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Salariés lanceurs d’alerte : les obligations de l’employeur. Par Avi Bitton, Avocat et Aurore Pécourt, Juriste.
Parution : mardi 13 décembre 2022
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La loi du 21 mars 2022 protège les salariés lanceurs d’alerte, qu’ils dénoncent un harcèlement, une discrimination, une fraude financière ou sociale, un scandale éthique ou sanitaire, une pratique anti-concurrentielle, ….
Comment le salarié doit-il effectuer le signalement ?
Quelles procédures l’employeur doit-il mettre en place pour recueillir les signalements ?
Le décret du 3 octobre 2022 répond à ces questions.

Le décret du 3 octobre 2022 fixe les procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte.

Depuis la loi du 21 mars 2022 visant à protéger les lanceurs d’alerte, le lanceur d’alerte peut choisir entre un signalement interne, c’est-à-dire auprès de son employeur (notamment DRH ou représentant légal), et un signalement externe, auprès des autorités compétentes (Inspection du travail, procureur de la république, Défenseur des droits, autorité des marchés financiers, autorité de la concurrence, agence française anti-corruption, CNIL …).

L’alerte publique (presse, réseaux sociaux, …) constitue un troisième type d’alertes.

Elle ne pourra être mise en œuvre que dans certains cas :
- en absence de traitement à la suite d’un signalement externe dans un certain délai ;
- en cas de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir ;
- ou en cas de « danger grave et imminent » ou pour les informations obtenues dans un cadre professionnel en cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ».

I. La procédure interne de recueil et de traitement des signalements.

La loi du 21 mars 2022 impose aux entreprises d’au moins 50 salariés de mettre en place une procédure de signalement interne, pour recueillir et traiter les alertes.

Le décret du 3 octobre 2022 précise d’abord les modalités de calculs de ces salariés. A titre d’exemple, l’article 2 indique que

« Pour les personnes morales de droit privé et pour les personnes morales de droit public employant des personnels dans les conditions du droit privé, le seuil de cinquante (…) s’apprécie à la clôture de deux exercices consécutifs (…) ».

Ensuite, le décret détermine les modalités de mise en place de cette procédure interne. L’employeur choisit l’instrument juridique dans lequel il inscrit la procédure de signalement.

Il peut s’agir d’une de note de service ou d’un accord collectif d’entreprise. Au préalable, doivent être consultées les instances de dialogue social telles que le comité social économique (CSE) dans le secteur privé [1].

L’employeur est tenu de diffuser la procédure de signalement interne par tout moyen assurant une publicité suffisante : notification, affichage ou publication, le cas échéant sur son site internet ou par voie électronique [2].

Outre le recueil des alertes (A.), l’employeur est chargé d’assurer le traitement de celles-ci (B.).

A. Le recueil des alertes.

La procédure mise en place doit instaurer un canal de réception des signalements permettant au lanceur d’alerte d’adresser un signalement par écrit et/ou par oral (article 4 du décret).

Dans le cas d’un signalement oral, ce dernier est contresigné et peut se faire par téléphone, par tout autre système de messagerie vocale, par visioconférence ou par rencontre physique sous certaines conditions [3].

La procédure doit indiquer « la ou les personnes ou le ou les services désignés par l’entité pour recueillir et traiter les signalements », étant précisé que les intéressés « disposent, par leur positionnement ou leur statut, de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à l’exercice de leurs missions ». De plus, « la procédure prévoit les garanties permettant l’exercice impartial de leurs missions » [4].

La procédure doit également garantir « l’intégrité et la confidentialité des informations recueillies dans un signalement, notamment l’identité de l’auteur du signalement, des personnes visées par celui-ci et de tout tiers qui y est mentionné », interdire « l’accès à ces informations aux membres du personnel qui ne sont pas autorisés à en connaître » et, prévoir « la transmission sans délai aux personnes ou services compétents les signalements reçus par d’autres personnes ou services » [5].

Cette procédure de recueillement des alertes peut être externalisée par un tiers, ou peut faire l’objet de ressources partagées entre certaines entités employant moins de 250 salariés [6].

B. Le traitement des alertes.

Une fois l’alerte reçue, l’entité a l’obligation d’accuser réception du signalement dans les sept jours ouvrés de sa réception.

L’entité informe, par écrit, le lanceur d’alerte du traitement de son signalement dans un délai de trois mois à compter de l’avis de réception du signalement. Elle l’informe sur les mesures envisagées ou prises pour évaluer l’exactitude des allégations. [7].

L’entité qui reçoit le signalement vérifie que les conditions de l’exercice du droit d’alerte soient remplies.

Lorsque les allégations s’avèrent exactes, l’entité doit tout mettre en œuvre, avec les moyens à sa disposition pour remédier à l’objet du signalement.

Lorsque les allégations sont inexactes, infondées ou lorsque le signalement est devenu sans objet l’entité clôture le signalement. L’auteur du signalement est informé par écrit de la clôture du dossier [8].

L’employeur est également tenu de mettre à disposition des informations claires et facilement accessibles concernant les procédures de signalement externe (article 8 du décret).

II. La procédure de recueil et de traitement des signalements par les autorités externes.

La loi du 21 mars 2022 prévoit que le lanceur d’alerte peut, soit après avoir effectué un signalement interne, soit directement (sans signalement interne préalable), adresser un signalement externe :
- au Défenseur des droits ;
- à l’autorité judiciaire (Procureur de la République) ;
- à une institution, à un organe ou à un organisme de l’Union européenne compétent pour recueillir ces informations ;
- à toute autorité compétente parmi celles désignées par décret.

Le décret du 3 octobre 2022 dresse, en son annexe, et selon leur champ de compétence, lesdites autorités.

A titre d’exemple, en matière de marchés publics, les autorités externes chargées du traitement des signalements sont l’Agence française anticorruption (AFA) pour les atteintes à la probité, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et l’Autorité de la concurrence pour les pratiques anticoncurrentielles.

La direction générale du travail (DGT) est désignée pour les alertes relatives aux relations individuelles et collectives du travail ainsi que pour les conditions de travail ; la Commission nationale de l’Informatique et des libertés (CNIL) pour la protection de la vie privée et des données personnelles, la sécurité des réseaux et des systèmes d’information ; l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) pour la protection de l’environnement.

Par ailleurs, le décret fixe les modalités de la procédure de signalement externe, qui sont calquées sur la procédure interne [9].

Conformément aux dispositions du décret, ces autorités sont chargés de recueillir et traiter les signalement relevant de leur champ de compétence [10].

Lorsque l’autorité estime que le signalement ne relève pas de sa compétence, ou qu’il relève également de la compétence d’autres autorités, elle le transmet sans délai à l’autorité externe compétente ou au Défenseur des droits, dans des conditions permettant de garantir l’intégrité et la confidentialité des informations qu’il contient [11].

En outre, chaque année, les autorités doivent rédiger et transmettre un rapport sur le fonctionnement de leur procédure de recueil et de traitement des signalements au Défenseur des droits [12]. Cette procédure est réexaminée tous les trois ans [13].

Avi Bitton, Avocat au Barreau de Paris, et Aurore Pécourt, Juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Article 3 du décret.

[2Article 8 du décret.

[3Article 6 du décret.

[4Article 5 du décret.

[5Article 6 du décret.

[6Article 7 du décret.

[7Article 15 du décret.

[8Article 4 du décret.

[9Article 10 du décret.

[10Article 9 du décret.

[11Article 12 du décret.

[12Article 13 du décret.

[13Article 14 du décret.