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Utiles précisions sur l’interprétation de la directive « retards de paiement ».
Parution : lundi 19 décembre 2022
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Les retards de paiement nés de l’exécution d’un contrat conclu avant le 16 mars 2013 peuvent échapper à la directive, même s’ils surviennent après cette date et le créancier peut renoncer aux intérêts de retard contre le paiement immédiat de sa créance.

Cet article est issu de la documentation Recouvrement de créances et procédures d’exécution des Editions Législatives.

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Le 16 février 2011, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté la directive 2011/7/UE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (Dir. 2011/7/UE, 16 févr. 2011 : JOUE n° L 48, 23 févr.). Le texte, applicable à tous les paiements effectués dans le cadre de transactions commerciales entre opérateurs économiques ou entre opérateurs économiques et pouvoirs publics, entend lutter contre les délais de paiement, dont on sait les effets potentiellement délétères sur la bonne santé économique des entreprises. L’arrêt rapporté a le mérite de répondre à deux interrogations posées tant par le champ d’application de la directive que par sa portée.

Depuis avril 2009, une personne physique exerçant une activité de librairie (le libraire) achète à une autre personne physique des livres et des articles de librairie (le fournisseur) en passant des commandes individuelles. Celles-ci donnent lieu à facture séparée, sans contrat-cadre ou accord écrit entre les parties. Les modalités de règlement des factures et de versement des intérêts pour retard de paiement n’ont pas davantage été convenues séparément par écrit entre les parties.

En mai 2018, le fournisseur, faisant valoir le règlement tardif de 135 factures, agit contre le libraire devant la juridiction finlandaise compétente afin d’obtenir le paiement des intérêts de retard et des indemnités forfaitaires pour frais de recouvrement. Pour sa défense, le libraire admet que ces factures ont été payées avec deux jours à trois semaines de retard, mais souligne qu’elles ont été finalement réglées et se prévaut d’une longue relation commerciale et d’un accord tacite entre les parties.

Débouté en première instance, le fournisseur interjette appel, mais sans davantage de succès. Il forme un pourvoi devant la Cour suprême finlandaise.
Le litige conduit celle-ci à interroger la Cour de Justice de l’UE (CJUE), via deux questions préjudicielles, sur l’entrée en application de la directive et sur la renonciation aux indemnités pour retard de paiement.

Condition de l’exclusion du champ de la directive de retards de paiement survenus après le 16 mars 2013

L’article 12, § 4, de la directive 2011/7/UE doit-il être interprété en ce sens que les États membres peuvent exclure du champ d’application de cette directive une pratique contractuelle relative au versement d’intérêts pour retard de paiement et à l’indemnisation pour les frais de recouvrement, établie entre les parties avant le 16 mars 2013 à l’occasion de commandes individuelles, même si les commandes individuelles sur lesquelles ces pénalités de retard sont appliquées ont été passées après cette date ?

Pour rappel, l’article 12 de la directive 2011/7/UE, intitulé « Transposition », énonce que les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à ladite directive au plus tard le 16 mars 2013. Selon le § 4, lors de la transposition de la présente directive, les États membres décident s’ils veulent exclure les contrats conclus avant le 16 mars 2013.

La CJUE se fonde sur un arrêt de 2017 (CJUE, 1er juin 2017, aff. C‑330/16, Zarski) pour réitérer la solution alors affirmée, selon laquelle l’article 12, § 4, de la directive 2011/7/UE doit être interprété en ce sens que les États membres peuvent exclure du champ d’application de cette directive les retards de paiement dans l’exécution d’un contrat conclu avant le 16 mars 2013, même lorsque ces retards interviennent postérieurement à cette date. Il s’en infère, ajoute-t-elle, que l’élément déterminant pour dire si une pratique contractuelle peut échapper aux prescriptions de cette directive, réside dans la date de conclusion du contrat en vertu duquel les paiements doivent être honorés.
Remarque : en l’espèce, la réponse à cette question implique de déterminer si un nouveau contrat a été conclu à chaque fois qu’une commande individuelle de marchandises a été effectuée par le libraire auprès du fournisseur, ce que la juridiction de renvoi devra déterminer. Dans ce cas, les contrats conclus à compter du 16 mars 2013 ne peuvent pas échapper à la directive, en application de l’article 12, § 4, de celle-ci. En revanche, si la juridiction de renvoi constate que de telles commandes individuelles constituent, non pas des contrats autonomes, mais l’exécution d’un contrat conclu avant le 16 mars 2013, cet ensemble contractuel échappe au champ d’application la directive, la Finlande ayant fait usage de la faculté prévue par le § 4 de l’article 12.
Conditions de la renonciation du créancier aux intérêts et indemnités de retard
Comme le reformule la CJUE, dans l’hypothèse où la directive 2011/7/UE est applicable au litige, la seconde question préjudicielle revient, en substance, à l’interroger sur le point de savoir si l’article 7, § 2 et 3, s’oppose à une pratique en vertu de laquelle, pour des retards de paiement inférieurs à un mois, le créancier ne recouvre pas les intérêts pour retard de paiement ni l’indemnisation pour les frais de recouvrement, en contrepartie du paiement du montant principal des créances exigibles.

Et elle répond que l’article en cause ne s’oppose pas à une telle pratique, après en avoir, notamment rappelé la teneur.

Selon cette disposition, intitulée « Clauses contractuelles et pratiques abusives », les États membres prévoient qu’une clause contractuelle ou une pratique relative à la date ou au délai de paiement, au taux d’intérêt pour retard de paiement ou à l’indemnisation pour les frais de recouvrement, n’est pas applicable, ou donne lieu à une action en réparation du dommage lorsqu’elle constitue un abus manifeste à l’égard du créancier. Mais le § 2 ajoute que toute clause contractuelle ou pratique excluant le versement d’intérêts pour retard de paiement est considérée comme manifestement abusive, tandis que le § 3 précise qu’une clause contractuelle ou une pratique excluant l’indemnisation pour les frais de recouvrement est présumée être manifestement abusive.
S’appuyant ensuite sur sa jurisprudence (CJUE, 16 févr. 2017, aff. C‑555/14), elle rappelle que l’objectif de l’article 7, § 2 et 3 est d’éviter que la renonciation par un créancier aux intérêts pour retard de paiement ou à l’indemnisation pour les frais de recouvrement n’intervienne dès la conclusion du contrat, c’est-à-dire lorsque la liberté contractuelle du créancier est exercée et qu’il existe un risque d’abus de cette liberté par le débiteur au détriment du créancier. En revanche, lorsque les conditions prévues par la directive 2011/7/UE sont réunies et que les intérêts pour retard de paiement ainsi que l’indemnisation pour les frais de recouvrement sont exigibles, un créancier doit rester libre, compte tenu de sa liberté contractuelle, de renoncer au versement des sommes dues au titre de ces intérêts et de cette indemnisation, notamment en contrepartie du paiement immédiat du montant principal. Mais une telle renonciation est subordonnée à la condition qu’elle ait été consentie de manière effectivement libre, de telle sorte qu’elle ne doit pas constituer un abus de la liberté contractuelle du créancier qui serait imputable au débiteur.

Agnès Maffre Baugé, Maître de conférences HDR, Avignon Université

CJUE, 20 oct. 2022, aff. C-406/21

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