Village de la Justice www.village-justice.com

Redressement judiciaire : impossible résiliation du bail pour causes financières antérieures au jugement. Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : vendredi 16 décembre 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/bailleur-peut-faire-constater-resiliation-bail-pour-des-causes-financieres,44569.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Fragilisées par l’inflation et l’allongement des délais de paiement, les entreprises ont de plus en plus de mal à rembourser leur Prêt Garanti par l’État (PGE). La plupart des PGE souscrits en 2020 et qui ont permis de soutenir les entreprises pendant les mois de pandémies, sont remboursables pour une partie importante d’entre eux à partir de 2022.

Beaucoup d’entreprises commencent à rembourser leur prêt garanti par l’Etat (PGE) obtenu il y a deux ans pendant le 1er confinement. Jusqu’à présent, les pouvoirs publics se voulaient rassurants, indiquant que très peu de bénéficiaires du PGE rencontreraient des problèmes de remboursement.

Mais dans le contexte inflationniste actuel, cela tend encore un peu plus la trésorerie de certaines PME.

Il semblerait que de nombreuses entreprises ne soient plus en mesure de rembourser leurs dettes. Au point d’entraîner une hausse inédite du nombre de défaillance et ainsi une hausse inquiétante du nombre croissant d’entreprises en difficultés dans les couloirs de la Cour d’appel de Paris.

La situation se détériore et le nombre de défaillance augmente très vite. Or, de nombreux bailleurs ont introduit des actions avant la mise en redressement judiciaire de l’entreprise locataire en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail commercial pour défaut de paiement des loyers échus antérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire.

« Dès janvier 2023 on risque d’avoir une explosion du nombre de procédures collectives ».

Près de 700 000 entreprises ont souscrit un PGE pour plus de 148 milliards d’euros au total.

En revanche, seulement 11% d’entre elles sont aujourd’hui acquittées de leur dette.

Les PGE ont essentiellement été octroyés à des très petites entreprises (TPE) ou des petites et moyennes entreprises (PME). Ces deux catégories représentent 99% du nombre de bénéficiaires et 77% des montants accordés dans le cadre du dispositif PGE.

Le secteur du tourisme, touché en premier lieu par la crise sanitaire de la covid-19, puis le BTP et l’automobile, prioritairement affectés par les conséquences du conflit russo-ukrainien guerre en Ukraine, représentent à eux seuls près de 50% des bénéficiaires de PGE.

Il s’agit de dirigeants qui n’ont plus de trésorerie et qui, parallèlement, doivent commencer à rembourser les PGE (prêts garantis par l’Etat).

Dans le même temps, l’Urssaf a recommencé les assignations pour retard de paiement de cotisations, le Trésor public les inscriptions de privilège pour des créances fiscales, et la Banque de France indique qu’un décalage de remboursement du PGE entraînera une décote de la notation de l’entreprise, ce qui dissuade certains chefs d’entreprise de le faire.

Mais il vaut mieux être décoté aujourd’hui et sauver son entreprise plutôt que conserver sa notation et disparaître dans quelques mois !

Après la crise sanitaire, les conséquences économiques de la crise en Ukraine (crise de l’énergie ou de l’approvisionnement, coût des matières premières) ainsi que la tension sur le marché du travail suscitent de fortes tensions sur la trésorerie des entreprises.

Autres facteurs de fragilisation des finances des entreprises, dans une période inflationniste : le remboursement à intervenir des échéances fiscales et sociales repoussées pendant la période de la covid-19, sans oublier évidemment la forte augmentation des taux d’intérêts qui risque d’empêcher de nombreux refinancements dans les prochains mois.

Pour sortir de cette mauvaise passe, il existe des procédures adaptées dans ces situations.

Outre le recours à la médiation du crédit, dont il convient de constater qu’elle demeure encore peu sollicitée, les procédures préventives (mandat ad hoc et conciliation) permettent dans le cadre d’une restructuration ciblée (dettes financières) ou plus globale (dettes fournisseurs, dettes obligataires, dettes fiscales ou sociales), de manière efficace et confidentielle, d’obtenir une durée de remboursement étendue au-delà de six ans (jusqu’à 10 ans) et cela sans déchéance de la garantie de l’Etat.

Et les procédures collectives de redressement judiciaire dont le principal objectif assigné par le législateur à la procédure de redressement judiciaire est de permettre à l’entreprise en difficulté de poursuivre l’exploitation de son activité, dans le cadre d’un traitement sous contrôle judiciaire, tout en lui permettant de rembourser ses dettes et de maintenir ses emplois.

Finalité : réorganiser l’entreprise pour permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien des emplois et l’apurement du passif. Le tribunal désigne un administrateur judiciaire lorsque le CA est supérieur à 3 millions d’euros et le nombre de salariés supérieur à 20.

Or, de nombreux bailleurs ont introduit des actions avant la mise en redressement judiciaire de l’entreprise locataire en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail commercial pour défaut de paiement des loyers échus antérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire.

Le bailleur peut-il faire constater la résiliation du bail pour des causes financières antérieures au jugement d’ouverture ?

1°- En droit, l’ouverture du redressement judiciaire rend caduque l’ordonnance de référé rendu.

L’article L622-21 du Code de Commerce dispose que :

« Le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L622-7 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ;
2° A la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent
 ».

Il arrête ou interdit également toute procédure d’exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture.

Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus.

Sur la base de ces dispositions, l’ouverture du redressement judiciaire de rend caduque l’ordonnance de référé rendue.

Le bailleur ne peut donc faire constater la résiliation du bail pour des causes financières antérieures au jugement d’ouverture dés lors que l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail commercial pour défaut de paiement des loyers échus antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective n’a donné lieu, à la date du jugement d’ouverture qu’à une ordonnance de référé frappée d’appel.

2°- Une instance de référé n’étant pas une instance en cours au sens de l’article L622-21 du Code de commerce, elle ne peut donc faire l’objet d’une reprise conformément à l’article L622-22 du Code de Commerce.

Postérieurement dès lors qu’elle n’a donné lieu, à la date du jugement d’ouverture, qu’à une ordonnance de référé frappée d’appel qui n’est donc pas passée en force de chose jugée, le bailleur ne pouvant faire constater la résiliation du bail pour des causes financières antérieures au jugement d’ouverture, il en résulte que la décision déférée, doit être déclarée caduque en ce qu’elle a constaté la résiliation du bail, ordonné l’expulsion du locataire et condamné celui-ci au paiement d’une indemnité d’occupation.

Il n’entre pas davantage dans les pouvoirs du juge des référés et, partant, dans ceux de la cour d’appel statuant dans le cadre de l’appel d’une ordonnance de référé, de fixer et d’admettre une créance à titre provisionnel, cette modalité étant exclusivement réservée aux créances du Trésor public et des organismes de prévoyance et de sécurité sociale en application de l’article L622-24 du Code de commerce.

Il appartient au bailleur de se soumettre à la procédure de vérification des créances, celui-ci justifiant d’ailleurs avoir déclaré sa créance, la fixation et l’admission de sa créance ressortant désormais à la compétence du juge-commissaire.

Il ressort à la seule compétence du juge du fond de statuer sur les manquements éventuels du bailleur à son obligation de délivrance.

En conséquence, l’ordonnance de référé rendue dont appel sera infirmée et il sera jugé que par l’effet du jugement d’ouverture, la cour est dessaisie du litige qui avait été porté devant la juridiction des référés qui n’a plus pouvoir de statuer, une instance de référé ne constituant pas une instance au sens des articles L622-21 et L622- 22 du Code de Commerce.

Le bailleur sera donc déclaré irrecevable en sa demande dès lors qu’au jour de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l’ordonnance de référé constatant l’acquisition de la clause résolutoire était frappée d’appel, l’acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement de loyers antérieurs à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire n’a pas encore été constatée par une décision passée en force de chose jugée conformément aux dispositions de l’article L145-41 du Code de commerce, de sorte que le bailleur ne peut plus poursuivre l’action antérieurement engagée, ce qu’interdisent les dispositions de l’article L622-21 paragraphe I, 2º, et peu important que l’ordonnance de référé soit exécutoire à titre provisoire.

Sur la base de ces dispositions, l’ouverture du redressement judiciaire rend caduque l’ordonnance de référé rendue.

Notes.

1. Arrêt Cour d’Appel de Paris Pôle 1 Chambre 3 du 10 février 2021 - RG 20/08648.
2. Arrêt Cour d’Appel d’Aix En Provence du 14 novembre 2014 - RG 12/14758.
3. Arrêt Cour d’Appel de Rouen du 18 mai 2017 - RG 16/01640.
4. Arrêt Cour d’Appel de Toulouse 3ème Chambre du 28 juin 2016 - RG 16/01066.
5. Arrêt Cour d’Appel de Toulouse 3ème Chambre du 15 juin 2017 - RG 17/01030.

Benoit Henry, Avocat Spécialiste de la Procédure d'Appel [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau Récamier Membre de Gemme-Médiation https://www.facebook.com/ReseauRecamier/