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Les quatre accords toltèques de l’avocat. Par Daniel Massrouf, Avocat.
Parution : lundi 19 décembre 2022
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Un des livres qui m’a le plus apporté à titre personnel est celui de Don Miguel Ruiz : « Les quatre accords ».

Une petite merveille, très simple et rapide à lire, mais d’un contenu puissant. Miguel Ruiz propose de passer avec soi quatre accords visant à briser nos croyances limitatives, celles que nous développons depuis l’enfance, qui distordent la réalité et nous maintiennent dans la souffrance.

Ces quatre accords sont très simples et devraient à mon sens être enseignés à l’école d’avocat. Car ces accords sont en totale adéquation avec notre déontologie, et avec ce qu’est, ou devrait être la pratique de notre métier.

Je vais présenter ces accords, et vous livrer l’expérience personnelle que j’en ai pour les replacer dans le contexte de la profession d’avocat.

Né d’une mère guérisseuse et d’un père nagual (chaman toltèque) Don Miguel Ruiz fait des études de médecine pour devenir chirurgien. Sa vie bascule lors d’une expérience de mort imminente qui l’aurait inspiré à chercher des réponses aux questions de l’existence dans la tradition toltèque.
Son livre Les Quatre Accords Toltèques, publié en 1997 s’est vendu à environ 9 millions d’exemplaires, dont 8,5 millions aux Etats Unis, et a il été traduit en 46 langues.

À force de conditionnements culturels et éducatifs sur ce qui est juste ou faux, bon ou mauvais, beau ou laid et de projections personnelles (« Je dois être gentil », « Je dois réussir »…), nous avons intégré une image fausse de nous-même et du monde.

La pratique des quatre accords permet de créer une sorte de bouclier de protection, qui nous permet de ne pas être vulnérable aux poisons émotionnels déversés par des personnes mal intentionnées ou, maladroites.

Elle nous permet aussi de ne pas nous juger nous-même, de ne pas nous accabler, et d’entretenir des relations harmonieuses avec les autres.

Premier accord : Que votre parole soit impeccable.

La parole est omniprésente dans la vie de chacun de nous.

Elle est la conséquence de notre faculté de pensée et elle est l’expression de celle-ci.

Le pouvoir de la parole est immense.

Vous pouvez, par la parole, aimer, consoler, encourager, aider une personne à prendre confiance en elle, à retrouver ou à garder espoir … Vous pouvez, par la parole, amener aussi, tout simplement, des moments de légèreté, et de détente.
Vous pouvez faire rire.

Mais on peut aussi, par la parole, blesser quelqu’un, le détruire, l’anéantir intérieurement, et l’amener même à mettre fin à ses jours.

C’est Léo Ferré qui disait : “les mots, les armes, c’est pareil, ça tue pareil”.

La parole est une arme à double tranchant, elle peut sauver et elle peut tuer.

Toute personne qui peut s’exprimer a ce pouvoir.

Et ce pouvoir est d’autant plus fort quand la personne peut s’exprimer aisément et quand la personne est auréolée d’un statut social et d’une crédibilité inhérente à celui-ci.

Ce pouvoir est d’autant plus fort lorsqu’il s’agit d’un Avocat.

Car l’Avocat est “dépositaire” de la parole. Il s’en sert pour communiquer, pour convaincre, pour plaider.

Il faut garder à l’esprit que le client, souvent en situation difficile, à quelque niveau que ce soit, va accorder une grande importance à ce qu’on va lui dire.

Il va “boire nos paroles”, les intégrer, les ingérer.

Il nous faut donc faire preuve de tact et de discernement. Ne pas lui vendre du rêve, ne pas lui donner de faux espoirs, ne pas le blesser non plus …

Etre dans une communication juste, c’est avoir une “parole impeccable”, pour reprendre la terminologie de M. Ruiz.

La parole impeccable est un défi permanent pour l’avocat.

D’autant que le métier suppose la contradiction, et même l’adversité.

Nous évoquons continuellement cette notion : la partie opposée est “la partie adverse”, on parle de “l’adversaire”.

Même si nous partons “au combat”, il faut éviter de ”blesser” l’adversaire, de l’humilier, de lui faire “mordre la poussière”.

Nous pouvons plaider tout en restant dans une certaine neutralité, sans émettre des jugements de valeurs, de jugement moraux contre la partie adverse.

Certes cela semble quasiment impossible aux Assises lorsque l’on défend la victime d’un crime… Mais le contentieux se joue dans tous les autres domaines du droit : commercial, civil, affaires familiales, prud’hommes… Et il est important alors de plaider sans blesser, de convaincre sans détruire…

Nous n’avons rien à gagner à être méprisant, à écraser l’autre, même si il s’agit de l’”adversaire”, et la profession n’a rien à y gagner non plus. Elle perdra de sa noblesse.

Nous devons parfois échanger avec des adversaires qui se présentent “en personne” au tribunal, avant l’audience, et qui n’ont pas d’avocat.

Ils pourraient être des “proies faciles” pour des professionnels du droit.

Il m’est arrivé, à maintes reprises, d’avoir un adversaire “en personne” alors que je devais plaider un dossier par devant le juge aux affaires familiales.

Je devais, avant l’audience, communiquer avec lui sur le dossier, les pièces. Conformément au principe du contradictoire.

Parfois, l’intéressé était intimidé, ou énervé, ou méfiant.

Je n’ai jamais cherché à le déstabiliser, à l’impressionner… j’ai toujours indiqué au contraire que je n’ai rien contre lui, à titre personnel. Que je suis là pour faire mon métier, et qu’un équilibre doit être trouvé.

C’est en effet l’équilibre juridique qu’il faut chercher à trouver, pour éviter les conflits persistants.

Souvent, cette approche permettait de détendre l’ambiance, de pacifier le conflit, de trouver in extremis un accord, à quelque minute de l’audience...

Deuxième accord : Quoi qu’il arrive n’en faites pas une affaire personnelle.

Ce deuxième accord toltèque est une suite logique du premier : dans le premier accord, notre parole doit être impeccable. Nous ne devons pas dire aux autres des choses qui les blesseront.

De la même façon nous ne devons pas laisser aux autres la possibilité de nous atteindre avec des propos blessants.

Il ne faut pas donner de l’importance à la médisance des autres à notre sujet. Nous ne sommes pas responsables de ce que les autres pensent, disent ou font.

Même lorsque vous vous faites insulter, cela n’a rien à voir avec vous.

Les gens émettent des opinions qu’ils ont conclues dans leur propre esprit.

Il ne faut pas s’ approprier le poison des autres !

Nous n’avons pas à nous pas justifier auprès d’eux ou à nous engager dans des conflits qui nous coûteront de l’énergie pour défendre vos croyances.

Don Miguel Ruiz précise : « Chacun est dans un monde totalement différent de celui dans lequel vous vivez. Lorsque nous faisons de tout une affaire personnelle, nous partons du principe que l’autre sait ce qu’il y a dans notre monde, et nous essayons d’opposer notre monde au leur ».

Exprimé différemment, on pourrait aussi comparer cet accord toltèque avec l’ordinateur et le virus informatique.

Nous pouvons avoir un ordinateur puissant. Mais si un virus vient dedans, il perturbera son fonctionnement, le ralentira, ou l’anéantira.

Pour éviter les virus, on prend un antivirus…

Pour éviter le virus de la médisance à notre encontre, l’antivirus sera un accord que nous allons faire envers nous-même : ne pas en faire une affaire personnelle.

Quelque propos désagréables, humiliants, ou diffamant que l’autre puisse tenir, c’est SA perception des choses qu’il exprime et non LA réalité.

Dans ma carrière, je ne suis intervenu que deux fois à la Cour d’Assises, alors que j’étais jeune avocat.

J’ai fait beaucoup de pénal, mais essentiellement devant les juridictions correctionnelles.

Lors de ma première intervention aux Assises, je défendais une femme accusée d’avoir commis des violences volontaires envers sa fille entraînant une incapacité permanente.

Elle les avait commis avec la complicité de son compagnon de l’époque, qui n’était pas le père de ses enfants.

J’avais étudié le dossier de façon approfondie, j’avais fait mon possible lors de la plaidoirie…

Je ne me souviens plus précisément du résultat, la cliente avait été déclarée coupable, mais sa peine était relativement légère au regard de la gravité des faits commis.

Une personne qui avait au cours de l’audience, été entendue en qualité de témoin, avait écouté ma plaidoirie…

Cette femme, âgée d’une trentaine d’année, est venue m’apostropher et me dire : « Vous n’aimez pas votre cliente pour que vous la défendiez si mal ? C’était pas terrible ».

J’étais sidéré par une telle impolitesse, et je n’ai pas su réagir à cet instant pour “la remettre à sa place”. Je me suis senti humilié, blessé, par une personne qui n’avait pas son mot à dire, qui n’avait pas à me parler et certainement pas pour me critiquer de la sorte.

Alors que je n’avais que quelques années de Barreau, je n’avais pas assez de répartie, et j’étais si surpris, que j’ai “encaissé”, sans rien répliquer.

Si je l’évoque aujourd’hui encore, c’est pour vous dire que plus de vingt ans plus tard, cela est encore dans mon esprit. Et je pense que je ne n’oublierai jamais ces propos blessants.

Je ne suis pas spécialement susceptible, et pourtant cela m’a fait du mal.

Si vous dites un jour à un peintre, à un musicien ou à un chanteur que sa production est nulle, vous le blesserez.

Vous le blesserez car il aura mis du temps, des efforts, de la sueur, des espoirs et des larmes, pour parvenir à réaliser un travail qui vient de lui, mais qu’il “offre” aux autres.

Il attend une reconnaissance, quoi de plus naturel ? Est ce purement égoïste ? “Egotique” ?

A défaut, il peut accepter un commentaire constructif, mais pas des propos cassants.

Ces propos le blessent intimement car peindre, jouer de la musique, chanter ou plaider c’est se mettre à nu, c’est montrer qui l’on est au fond. Notre production, c’est nous-même…

Nous sommes souvent la cible de critiques acerbes.

C’est là que doivent intervenir les accords toltèques et que nous devons nous dire : “quoi qu’il en soit, n’en fait pas une affaire personnelle”.

Telle personne estimera que notre plaidoirie est nulle, telle autre la trouvera au contraire intéressante et impressionnante … Chacun projette sa vision du monde sur ce qu’il perçoit.

Mais l’essentiel n’est pas de se dire que l’on a bien ou mal fait, mais que l’on a fait notre possible.

On ne peut pas plaire à tout le monde, et chaque esprit est un monde.

Il n’y a rien de mauvais en soi, et tout point de vue dépend de celui qui voit.

Laissons les choses aller, glisser sur nous, comme si les propos venimeux n’étaient tenus par personne .. Comme si la contrariété faisait partie de la vie ; il faut juste la constater, et la laisser partir.

A ce sujet, permettez moi de vous citer un de mes textes préférés du livre taoiste : “Le rire de tchouang Tseu“ :

« Cesse de vouloir être important, que tes pas ne laissent aucune trace

Voyage seul comme le Tao au pays du Grand Silence

Si un homme traverse une rivière avec une barque vide heurte sa propre embarcation il ne sera pas offensé ou courroucé, quelque chaud puisse être son sang,

Mais si la barque est dirigée par quelqu’un il se peut qu’il s’échauffe hurlant et jurant, simplement parce qu’il y a un rameur.

Prends conscience que toutes les barques sont vides quand tu traverses la grande Rivière du monde, et rien ne pourra t’offenser ».

Troisième accord : ne faites pas de supposition.

Comme ci-avant démontré, nous sommes inutilement affectés par ce que les autres disent de nous, mais également par ce que nous pensons qu’ils pensent de nous en étant souvent dans des interprétations erronées - D’où ce troisième accord : ne faites pas de suppositions.

Nous faisons très souvent des suppositions sur ce que les autres pensent ou font, on leur prête des intentions que l’on interprète mal.

Puis nous croyons ensuite que ces suppositions sont la vérité.

Nous supposons que les autres voient la vie comme nous la voyons, qu’ils pensent comme nous pensons, et ressentent les choses comme nous les ressentons ou les jugent comme nous les jugeons…

C’est une grosse erreur.

Un événement peut paraître anodin pour l’un, désastreux pour l’autre.

Le fait d’oublier l’anniversaire de sa petite amie peut démontrer à ses yeux qu’on ne l’aime pas, alors qu’au contraire, on peut être très amoureux, mais ne pas y avoir pensé, pour plein de raisons possibles.

Le fait qu’un « prétendant » ne vous téléphone pas ne signifie pas forcément qu’il ne pense pas à vous, mais cela peut juste démontrer qu’il n’a pas de temps ce jour là, ou qu’il a égaré votre numéro, ou qu’il est malade, ou que des circonstances extérieures rendent compliqué son appel etc…

Un même événement peut être interprété de beaucoup de façons.

Mais notre interprétation est souvent erronée, car nous supposons que l’autre voit le monde comme nous le voyons nous. Alors qu’il n’en n’est rien.

Je le répète, chaque esprit est un monde en soi…

Nous nous rendons souvent malade pour rien, en attribuant à l’autre des pensées et des analyses qu’il n’a pas, en essayant d’entrer dans la tête des gens, alors que c’est dans notre propre esprit que nous entrons en permanence… Illusionné que nous sommes, à la pensée que les autres raisonnent comme nous.

Quatrième accord : faites de votre mieux.

Quelques soient les circonstances, l’ouvrage de Ruiz recommande de toujours faire de son mieux, ni plus, ni moins.

Faire davantage que son mieux, c’est dépenser de l’énergie inutilement pour un résultat insatisfaisant, c’est aller au-delà de nos limites raisonnables.

Tandis que faire moins que le mieux dont on est capable, c’est se confronter à de nombreuses frustrations, à la culpabilité et aux regrets.

Votre humeur peut changer, ainsi que votre condition physique et votre fatigue…

Faire de son mieux est donc fonction des circonstances personnelles…

Mais si vous faites de votre mieux malgré tout, vous vous épargnerez le regret, la culpabilité de ne pas avoir bien fait.

Quelle leçon en tirer en tant qu’avocat ?

Nous qui avons souvent, le désir du contrôle, du résultat et de la maîtrise…

En 1751 apparaissait L’Encyclopédie ou le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Denis Diderot et, partiellement, de Jean Le Rond d’Alembert.

L’Encyclopédie est un ouvrage majeur du XVIIIe siècle, qui était la première encyclopédie française, synthétisant sur le papier, l’ensemble des connaissances de son temps.

Il serait actuellement inconcevable de rédiger une telle encyclopédie (au demeurant parfaitement inutile avec Internet).

Aucun être humain n’y parviendrait, tant les savoirs sont vastes et les connaissances illimitées.

Même la seule matière du droit ne pourrait pas faire l’objet d’une "Encyclopédie", écrite par un seul homme.

Le droit n’est pas maîtrisable, même en ne travaillant que sur un seul domaine.

On peut passer sa vie sur le droit commercial. On peut même passer sa vie sur un seul aspect de cette matière que sont les baux commerciaux par exemple.

Nous apprenons des choses quasiment tous les jours, dans notre métier, c’ est aussi un des aspects attractifs de celui-ci.

Statistiquement, un avocat voit sa responsabilité civile engagée deux fois dans sa carrière.

L’erreur est humaine, elle est inéluctable. L’erreur professionnelle l’est aussi, surtout dans notre domaine, qui n’est pas une science exacte.

Se sentir en défaut par rapport à ses erreurs et se culpabiliser est également quelque chose d’humain.

La culpabilité par elle-même n’est pas positive, sauf si elle sert de ressort pour se remettre en question et pour changer, pour s’améliorer...

On oublie de conclure ou d’assigner en temps utile ; de produire des pièces essentielles dans un dossier, de développer tel ou tel moyen juridique.

Nous devons faire notre possible, en acceptant que le résultat ne dépend pas de nous. A un moment donné, nous n’intervenons plus dans le processus judiciaire.

Le dossier finit dans les mains d’un magistrat, qui sanctionne ou non les erreurs commises, ou qui en commet lui-même.

Certains se sentent responsable du résultat qui interviendra, quand bien même auraient-ils fait le maximum.

L’avocat veut tel ou tel résultat, dans les intérêts de son client.

Or, notre rôle est de préparer le meilleur dossier possible avec les éléments qu’on a.

Suite à quoi il nous faut lâcher prise, nous ne pouvons rien faire de plus.

Or bien souvent, nombre de Confrères et Consœurs maintiennent une tension psychologique dans l’attente du résultat, alors que les dés sont jetés. Il maintiennent même cette tension une fois le résultat obtenu et même des mois durant, si il ne va pas dans le sens qu’ils souhaitent.

Or quoi qu’il advienne concernant le jugement lui-même, peu importe, l’essentiel est que nous ayons fait de notre mieux.

Faire de notre mieux n’est pas forcément faire un travail parfait, c’est faire ce que l’on a pu quand on l’a fait, et dans les conditions globales qui étaient les nôtres à ce moment-là…

Le reste ne nous appartient pas, inutile de s’en rendre malade…

Observez bien le terme : « inutile »…

Nous pensons souvent en termes de bien et de mal , connotant ainsi les événements et la réalité de dimensions moralisatrices qui nous « plombent »…

Or nous pouvons rester dans une certaine moralité, tout en appréhendant les choses en termes d’« utile » ou d’« inutile ». Nous nous soulagerons ainsi de lourds fardeaux intérieurs.

Daniel Massrouf, Avocat, Barreau de Lyon [->danielmassrouf@gmail.com]