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Demandes salariales et prescription. Par Grégory Chatynski, Juriste.
Parution : jeudi 15 décembre 2022
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Un arrêt de la Cour d’appel de Nancy du 17 novembre 2022 (chambre sociale section 2, RG n°21/02322), vient rappeler une règle contre-intuitive si l’on s’en tient à la seule lecture de l’article L3245-1 du Code du travail.

Que dit cet article ?

L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Clair ou pas clair ?

Pour tous les avocats de salariés (en tout cas, ceux contre qui j’ai été opposés), c’est clair : le salarié licencié peut revendiquer le paiement d’heures supplémentaires (litige habituel, surtout si est invoquée l’annulation ou l’inopposabilité d’une clause de forfait-jour) sur une période de 3 ans précédant la rupture, en général le licenciement.

L’article L3245-1 ne dit-il pas : « la demande peut porter (…) lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat » ?

C’est clair, non ?

D’apparence oui mais en droit non.

Que dit la Cour d’appel ?

« L’alternative dont il prétend pouvoir bénéficier en application de la seconde phrase de ce texte n’intervient que quand le jour de la connaissance du droit est postérieur au jour de la rupture du contrat de travail, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ».

C’est clair, non ?

Oui, enfin.

Enfin, car de nombreux avocats, suivis par certaines Cours d’Appel font une lecture erronée de l’article L3245-1 du code du travail.

Il convient de rappeler ici certains éléments :

Raisonner comme certains le font, à savoir pouvoir dans les 3 ans suivant la rupture du contrat solliciter un rappel de salaire sur une période de 3 ans précédant cette rupture, reviendrait à dépasser, voire à quasiment doubler le délai triennal de prescription, ce que ne dit pas l’article L3245-1 du Code du travail.

En effet, cet argument se heurte irrémédiablement à la première phrase de l’article L3245-1 du Code du travail : « l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Car c’est bien chaque mois que les salariés demandeurs « ont connu ou auraient dû connaître les faits » susceptibles de saisine judiciaire.

La Cour de cassation a été amenée, par un arrêt de cassation [1], donc d’une portée particulière, à rappeler la règle de droit en la matière :

« Vu l’article L3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l’article 21 V de la loi du 14 juin 2013 et les articles L3242-1 et L3141-22 du code du travail ;

Attendu qu’aux termes du premier de ces textes, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, que la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ; que selon le deuxième de ces textes, les dispositions du nouvel article L3245-1 du code du travail s’appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans ; qu’il résulte des deux derniers textes que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible, que pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré ;
(…)
Qu’en statuant ainsi alors, d’une part, que la prescription instituée par les textes susvisés s’applique à toute action afférente au salaire et que tel est le cas d’une action tendant au versement, à la suite de la requalification de contrats de mission en contrat à durée indéterminée, de sommes au titre de la rémunération des journées de travail non effectuées, et que, d’autre part, la durée totale de la prescription ne peut excéder la durée prévue par la loi antérieure de sorte que les sommes dues antérieurement au 17 novembre 2009 étaient prescrites, la cour d’appel a violé les textes susvisés
 ».

Ainsi, la Cour rappelle-t-elle systématiquement, et notamment dans l’espèce susvisée, que s’il convient d’appliquer les nouvelles dispositions aux prescriptions en cours, la durée totale de la prescription ne doit pas excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans. Or, de telles dispositions transitoires ne sont applicables que dans l’hypothèse où le nouveau délai de prescription est plus court. Il ne peut donc jamais être de six ans.

C’est également le sens historique de la diminution des délais de prescription : la loi a voulu substituer un délai de 3 ans au délai de prescription précédent de 5 ans.

Ainsi, l’exposé des motifs de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui a adopté l’article L3245-1 du code du travail indique-t-il :

« L’article 16 reprend les dispositions de l’article 26 de l’accord sur les délais de prescription. Sous réserve de délais spécifiques prévus par le code du travail, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat se prescrit par vingt-quatre mois à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Toutefois, l’article 16 précise que ces délais ne s’appliquent pas pour des actions ne portant pas sur l’exécution du contrat de travail, telles que les actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail et les actions exercées pour des faits de discrimination ou de harcèlement. Par ailleurs, les demandes de salaires se prescrivent désormais par trois ans à compter du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit  » [2].

L’interprétation téléologique de l’article L3245-1 du Code du travail aboutit à considérer, en synthèse :
- Que le délai de prescription de 3 ans court à partir du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action judiciaire en paiement (comme précédemment le délai de 5 ans, auquel s’est simplement substitué le délai de 3 ans) ;
- Que la question de la rupture du contrat, nouvelle par rapport à la règle précédente, ne reporte pas le point de départ de la prescription, qui n’est en rien modifiée par cet évènement, mais vise simplement à tenir compte d’une situation dont le salarié n’a pris connaissance que postérieurement à cette rupture (par ex, jugement modifiant les droits et obligations des parties : requalification temps partiel/ temps plein ; changement de convention collective…)

C’est sur ce dernier point que la Cour de cassation a pu juger, par un arrêt du 09.06.2022 (n° 20-16.992), dans le cadre d’une demande de requalification temps partiel/ temps plein, que :

- "Ayant, d’abord, constaté que le salarié soutenait avoir atteint la durée légale du travail en septembre 2013, la cour d’appel a exactement retenu que le point de départ du délai de prescription n’était pas l’irrégularité invoquée par le salarié, mais la date d’exigibilité des rappels de salaire dus en conséquence de la requalification. Elle en a exactement déduit que la prescription triennale avait été interrompue par la saisine de la juridiction prud’homale le 12 décembre 2016  ;
- « la cour d’appel, qui a, ensuite, retenu que les rappels de salaires échus à compter du mois de novembre 2013, soit moins de trois ans avant la rupture du contrat de travail, n’étaient pas prescrits, en a exactement déduit que le salarié était fondé à tirer les conséquences, dans cette limite, du dépassement, au mois de septembre 2013, de la durée légale du travail, pour prétendre au paiement d’une rémunération sur la base d’un temps plein ».

C’est parce que l’action du salarié tendait à faire reconnaître une situation nouvelle (temps partiel/ temps plein) qu’il a été admis, une fois ce droit reconnu judiciairement, à obtenir paiement de sommes sur une période antérieure à la rupture du contrat, mais surtout antérieure de 3 ans précédant la saisine de la juridiction.

C’est donc bien comme l’affirme la Cour d’appel de Nancy la connaissance du droit, postérieure à la rupture, qui ouvre la seconde alternative du texte.

Par ailleurs, sans faire de la casuistique jurisprudentielle, d’autres Cours d’appel appliquent correctement la règle de droit.

Ainsi la Cour de Nancy, déjà, dans une décision du 27 mai 2021 (n° RG 19/03536) :

« Dès lors, il y a lieu de déclarer les demandes d’indemnisation antérieures au 17 septembre 2015, le conseil de prud’hommes ayant été saisi le 17 septembre 2018, prescrites, le jugement du conseil de prud’hommes étant confirmé sur ce point » (heures supplémentaires).

Ainsi un arrêt de la Cour d’appel de Dijon du 27 août 2020 (RG n°18/007236) où apparaît nettement que le salarié a été licencié le 4 octobre 2016, qu’il a saisi le Conseil de prud’hommes le 20 juin 2017, et que la Cour fait courir la prescription à partir de cette dernière date, et non à partir de la date de rupture du contrat :

« (…) M. L. n’ayant saisi le conseil de prud’hommes que le 20 juin 2017, la prescription est acquise pour cette période. Pour la période postérieure au 16 juin 2013, seule n’est pas atteinte par la prescription la période ayant couru à partir du 20 juin 2014 » (délai de prescription de 3 ans) [3].

Ainsi un arrêt de la Cour d’appel de Bastia, 17 avril 2019 (RG n°18/001234) où apparaît nettement que le salarié a été licencié le 24 mars 2015, qu’il a saisi le 27 juillet 2015 et que la Cour fait courir la prescription à partir de cette dernière date, et non à partir de la date de rupture du contrat :

« la prescription, ayant commencé à courir le jour où l’intéressé avait connaissance de ses droits ou aurait dû les exercer, soit en l’occurrence à la réception chaque mois de ses bulletins de salaire, était acquise au jour de la demande formée le 27 juillet 2015, uniquement pour la période antérieure au 27 juillet 2010 ; que sera donc déclarée irrecevable comme prescrite la demande de Monsieur F... pour la période antérieure au 27 juillet 2010 et recevable pour le surplus » (délai de prescription de 5 ans, ancienne législation) [4].

Ou encore divers arrêts de la Cour de cassation des 9 décembre 2020 (19-12.788), 25 novembre 2020 (n°19-10.859) et 8 avril 2021 (19-22.700) qui confirment pleinement la règle rappelée à l’arrêt du 20 février 2019 (n°17-21887) ci-avant :

Arrêt du 25 novembre 2020 :

« En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la salariée, qui sollicitait le paiement de rappels de salaire pour la période de février 2009 à juin 2013, avait saisi la juridiction prud’homale le 8 juillet 2015, ce dont il résultait que la prescription de trois ans issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 était applicable aux créances salariales non prescrites à la date de promulgation de la loi, sans que la durée totale de prescription ne puisse excéder cinq ans, de sorte que les demandes de la salariée portant sur des créances nées postérieurement au 8 juillet 2010 n’étaient pas prescrites, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Là encore, la Haute Cour confirme que le délai de prescription se calcule rétroactivement à partir de la saisine de la juridiction (ici, le 8 juillet 2015), indépendamment de la question du délai abrégé de prescription.

Arrêt du 9 décembre 2020 :
Nb : cet arrêt est un arrêt de cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon du 21 décembre 2018 pour violation et fausse application des règles transitoire de la prescription abrégée (de 5 ans à 3 ans), qui n’intéressent pas le présent litige.

Les faits de l’espèce sont toutefois très intéressants en ce qu’il apparaît clairement que la Cour avait considéré, comme l’ensemble des jurisprudences énoncées ci-avant (appel et cassation), que le délai de prescription courait non pas rétroactivement à partir de la rupture du contrat de travail (ici, le 29 avril 2014), mais à partir de la saisine de la juridiction (ici, le 31 mars 2017).

Arrêt du 8 avril 2021 :

« Vu l’article L. 3245-1 du code du travail et l’article 21 V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :
10. Aux termes du premier de ces textes, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
11. Selon le second, ces règles s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
12. Pour condamner l’employeur à payer à la salariée une certaine somme à titre de rappel d’heures supplémentaires pour les années 2008 à 2012, outre congés payés afférents, la cour d’appel a repris les sommes calculées par la salariée sur des années entières et en a déduit l’équivalent monétaire des jours de réduction du temps de travail pris chaque année.
13. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu, à bon droit, que c’était à juste titre que le conseil de prud’hommes, saisi par la salariée le 18 novembre 2013, avait déclaré recevables les demandes en paiement d’heures supplémentaires non atteintes par la prescription quinquennale, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en accueillant la demande de la salariée au titre d’heures supplémentaires accomplies antérieurement au 18 novembre 2008, a violé les textes susvisés
 ».

Là encore, la Haute Cour confirme non seulement que le délai de prescription ne peut être supérieur à 5 ans (ancien délai), mais aussi que le délai de prescription se calcule rétroactivement à partir de la saisine de la juridiction (ici, le 18 novembre 2013), indépendamment de la question du délai abrégé de prescription.

Ou encore, les attendus décisifs de l’arrêt de la Cour de Cassation du 30 juin 2021 (n°18-23.932) :

« 5. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement d’un rappel de salaire fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L3245-1 du code du travail.
6. Après avoir retenu que la convention de forfait en jours était inopposable au salarié, la cour d’appel, qui a constaté que ce dernier sollicitait un rappel d’heures supplémentaires exécutées en 2013, 2014, 2015 et durant les trois années précédant la saisine du conseil de prud’hommes, a exactement décidé que la demande n’était pas prescrite
 » [5].

Il résulte donc clairement de ce qui précède :
- que le délai de prescription d’une action relative au paiement d’heures de travail, et plus généralement de toute somme de nature salariale, est bien de 3 ans, et ne peut être augmenté, ni atteindre 6 ans en cas de rupture du contrat, pour des faits que le demandeur « a connu ou aurait dû connaître » ce qui est le cas d’heures de travail, seraient-elles ‘supplémentaires’ ;
- que pour savoir quelles demandes sont recevables, il s’agit de computer les délais rétroactivement à partir de la saisine de la juridiction ou de la demande judiciaire, sauf si la connaissance du droit est postérieure à la rupture.

A bon entendeur.

Grégory Chatynski Responsable juridique droit social Ancien Conseiller prud'homal Employeur, Industrie Conseiller prud'homal Employeur, Encadrement (2023-2025)

[1Cass. Soc. 20.02.2019, n°17-21887.

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