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Investissements dans les crypto-monnaies : le cadre juridique italien. Par Mariangela Balestra, Avocat.
Parution : vendredi 9 décembre 2022
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Dans son arrêt n. 44378 du 22 novembre 2022, la Cour de cassation italienne confirme (comme déjà fait en 2020, cf. arrêt Cass. 26807/2020) que les crypto-monnaies peuvent être considérées des produits financiers et que la vente en Italie de crypto-monnaies, en tant que proposition d’investissement financier, constitue une offre publique soumise au contrôle de la Consob (Commission nationale pour les sociétés et la bourse) afin de sauvegarder les investisseurs, ainsi que l’efficacité et la transparence du marché financier. Hors de ce périmètre, la Cassation pénale confirme qu’il est interdit de proposer en Italie des investissements dans les crypto-monnaies.

1. Définition juridique de la crypto-monnaie en Italie et dans l’UE.

La définition juridique italienne de la crypto-monnaie est plus large que celle visée à l’art. 2, lit. d) de la directive 2018/843/UE du 30.05.2018, selon laquelle les « monnaies virtuelles » sont des

« représentations numériques d’une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange par des personnes physiques ou morales et qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique ».

Le législateur italien, d’autre part, envisage également la possibilité que les crypto-monnaies aient des objectifs d’investissement (article 1, lettre qq) Décret législatif 231/2007, tel que modifié par le décret législatif 125/2019), en plus d’une simple fonction d’échange et de paiement, tel que prévu par la définition UE.

2. Crypto-monnaies et investissement financier.

Selon la Cour pénale de cassation italienne, l’investissement de type financier par le biais de crypto-monnaies se produit quand les trois conditions suivantes sont remplies :
- lorsqu’il y a des sujets qui fournissent des capitaux sous forme de bitcoins ou d’autres crypto-monnaies,
- dont ils attendent un rendement et
- qui ont assumé un risque associé au capital investi.

Pour la Cour de Cassation, lorsque les crypto-monnaies ne sont pas utilisées comme moyen de paiement pour des biens ou des services, mais auxdits fins d’investissement, elles sont des produits financiers soumis à la réglementation relative à la protection des investisseurs et des marchés et aux obligations prévues pour l’intermédiation financière, notamment le régime des offres publiques régi par le régime de l’ offre publique prévu en particulier par les articles 94 et suivants du décret législatif 24 février 1998 n. 58 (le texte financier consolidé, TUF).

3. Crypto-monnaies et protection de l’épargnant-consommateur.

L’offre au public de produits financiers implique, entre autres, l’établissement d’un prospectus au public italien dont le contenu doit être apprécié par la Consob, en sa qualité d’autorité de surveillance financière italienne. Selon la Cassation, cette protection spéciale consiste en une « augmentation des obligations d’information envers le consommateur, afin de lui permettre de connaître le contenu de l’opération économico-contractuelle et de mûrir un choix de négociation réfléchi », y compris dans les cas d’un investissement dans les crypto-monnaies.

4. Crypto-monnaies et exercice illégal d’activité financière.

En Italie, en l’absence des autorisations prescrites et des conditions légales, l’activité financière est interdite et quiconque « offre hors site, ou propose ou place » des investissements « par des techniques de communication à distance », est passible d’une peine d’un an à huit ans de prison et d’une amende de quatre mille à dix mille euros [1].

5. Les exchanger et wallet provider.

Les prestataires de services sur actifs numériques qui peuvent encourir ledit crime sont :
- les exchanger, c’est-à-dire les sujets qui gèrent la plate-forme technologique qui permet l’achat et la vente de crypto-monnaies et de réaliser un profit, et
- les wallet provider, c’est-à-dire les gestionnaires de portefeuilles virtuels, qui fournissent professionnellement des tiers, y compris en ligne, avec des services de sécurisation de clés cryptographiques privées pour le compte de leurs clients afin de détenir, stocker et transférer des monnaies virtuelles.

Les exchanger et wallet provider sont définis dans la législation anti-blanchiment italienne d’origine européenne et sont soumis aux obligations correspondantes (décret législatif 90/2017 et décret législatif 125/2019 qui mettent en œuvre les directives anti-blanchiment IV et V respectivement). Les exchanger et wallet provider sont également tenus de s’inscrire sur un registre spécial italien auprès de l’OAM (art. 17 bis paragraphe 8 bis, décret législatif 141/2010 et décret du Ministère de l’Economie du 13 janvier 2022), afin de pouvoir exercer leur activité de changeurs de monnaie numérique.

6. La réglementation des crypto-monnaies et la vigilance en Italie.

A ce propos, il convient de préciser qu’en Italie, au-delà des autorités pénales, la lutte contre l’illégalité financière appartient à la Consob : l’art. 7-octies du décret législatif 58/1998 précise en effet que

« la Consob peut, à l’égard de toute personne qui offre ou réalise des services ou des activités d’investissement via Internet sans y être autorisée en vertu du présent décret :
a) rendre public, également à titre conservatoire, la circonstance que le sujet n’est pas autorisé à exercer les activités indiquées à l’article 1, paragraphe 5 ;
b) l’ordre de mettre fin à l’infraction
 ».

Plus récemment, la Consob fait usage des pouvoirs découlant du « décret de croissance » (loi n° 58 du 28 juin 2019, article 36, paragraphe 2-terdecies), pour ordonner aux fournisseurs de services de connectivité Internet de bloquer l’accès depuis l’Italie aux sites Web par lesquels des services ou des activités d’investissement sont proposés sans autorisation en bonne et due forme. La Consob met à jour la liste des blockages et autres mesures prises [2], par le biais d’avis aux épargnants. La Consob peut également infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 5 millions d’euros ou 3% du chiffre d’affaires, conformément à l’art. 191 du décret législatif 58/1998 (le texte financier consolidé, TUF).

7. Un exemple concret : le cas Binance.

En juin 2022, le plus grand échange de crypto-monnaie au monde, Binance, a formalisé l’inscription au registre italien des fournisseurs de services de monnaies virtuelles, auprès de l’OAM (Organismo degli Agenti e Mediatori, voir paragraphe 5), constituant une société en Italie, Binance Italy S.r.l..

Presque un an s’est écoulé depuis la note de la Consob expliquant que les sociétés du groupe Binance n’étaient pas « autorisées à fournir des services et des activités d’investissement en Italie [3] dont les sections appelées "derivatives" et "Stock Token", relatives aux instruments liés aux crypto-actifs, étaient auparavant également écrites en italien », invitant les épargneurs à « faire preuve de la plus grande prudence dans la réalisation d’opérations liées au …crypto-actifs… pouvant entraîner la perte totale des sommes d’argent utilisées » (Communication en ligne Consob de juillet 2021).

8. Conclusions.

En Italie, au-delà des technicités et de l’équation déclarée des crypto-monnaies avec les produits financiers, le but de la Cassation pénale semble clair, visant à faire contrôler par les juridictions pénales l’offre et la promotion des monnaies virtuelles en Italie sous l’angle des règles de lutte contre les pratiques financières illégales.

A la lumière de cette orientation criminelle, par conséquent, tous les exchanger ou wallet provider - donc non seulement les sujets italiens qui contrôlent des entreprises italiennes mais aussi les sujets étrangers - sont passibles de poursuites pénales en Italie lorsqu’ils proposent des crypto-monnaies comme investissement, sans respect de la législation de protection des épargneurs et du marché financier italien, ainsi que de la législation anti-blanchiment. En outre, l’accès aux sites Web de ces sujets depuis l’Italie pourrait également être inhibé.

Toutefois, à ce moment, le périmètre de la réglementation et des obligations à la charge de ces sujets n’est pas encore clairement défini : en 2019, la Consob a proposé à la consultation publique un document dénommé « Offres initiales et échanges de crypto-actifs » et a rédigé un rapport conclusif.

Le cadre juridique pourra subir des modification et innovations après l’entrée en vigueur du règlement européen sur les marchés de crypto-actifs (« Markets in Crypto-Assets », dit « MiCA »), récemment approuvé [4].

Mariangela Balestra, Avocat inscrit au Barreau de Bologne (Italie) Lex IBC www.lexibc.com

[1Art. 166, alinéa 1, lett c), décret législatif 58/1998.

[2Sur son site Internet, www.consob.it

[3Et notamment sur le site www.binance.com

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