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Droit de l’environnement : le pragmatisme en mouvement. Par Mireille Klein, Responsable juridique.
Parution : mercredi 14 décembre 2022
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Le droit de l’environnement, droit jeune (pour l’essentiel issu des années 1970), souvent méconnu et finalement assez peu émergent jusqu’en 2020, n’est désormais plus un droit subissant et ignoré, mais bien un droit en pleine évolution, riche, innovant, adaptable et éminemment pragmatique, qui sait s’élever à la hauteur du caractère inédit des enjeux environnementaux actuels.

Début du COVID, prise de conscience accrue des enjeux liés au climat et à la santé, pression de la population en ce sens (en ce compris les actionnaires), proximité des effets du dérèglement climatique… ont fait –dans le domaine de l’immobilier tout particulièrement- de ce droit un droit désormais incontournable, touffu, diffus, d’une grande technicité et d’un incroyable pragmatisme, générateur d’innovations à la hauteur du caractère inédit de l’état environnemental actuel.

Spécialement significatives à cet égard sont les publications de la loi n°2021-1104 dite Climat et résilience du 22 août 2021 et de la loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la Lutte contre le Gaspillage et à l’Economie Circulaire appelée aussi loi AGEC.

Le droit de l’environnement est devenu un droit qui s’écrit « en marchant » avec les usagers et/ou utilisateurs : à titre d’exemple, les startup d’Etat qui développent et adaptent « en direct » les plateformes du type Trackdéchets (issues de la loi AGEC), les ajustant en fonction des remontées opérationnelles, à des fins d’optimisation du suivi des déchets ou encore la loi Climat elle-même, écrite sur la base des réflexions et attentes de personnes choisies au hasard dans la population et ayant formé la « Convention Citoyenne pour le Climat ».

Le droit de l’environnement vient aujourd’hui au nom du caractère devenu critique de la situation environnementale porter atteinte et restrictions au sacro-saint droit de propriété, base du droit français ; il est venu par exemple – via la loi Climat (article 159) [1]- empêcher purement et simplement l’augmentation des loyers des logements dont le diagnostic de performance énergétique est classé F ou G (« passoires thermiques ») depuis le 24 août 2022.

Le droit de l’environnement protège aujourd’hui des espaces nouveaux qui ne ressemblent plus aux sanctuaires type réserve naturelle ou parc national mais visent à préserver :
- les espaces calmes et sans bruit, au travers du plan de prévention du bruit dans l’environnement et/ou des plans de déplacements urbains dans les communes de plus de 100 000 habitants
- les espaces sans lumière et la nocturnité : trop de lumière nuit à l’environnement nocturne, emporte des effets sanitaires sur l’homme (fatigue, stress, désynchronisation du biorythme…) et trouble les cycles biologiques de nombreuses espèces animales affectant leur développement et leur comportement ; on développe ainsi les « trames noires » par la réglementation de l’éclairage public et des publicités lumineuses… plus récemment aussi au titre des nécessaires économies d’énergie…
- les espaces non artificialisés (« trame brune » de la trajectoire zéro artificialisation nette / ZAN – [2]) pour conserver ou restaurer les fonctionnalités essentielles du sol.

Le droit de l’environnement vient conforter les pratiques vertueuses existantes : ainsi en matière de réemploi des matériaux de construction et de démolition ; la loi AGEC est venue sécuriser les pratiques existantes en matière de réemploi et a notamment facilité ce dernier en sortant du statut de déchets les matériaux susceptibles d’être concernés [3].
Cette confortation, éminemment pratique, permet aujourd’hui, via le choix de la valorisation, des économies substantielles en termes économiques outre les effets profitables pour l’environnement.

Le droit de l’environnement devient interventionniste et créée de nouveaux outils « sur mesure » ; la loi (loi Climat, article 244), en prolongement de son chapitre judicieusement mais tristement intitulé "Adapter les territoires aux effets du dérèglement climatique » (et non lutter), institue un droit de préemption au profit des communes figurant sur la liste établie par décret [4] afin de prévenir les conséquences dommageables du recul du trait de côte sur les biens qui y sont situés.

L’article 242 interdit toute nouvelle construction dans les zones (à cartographier d’ici 4 ans par les communes) exposées au recul du trait de côte à l’horizon de 30 ans.

Dans les zones exposées au recul du trait de côte à un horizon compris entre 30 et 100 ans, sera obligatoire la démolition de toute construction nouvelle, à compter de la date d’entrée en vigueur du PLU intégrant ces zones, lorsque le recul du trait de côte sera tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au-delà d’une durée de trois ans. Qui plus est, la mise en œuvre de telles constructions sera subordonnée à la consignation, entre les mains de la Caisse des Dépôts, d’une somme correspondant au coût prévisionnel de la démolition et de la remise en état des lieux !

L’ordonnance du 6 avril 2022 [5] créée un bail réel d’adaptation à l’érosion côtière qui comprend un mécanisme de résiliation anticipée en fonction de l’évolution de l’érosion, si la sécurité des personnes et des biens ne peut plus être assurée.
Ce bail peut être conclu entre un bailleur public et un locataire sur des ouvrages et bâtiments situés dans les zones exposées au recul du trait de côte, pour une durée comprise entre 12 et 99 ans.
Il vise à maintenir une activité sur un territoire soumis au recul du trait de côte tant que les conditions le permettent, tout en prévoyant la déconstruction des biens mis à bail et la renaturation des terrains.

Le droit de l’environnement internalise les coûts et organise les cycles de vie des matériaux ; à noter à ce titre l’éco-contribution permettant de financer la collecte, le recyclage et donc l’allongement potentiel de la durée de vie des matériels concernés.
On peut aussi évoquer la réflexion de réversibilité attendue au travers de l’étude du potentiel de changement de destination et d’évolution du bâtiment, outil diagnostic dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2023 [6]. Cette étude devra être réalisée préalablement aux travaux de construction ou de démolition de certains bâtiments. Elle aborde y compris le potentiel pouvant résulter de la surélévation du bâti.

Tout aussi bien, la Réglementation Environnementale (RE2020) qui s’impose à tous les bâtiments neufs à usage d’habitation depuis janvier 2023 introduit, nouvellement par rapport à la réglementation antérieure (la RT 2012), le calcul des impacts environnementaux du bâtiment en prenant en compte leur durabilité sur une durée de 50 ans et par suite les logiques d’écoconception.
Le calcul se base sur le principe de l’analyse du cycle de vie, qui permet d’objectiver les impacts du bâtiment à travers une série d’indicateurs environnementaux (depuis l’extraction des matières nécessaires à la production des produits de construction et des équipements, jusqu’à la destruction en fin de vie du bâtiment et le traitement des déchets qui en découle, le transport étant également inclus entre chacune des étapes).

On peut donc en conclure que le droit de l’environnement n’est désormais plus un droit subissant et ignoré mais bien un droit en pleine évolution, riche, innovant, adaptable et éminemment pragmatique, qui sait s’élever à la hauteur du caractère inédit des enjeux environnementaux actuels.

Mireille Klein, Responsable juridique/référente RSE et vacataire en M2 et au CNAM/ secteur Grand Est

[1Décret n° 2022-1079 du 29 juillet 2022 relatif à l’évolution de certains loyers dans le cadre d’une nouvelle location ou d’un renouvellement de bail, pris en application de l’article 18 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

[2Article 191 de la loi Climat fixant l’obligation pour les territoires de réduire de moitié le rythme de consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers d’ici à 2031.

[3Décret n° 2021-380 du 1er avril 2021 orchestrant la mise en application de l’article 115 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (dite loi AGEC) concernant la sortie du statut de déchet.

[4Aujourd’hui 126 communes soit environ un cinquième du littoral français, liste qui devra être révisée tous les 9 ans, identifiant les communes vulnérables au regard de l’érosion côtière et du recul du trait de côte.

[5Ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte (JO n°0082 du 7 avril 2022).

[6Loi Climat, L122-1-1 et L. 126-35-1 du code de la construction et de l’habitation.