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[Maroc] L’instance arbitrale « mécanisme de résolution de litiges ». Par Ahmed Benattou.
Parution : vendredi 2 décembre 2022
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Dans les relations commerciales, des litiges peuvent naitre entre les parties. Puisque « nul ne peut se faire justice à soi-même », les parties se trouvent dans l’obligation de saisir la justice si la procédure amiable s’avère inefficace ou infructueuse. Il existe deux types de voies judiciaires : la voie judiciaire ordinaire lorsque les parties doivent passer par un juge étatique pour régler le litige, et les voies judiciaires alternatives. Parmi ces voies alternatives, l’arbitrage est probablement le mode de règlement des conflits le plus fréquent et le plus populaire.

L’arbitrage est une pratique qui a probablement existé depuis la nuit des temps dans les sociétés anciennes qui préféraient s’en remettre à un jugement plutôt que de faire recours à la violence. Ce jugement était rendu par une tierce personne, généralement un parent ou bien un ami de confiance. Comme la justice civile, l’arbitrage est apparu progressivement dans les sociétés anciennes, sauf que dans la première ce sont les autorités publiques qui l’exerçaient. Aujourd’hui, la justice publique est rendue dans les tribunaux au nom du peuple, alors que l’arbitrage est rendu par des tribunaux privés.

Grâce au niveau de technicité que les romains ont fourni au droit, l’arbitrage s’est développé au point d’être utilisé entre cités grecques. En effet, ce sont eux qui ont dégagé les subtilités techniques qui caractérisent aujourd’hui le droit, notamment sa source contractuelle et sa nature juridictionnelle.

L’arbitrage fait partie des voies judiciaires alternatives qui sont au nombre de quatre : il s’agit de l’arbitrage, la médiation, la conciliation et l’expertise. Bien que ces quatre notions soient relativement proches, il existe entre elles des différences fondamentales. Leur seul point commun c’est qu’elles font parties des « modes alternatifs de résolution des conflits » ou (MARC). Le mode alternatif de résolution de litiges le plus connu et le plus commun dans la pratique est l’arbitrage.

L’arbitrage est une procédure facultative de règlement des conflits collectifs de travail, qui consiste à confier à un tiers, choisi par les parties, la solution du conflit.

Cette solution peut avoir lieu par le biais d’une convention d’arbitrage conclue entre les parties. Celle-ci peut être définie comme « l’engagement des parties de recourir à l’arbitrage pour régler un litige né ou susceptible de naître concernant un rapport de droit déterminé, de nature contractuelle ou non-contractuelle ». Une convention d’arbitrage entre des parties liées commercialement prend la forme d’une clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage.

Dans le cadre de l’instance arbitrale, une fois la convention d’arbitrage conclue, elle va permettre de préparer la résolution des litiges opposant les parties. Jusqu’à ce stade où primait le principe conventionnel à travers la clause compromissoire ou le compromis d’arbitrage, c’est maintenant au tour du principe juridictionnel de prédominer. Dans quelle mesure les parties pourraient-elles agir librement dans le cadre d’une instance arbitrale ?

Nous allons traiter en première partie de la structure du tribunal arbitral (I) et dans une deuxième partie, du commencement et de la fin de la mission des arbitres (II).

I- La structure du tribunal arbitral.

Compte tenu de la célérité des activités commerciales et du monde des affaires en général, les parties, quand elles entrent en conflit, ont le choix entre deux types d’arbitrage : l’arbitrage Ad hoc ou l’arbitrage institutionnel.

1- La procédure arbitrale.

Si l’arbitrage est ad hoc, le tribunal arbitral (un ou plusieurs arbitres) aura la charge de l’organisation de l’arbitrage en prévoyant les règles de procédure à suivre, sauf si les parties conviennent autrement ou choisissent un règlement d’arbitrage déterminé.

Si l’arbitrage est institutionnel, l’institution désignée se chargera de l’organisation de l’arbitrage conformément à son règlement.

Conformément aux dispositions de l’article 320 du Code de procédure civil marocain,

« l’arbitrage doit être confié à une personne physique en pleine capacité, n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation devenue définitive pour des faits contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs ou le privant de la capacité d’exercer le commerce ou de l’un de ses droit civils ».

Il convient de noter que selon la règle d’imparité, le tribunal arbitral doit être confié à un juge unique ou à un ensemble d’arbitres en nombre impair et ce, conformément à l’article 312 alinéa 1. Au cas où une personne morale est désignée pour assurer l’arbitrage, son rôle se limitera uniquement à l’organisation en désignant un ou plusieurs arbitres. Dans la procédure d’arbitrage, les parties ont les mêmes droits pour exposer leurs requêtes, leurs moyens et exercer leurs droits de défense.

Le tribunal arbitral peut procéder à l’audition des témoins, à l’expertise ou à tout autre mesure d’instruction. Les auditions devant le tribunal, quant à elles, se font après « la prestation de serment ». Concernant la langue, celle prévue par les dispositions légales en la matière est l’arabe, sauf convention contraire des parties ou lorsque le tribunal arbitral décide de choisir une ou d’autres langues. Le demandeur doit adresser, dans le délai convenu entre les parties ou imparti par le tribunal arbitral, au défendeur et à chacun des arbitres, un mémoire écrit sur sa requête et joindre audit mémoire tous les documents et preuves justificatives qu’il détient.

Pareil, le défendeur doit adresser au demandeur et à chacun des arbitres un mémoire écrit en réponse à la requête d’instance comprenant ses moyens de défense, et peut joindre audit mémoire tous les documents de preuve ou d’infirmation qu’il détient.

2- La liberté des parties et compétence des juridictions dans le procès arbitral.

Le tribunal arbitral peut, sauf convention contraire des parties, tenir des séances de plaidoiries ou peut se limiter à la production des mémoires et des documents écrits.

Les parties sont libres de nommer un ou plusieurs arbitres en nombre impairs. Elles peuvent également les désigner dans la convention d’arbitrage ou prévoir les modalités de leur nomination par référence à un règlement d’arbitrage. L’arbitre doit accepter la mission qui lui est confiée par une déclaration écrite portant signature d’un compromis d’arbitrage, ou par l’accomplissement d’un acte qui indique le commencement de la mission.

Lorsque la juridiction étatique est saisie d’un litige, au sujet duquel est prévue une convention d’arbitrage, mais n’a pas encore statué sur le fond, celle-ci doit, à la demande du défendeur, prononcer l’irrecevabilité jusqu’à épuisement de la procédure d’arbitrage ou annulation de la convention d’arbitrage. Lorsque la juridiction étatique n’est pas encore saisie, celle-ci doit à la demande du défendeur, déclarer l’irrecevabilité, sauf si la convention d’arbitrage est ostensiblement nulle. La juridiction étatique ne peut, dans les deux cas, déclarer d’office l’irrecevabilité.

Les arbitres doivent motiver leur décision, c’est-à-dire indiquer les raisons de droit qui motivent les conclusions de leur décision. Cette décision est dite « sentence arbitrale ».

La sentence arbitrale résulte d’une délibération secrète des arbitres, adoptée à la majorité des voix. La sentence s’analyse en une véritable décision de justice qui bénéficie de l’autorité de la chose jugée et empêche ainsi les parties de porter le même litige devant un tribunal. Toutefois, elle ne bénéficie pas de la force exécutoire attachée à un jugement ou à un arrêt.

L’exécution de la sentence arbitrale repose donc pour une part sur la volontaire soumission des parties, qui reconnaissent la valeur juridique de la sentence arbitrale.

Si les parties ne fixent pas de délai pour rendre la sentence, la mission des arbitres expire 6 mois à compter de la date à laquelle l’arbitre a accepté sa mission. Le délai conventionnel ou légal peut être prorogé de la même période.

En cas de non-respect, par l’une ou l’autre des parties de la sentence arbitrale, il est alors nécessaire d’en demander l’exécution forcée.

II- Le commencement et la fin de la mission de l’arbitre.

Les arbitres sont des personnes physiques, choisies sur des listes établies par des centres d’arbitrage qui, le plus souvent, dépendent des chambres de commerce et d’industrie. Les arbitres sont tenus au respect du principe du contradictoire, ce qui signifie qu’ils doivent convoquer les parties et les inviter à présenter leurs arguments et moyens de défense, et veiller également à ce que chacun puisse connaître la teneur des arguments de droit qui lui sont opposés Il s’agit du principe de la communication des pièces.

1- La nomination et la mission des arbitres.

Si les arbitres ont la liberté de régler la procédure arbitrale, ils ne sont pas dispensés du respect des principes directeurs du procès. Ces règles concernent la limitation de l’objet du litige, les faits du litige qui peuvent être pris en considération, la preuve, la défense des parties, les pouvoirs d’instruction. Si les arbitres désignés ne remplissent pas ces conditions, il sera alors procédé à la désignation des arbitres soit d’un commun accord des parties, soit par une institution dans le cadre d’un arbitrage institutionnel. « En cas d’arbitrage institutionnel, la procédure de nomination et le nombre d’arbitres du tribunal arbitral seront ceux prévus par l’institution d’arbitrage choisie ». En outre, le ou les arbitres doivent également veiller à l’application du principe du contradictoire.

L’arbitre est saisi soit conjointement par les parties, soit à la demande de l’une d’elles par une demande d’arbitrage. Pour que la saisine soit effectuée légalement, l’arbitre doit accepter sa mission. Ainsi, la constitution du tribunal arbitral est dite parfaite.

L’acceptation de la mission doit être faite par écrit comportant la signature du compromis, ou par acte indiquant le commencement de ladite mission. L’écrit établi à charge de preuve a pour but d’éviter toute circonstance susceptible de susciter des doutes quant à l’impartialité et l’indépendance du ou des arbitres.

En cas de pluralité des arbitres, l’instruction doit être menée par l’ensemble des arbitres. Celui-ci dispose des pouvoirs nécessaires pour instruire le litige. En effet, il peut tout comme le juge étatique, ordonner d’office toute les mesures d’instruction légalement admissibles. Après la clôture de l’instruction, l’affaire est mise en délibéré.

C’est à partir de ce moment qu’aucune demande ne peut être formée, ni aucun moyen soulevé.

2- Extinction de la mission des arbitres par voie de récusation.

Il existe certaines causes qui entrent en jeu et qui font en sorte que l’arbitre choisi soit récusé. « La récusation est la procédure par laquelle le plaideur demande que tel magistrat s’abstienne de siéger, parce qu’il a des raisons de suspecter sa partialité à son égard, pour des causes déterminées par la loi… ». Les motifs de récusation de l’arbitre sont les mêmes que celles prévus pour le juge étatique.

Les motifs de récusation de l’arbitre sont énumérés à l’article 323 du Code de procédure civile marocain. La demande de récusation doit être présentée par écrit au président de la juridiction compétente dans un délai de 8 jours à compter de la date où le demandeur était au courant de la constitution du tribunal arbitral ou de l’un des motifs énumérés ci-dessus.

Par conséquent, la procédure sur laquelle l’arbitre récusé a statué est réputée nulle, y compris la sentence.

Toutefois, la récusation mettant fin à la mission de l’arbitre, ne peut intervenir qu’en vertu du consentement unanime des parties au litige, ce qui donnera lieu à la nomination d’un arbitre remplaçant qui doit également signer un engagement de mission et se tenir au secret professionnel, à défaut duquel il risque d’engager sa responsabilité pénale.

Si l’arbitre refuse d’entamer ou de poursuivre sa mission, entrainant ainsi un retard dans la procédure, le président de la juridiction peut, sur la demande de l’une des parties, mettre fin à sa mission. Cette décision n’est susceptible d’aucun recours. En plus, un arbitre est tenu de compléter sa mission jusqu’à son terme et donc, ne peut en aucun cas se désister après acceptation et sans cause valable, sous peine de verser des dommages et intérêts.

Une fois la demande de désistement ou de récusation présentée, la procédure d’arbitrage est suspendue sauf si, le cas échéant, l’arbitre refuse de se désister.

Cependant, les difficultés relatives à ces deux formes de fin anticipée de mission, sont portées devant le président du tribunal qui décide, par ordonnance non susceptible de recours, dans le cadre d’une procédure contradictoire.

Malgré la rapidité que procure l’arbitrage par rapport aux juridictions étatiques, surtout en ce qui concerne les affaires, ce mode alternatif de résolution des litiges ne bénéficie pas de l’autonomie absolue à l’égard des ordres juridiques. Hormis qu’il soit un droit qui s’est consolidé au fil des années, l’arbitrage manque encore des outils qui pourraient lui procurer une telle autonomie.

La différence entre un arbitre et un juge réside dans les pouvoirs que chacun des deux détient. Tandis que l’arbitre peut rendre des jugements au même titre que le juge étatique (juridictio), ce dernier est, en plus de ça, investi de l’imperium, c’est-à-dire d’un pouvoir issu d’une autorité étatique suprême. C’est pour cette raison que les jugements rendus par l’arbitre n’ont pas force exécutoire.

Ahmed Benattou Cadre administratif au Ministère Marocain de l'enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l'innovation Email: [->ahmedbenattou166@gmail.com]