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Salarié en forfait jours : l’employeur doit garantir une charge de travail raisonnable. Par M. Kebir, Avocat.
Parution : vendredi 2 décembre 2022
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L’effectivité et la validité d’un accord sur le forfait en jours requiert une double condition, aux termes des dispositions de l’article L3121-64 du Code du travail : la garantie du respect de durées raisonnables de travail assorties de repos journaliers et hebdomadaires, outre un cadre spécifique propre à assurer ce contrôle. Un tel contrôle, juge la Cour de cassation à travers sa décision du 9 novembre 2022 (Cass. Soc 9 novembre 2022, n°21-13.389), ne doit pas reposer, exclusivement, sur l’engagement du salarié de veiller lui-même au respect des temps de repos.

Pour rappel, tel qu’il résulte des articles L3121-53 (Code du travail), « la durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours ».

Le cadre juridique de la convention forfait en jours.

En application de l’article L3121-56 du même code, les forfaits en jours annuels peuvent être conclus par :
- les cadres qui disposent, sous certaines conditions, d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps ;
- les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être déterminée et disposant d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps [1].

En outre, les salariés en forfait jours ne sont pas soumis :
- aux durées hebdomadaires maximales de travail (48 heures par semaine ou 44 heures sur 12 semaines consécutives, sauf exceptions) ;
- ni à la durée quotidienne maximale de travail, soit 10 heures par jour [2].

De même, en termes de santé au travail et d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, plusieurs garanties et principes président à la mise en œuvre de ce mode, dérogatoire, d’exécution des obligations contractuelles. De surcroît, quand bien même les heures de travail ne sont pas décomptées, les salariés concernés bénéficient, au regard de l’article L3121-62 (Code du travail), de :

« un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives  ; un repos hebdomadaire d’une durée minimale de 24 heures consécutives auxquelles s’ajoutent les 11 heures du repos quotidien ».

En l’espèce [3], la Haute assemblée s’est prononcée sur l’effectivité des conditions de travail des salariées en forfait jours.

Ainsi, pour la Chambre sociale :

« l’entretien annuel avec le supérieur hiérarchique portant sur le temps de travail, l’organisation, la charge et l’amplitude du travail, le respect du repos quotidien et hebdomadaire ainsi que l’articulation entre les temps de vie professionnelle et la vie familiale,ne constituait pas, à lui seul, une garantie suffisante du contrôle du caractère raisonnable de l’amplitude et de la charge de travail ».

Entretien annuel et temps de travail.

Dans cette affaire, un salarié occupait les fonctions de directeur d’un magasin. La relation de travail est soumise à la convention de forfait en jours. A la suite d’un litige l’opposant à la direction, il a été mis à pied à titre conservatoire et licencié, dans la foulée, pour faute grave.

Contestant son licenciement, la validité de ladite convention, il saisit le Conseil de prud’hommes.

L’engagement du salarié de veiller lui-même au respect des temps de repos n’est pas à protéger la santé du salarié.

La cour d’appel prononce la nullité de la convention de forfait en jours, au motif d’insuffisance des garanties permettant de contrôler la charge de travail du salarié.

Position confirmée par les Haute assemblée. Rappelant, d’abord que, « le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles », elle juge que : « Si les accords d’entreprise contiennent des dispositions relatives à la garantie du respect des repos journaliers et hebdomadaires,ils ne prévoient en revanche aucune disposition spécifique propre à assurer le contrôle du repos quotidien de 11 heures consécutives et du repos hebdomadaire de 35 heures continues ».

Puisque le système prévu repose exclusivement sur l’engagement du salarié de veiller lui-même au respect des temps de repos.

La cour d’appel

« en a exactement déduit que ces dispositions, qui ne permettaient pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n’étaient pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restaient raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié soumis au forfait en jours et qu’en conséquence la convention de forfait était nulle ».

Partant, la cour régulatrice rappelle la protection contre les abus liés à la charge de travail et l’amplitude horaire.

Sur ce point, notons qu’en vertu des articles L3121-65 et suivantes (Code du travail), la convention de forfait en jours doit garantir :
- un document de contrôle avec le nombre et la date des journées travaillées
- la charge de travail du salarié compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires
- un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle sa rémunération [4] ;
- le droit à la déconnexion [5].

En ce sens, la décision commentée s’inscrit dans le droit fil de la position constante de la Cour de cassation faisant primer l’exigence de conditions de travail conformes, relativement à l’amplitude horaire et le repos du salarié.

A cet égard, au visa de l’article L3121-60 du Code du travail, il a été ainsi jugé que :

« Dès lors que les stipulations de la convention et de l’accord collectifs applicables ne permettent pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, la convention de forfait en jours et nulle » [6].

En somme, la latitude organisationnelle laissée au salarié, en forfait jours, rime avec équilibre professionnel et bien-être.

Me. Kebir Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Cabinet Kebir Avocat E-mail: [->contact@kebir-avocat-paris.fr] Site internet: www.kebir-avocat-paris.fr LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1Article L3121-58 Code du travail.

[2Article L3121-62 Code du travail.

[3Cass. Soc 9 novembre 2022, n°21-13.389

[4Article L3121-65 Code du travail.

[5Article L2242-17 Code du travail.

[6Cass. Soc. 8 nov. 2017, no 15-22.758 P.