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La dévalorisation sociale réparée au titre de l’incidence professionnelle. Par Caroline Carré-Paupart, Avocat.
Parution : jeudi 1er décembre 2022
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C’est ce principe que vient une nouvelle fois de rappeler la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 18 octobre 2022.

Le contexte de l’accident et les blessures constatées.

Monsieur F.Y., participant d’une course pédestre, a été victime d’un accident du fait du défaut de conception et de sécurisation d’un obstacle. Il a été très grièvement blessé. Les séquelles persistantes après l’accident ont été une tétraplégie [1] et une ventilo-dépendance.

Sur le plan pénal, la société organisatrice et son gérant ont été déclarés coupables du chef de blessures involontaires. L’affaire a été renvoyée sur intérêts civils pour l’indemnisation des dommages corporels de la victime.

La cour d’appel a fait droit à l’indemnisation de la victime.

Du fait de l’extrême gravité des préjudices de la victime, la Cour d’appel de Rouen a condamné solidairement le gérant et la société organisatrice à indemniser la victime à hauteur de 1.994.523,21 euros ainsi qu’une rente annuelle viagère de 258.180,13 euros.

Ont ainsi été indemnisés les postes de préjudices suivants :

Les préjudices patrimoniaux temporaires.

- Dépenses de santé actuelles
- Frais divers
- Pertes de gains professionnels actuels.

Les préjudices patrimoniaux définitifs.

- Dépenses de santé futures
- Tierce personne
- Pertes de gains professionnels futurs
- Incidence professionnelle
- Frais de logement adapté
- Frais de véhicule adapté.

Les préjudices extra patrimoniaux temporaires.

- Déficit fonctionnel temporaire
- Souffrances endurées
- Préjudice esthétique temporaire.

Les préjudices extra patrimoniaux définitifs.

- Déficit fonctionnel permanent
- Préjudice esthétique permanent
- Préjudice d’agrément
- Préjudice sexuel
- Préjudice d’établissement.

Dans son arrêt, la cour d’appel alloue notamment à la victime la somme de 100.000 euros au titre de l’incidence professionnelle en raison de la souffrance psychologique de se voir infliger une mise à l’écart sociale, d’une perte d’identité sociale et du désœuvrement social qu’entraîne l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle.

Le gérant et la société organisatrice ont décidé de se pourvoir en cassation.

Le rappel du principe du droit à indemnisation de la victime au titre de l’incidence professionnelle du fait de son exclusion sociale par la Cour de cassation.

Dans son pourvoi, le responsable chargé d’indemniser la victime considérait que si le poste de l’incidence professionnelle peut indemniser le renoncement définitif à toute activité professionnelle, il ne répare pas le préjudice extra-patrimonial résultant de la souffrance psychologique de ne plus pouvoir exercer une activité sociale.

Par cet arrêt du 18 octobre 2022 (n°21-86.346), la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que

« le juge a, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, constaté l’existence d’un préjudice distinct de la perte de gains professionnels futurs et du déficit fonctionnel permanent, découlant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l’incidence professionnelle ».

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence désormais constante selon laquelle l’incidence professionnelle indemnise la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail (Voir en ce sens : Cass. 2ème Civ. 6 mai 2021 n°19-23.173 ; Crim. 6 septembre 2022 n°21.87-172).

Cet arrêt est néanmoins cassé partiellement pour avoir évalué le surcoût de l’aménagement du domicile de la victime en se fondant sur la seule expertise privée, non contradictoire, produite par la partie civile sans avoir fait droit à une expertise judiciaire en architecture qui s’imposait.

Caroline Carré-Paupart, Avocat Barreau de Paris.