du licenciement.

Par ailleurs, cette résiliation prononcée dans un contexte de harcèlement moral caractérisé ci-dessus, produit les effets d’un licenciement nul.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

2.3) Sur les conséquences financières.

2.3.1) Sur l’indemnité compensatrice de préavis.

Mme Y sollicite une indemnité compensatrice de préavis de 13.431,71 euros outre les congés payés correspondant à trois mois de salaire.

Eu égard aux bulletins de paye produits aux débats et à l’ancienneté de la salariée, par infirmation de la décision entreprise, la société Indep’AM sera condamnée à verser à Mme Y la somme de 10.249,98 euros correspondant aux salaires qu’elle aurait perçus si elle avait exécuté les trois mois de préavis conventionnel, outre la somme de 1.024,99 de congés payés afférents.

2.3.2) Sur le solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

L’article 4 de la convention collective des sociétés financières précise que le salarié cadre titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié a droit à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail et de son ancienneté soit ½ mois par année de présence et ¾ de mois par année de présence pour la tranche dépassant 10 ans.

En l’espèce, Mme Y était en droit de percevoir une somme de 22.208,29 euros à ce titre, dont il convient de déduire la somme de 20.816,97 euros qui lui a été versée, de sorte qu’il lui reste dû un solde de 1.391,32 euros, au paiement duquel la société Indep’AM, par infirmation du jugement déféré, sera condamnée.

2.3.3) Sur l’indemnité pour licenciement nul.

Mme Y qui ne demande pas sa réintégration, a droit à une indemnité réparant l’intégralité de son préjudice résultant du caractère illicite de la rupture de son contrat de travail.

En vertu du l’article L1235-3-1 du Code du travail, les dispositions de l’article L1235-3 ne sont pas applicables au licenciement entaché de nullité.

Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution du contrat de travail ou que la réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.

En conséquence, il y a lieu d’allouer à Mme Y la somme de 25.000 euros à titre d’indemnité en réparation du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

En application de l’article L1235-4 du Code du travail, dans les cas prévus aux articles L1132-4, L1134-4, L1144-3, L1152-3, L1153-4, L1235-3 et L1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

En l’espèce, il convient d’ordonner le remboursement par la société Indep’AM des indemnités de chômage versées à Mme Y dans la limite de 6 mois.

2.4) Sur l’indemnité pour travail dissimulé.

Aux termes de l’article L8221-5 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au
Litige « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales
 ».

La dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce aucune pièce ne permet de retenir l’intention de dissimuler de l’employeur eu égard au nombre peu important d’heures complémentaires impayées et ensuite dans un contexte de convention de forfait à la semaine mis en place.

L’appelante est par confirmation du jugement déféré, déboutée de sa demande de ce chef.

2.5) Sur les autres dispositions.

La société Indep’AM devra délivrer à Mme Y un bulletin de paie récapitulatif des sommes de nature salariale allouées ainsi qu’une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifié conformes au présent arrêt et ce, dans le délai de deux mois à compter de sa signification sans que la mesure d’astreinte soit justifiée en l’état.

La cour rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Partie perdante, la société Indep’AM est condamnée aux dépens d’instance et d’appel, le jugement étant infirmé sur ce point et à verser à l’appelante une somme de 2.000 euros par application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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