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La chambre des territoires de Corse : une application différenciée de la loi 3 D S à suivre ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : jeudi 29 décembre 2022
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Cet article aborde la création de la chambre des territoires de Corse qui résulte du dispositif de différenciation offert par la loi 3 D S et des applications qui peuvent être faites par d’autres collectivités.

Dans le droit de collectivités territoriales, il existe une instance dont la mission vise à favoriser la concertation dans l’exercice des compétentes des différentes collectivités locales intervenant sur le territoire à l’échelle d’une région. C’est la conférence territoriale de l’action publique.

L’article L1111-9-1 du code général des collectivités territoriales dispose à cet effet :

« I. – Dans chaque région, la conférence territoriale de l’action publique est chargée de favoriser un exercice concerté des compétences des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics.

La conférence territoriale de l’action publique peut débattre et rendre des avis sur tous les sujets relatifs à l’exercice de compétences et à la conduite de politiques publiques nécessitant une coordination ou une délégation de compétences entre les collectivités territoriales et leurs groupements.

Elle peut être saisie de la coordination des relations transfrontalières avec les collectivités territoriales étrangères situées dans le voisinage de la région.

II. - Sont membres de la conférence territoriale de l’action publique :

1° Le président du conseil régional ou de l’autorité exécutive de la collectivité territoriale régie par l’article 73 de la Constitution ;

2° Les présidents des conseils départementaux ou un représentant de l’autorité exécutive des collectivités territoriales exerçant les compétences des départements sur le territoire de la région ;

3° Les présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 30 000 habitants ayant leur siège sur le territoire de la région ;

3° bis Dans la région d’Ile-de-France, les présidents des établissements publics territoriaux mentionnés à l’article L5219-2 du présent code ;

4° Un représentant élu des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de moins de 30 000 habitants ayant leur siège sur le territoire de chaque département ;

5° Un représentant élu des communes de plus de 30 000 habitants de chaque département ;

6° Un représentant élu des communes comprenant entre 3 500 et 30 000 habitants de chaque département ;

7° Un représentant élu des communes de moins de 3 500 habitants de chaque département ;

8° Le cas échéant, un représentant des collectivités territoriales et groupements de collectivités des territoires de montagne, au sens de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne.

Pour la désignation dans chaque département des représentants des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre non membres de droit de la conférence territoriale de l’action publique et lorsqu’une seule liste complète de candidats réunissant les conditions requises a été adressée au représentant de l’Etat dans le département, il n’est pas procédé à une élection.

Un décret précise les modalités d’élection ou de désignation des membres de la conférence territoriale de l’action publique.

III. - La conférence territoriale de l’action publique est présidée par le président du conseil régional.

Elle organise librement ses travaux, au travers de commissions thématiques, et leur publicité dans le cadre de son règlement intérieur. Chaque conférence territoriale de l’action publique comprend au moins une commission thématique dédiée à la culture.

Elle est convoquée par son président, qui fixe l’ordre du jour de ses réunions. Au moins une fois par an, il inscrit à l’ordre du jour un débat sur la politique en faveur de la culture. Chaque membre peut proposer l’inscription à l’ordre du jour de questions complémentaires relevant des compétences exercées par la personne publique ou la catégorie de personnes publiques qu’il représente ou pour lesquelles cette personne publique est chargée d’organiser les modalités de l’action commune des collectivités territoriales.

Le représentant de l’Etat dans la région est informé des séances de la conférence territoriale de l’action publique. Il y participe lorsque la conférence donne son avis sur une demande d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre tendant à obtenir la délégation de l’exercice d’une compétence de l’Etat dans le cadre fixé à l’article L1111-8-1 ou lorsqu’elle intervient au titre du premier alinéa du II de l’article 26 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire. Il participe aux autres séances à sa demande.

La conférence territoriale de l’action publique peut associer à ses travaux tout élu ou organisme non représenté. Elle peut solliciter l’avis de toute personne ou de tout organisme.

IV. - La conférence territoriale de l’action publique débat des projets visant à coordonner les interventions des personnes publiques, qui lui sont présentés par les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dans le cadre des V à VII.

V. - Les conventions territoriales d’exercice concerté d’une compétence fixent les objectifs de rationalisation et les modalités de l’action commune pour chacune des compétences concernées, dans les conditions suivantes :

a) La région et le département élaborent un projet de convention pour chacun des domaines de compétence mentionnés aux II et III de l’article L1111-9 ;

b) Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale auxquels elles ont transféré leurs compétences peuvent élaborer un projet de convention pour chacun des domaines de compétence mentionnés au IV du même article L1111-9 ;

c) La collectivité territoriale ou le groupement de collectivités, chargé par la loi de l’élaboration d’un plan ou d’un schéma relatif à l’exercice d’une compétence des collectivités territoriales au niveau régional ou départemental, peut élaborer un projet de convention organisant les modalités de leur action commune pour cette compétence ;

d) La collectivité territoriale ou le groupement de collectivités, chargé par la loi d’élaborer un plan ou un schéma relevant d’une compétence pour laquelle l’article L1111-9 le charge de l’organisation des modalités de l’action commune, peut élaborer un projet de document unique tenant lieu de plan ou schéma et de convention territoriale d’exercice concerté de la compétence concernée, en respectant les prescriptions et procédures de consultation et d’approbation prévues pour chaque document. Le document unique comporte un volet regroupant les dispositions prévues en application des 1° à 5° du présent V applicables à ses seuls signataires. Un décret en Conseil d’Etat précise les modalités d’application du présent d.

Chaque projet de convention comprend notamment :

1° Les niveaux de collectivités territoriales concernés ou les collectivités compétentes définies par des critères objectifs sur l’ensemble du territoire de la région ;

2° Les délégations de compétences entre collectivités territoriales, ainsi que les délégations de la région ou du département à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, dans les conditions prévues à l’article L1111-8 ;

3° Les créations de services unifiés, en application de l’article L5111-1-1 ;

4° Les modalités de la coordination, de la simplification et de la clarification des interventions financières des collectivités territoriales pouvant déroger aux 2° et 3° du I de l’article L1111-9 ;

5° La durée de la convention, qui ne peut excéder six ans.

VI. - Le projet de convention territoriale d’exercice concerté de la compétence est examiné par la conférence territoriale de l’action publique, dans les conditions prévues par son règlement intérieur.

La collectivité territoriale ou l’établissement public auteur du projet de convention territoriale d’exercice concerté de la compétence peut prendre en compte les observations formulées lors des débats de la conférence territoriale de l’action publique pour modifier le projet présenté.

A l’issue de cet examen, le projet de convention est transmis au représentant de l’Etat dans la région, ainsi qu’aux collectivités territoriales et établissements publics appelés à prendre les mesures nécessaires à sa mise en œuvre.

Les organes délibérants des collectivités territoriales et des établissements publics concernés disposent d’un délai de trois mois pour approuver la convention, qui est signée par le maire ou par le président.

Les stipulations de la convention sont opposables aux seules collectivités territoriales et établissements publics qui l’ont signée.

Elles les engagent à prendre les mesures et à conclure les conventions nécessaires à sa mise en œuvre.

VII. - Lorsque l’exercice d’une compétence autre que celles mentionnées à l’article L1111-9 est partagé entre plusieurs catégories de collectivités territoriales, chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre attributaire de cette compétence peut formuler des propositions de rationalisation de son exercice. Ces propositions font l’objet d’un débat au sein de la conférence territoriale de l’action publique.

VIII. – Au moins une fois par an, la collectivité territoriale chargée d’organiser les modalités de l’action commune adresse à l’organe délibérant des collectivités territoriales et aux établissements publics concernés un rapport détaillant les actions menées dans le cadre de la convention territoriale d’exercice concerté de la compétence ou du plan d’actions, ainsi que les interventions financières intervenues.

Ce rapport fait l’objet d’un débat.

Dans les conditions prévues au présent article pour leur conclusion, les conventions territoriales d’exercice concerté de la compétence peuvent être révisées au terme d’une période de trois ans ou en cas de changement des conditions législatives, réglementaires ou financières au vu desquelles elles ont été adoptées ».

Par ailleurs, l’article L1111-9-1 du code général des collectivités territoriales précise :

« I. - Les compétences des collectivités territoriales dont le présent article prévoit que l’exercice nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales ou groupements de collectivités territoriales sont mises en œuvre dans le respect des règles suivantes :

1° Les délégations de compétence sont organisées dans le cadre de la convention territoriale d’exercice concerté prévue au V de l’article L1111-9-1 ;

2° La participation minimale du maître d’ouvrage, prévue au deuxième alinéa du III de l’article L1111-10, est fixée à 30% du montant total des financements apportés par des personnes publiques ;

3° A l’exception des opérations figurant dans le contrat de plan conclu entre l’Etat et la région et dans le contrat de convergence, les projets relevant de ces compétences peuvent bénéficier de subventions d’investissement et de fonctionnement soit de la région, soit d’un département.

II. - La région est chargée d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives :

1° A l’aménagement et au développement durable du territoire ;

2° A la protection de la biodiversité ;

3° Au climat, à la qualité de l’air et à l’énergie ;

4° A la politique de la jeunesse ;

5° (Abrogé)

6° (Abrogé)

7° A l’intermodalité et à la complémentarité entre les modes de transports, notamment à l’aménagement des gares ;

8° Au soutien à l’enseignement supérieur et à la recherche.

III. - Le département est chargé d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives à :

1° L’action sociale, le développement social et la contribution à la résorption de la précarité énergétique ;

2° L’autonomie des personnes ;

3° La solidarité des territoires.

Il est consulté par la région en préalable à l’élaboration du contrat de plan conclu entre l’Etat et la région en application de la loi n° 82-653 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification afin de tenir compte des spécificités de son territoire.

IV. - La commune ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel elle a transféré ses compétences est chargé d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives :

1° A la mobilité durable ;

2° A l’organisation des services publics de proximité ;

3° A l’aménagement de l’espace ;

4° Au développement local.

V. - Les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs groupements pour l’exercice des compétences mentionnées aux II à IV sont débattues par la conférence territoriale de l’action publique prévue à l’article L1111-9-1 ».

L’article 9 de cette loi 3 DS a modifié l’article L4421-3 du code général des collectivités territoriales en l’adaptant à la situation de la Corse dans les termes suivants :

« Une chambre des territoires est créée en Corse. Elle est implantée à Bastia et y tient ses séances.

Elle est composée :

1° Du président du conseil exécutif de Corse, qui la préside ;

2° Du président de l’Assemblée de Corse ;

3° D’un représentant du comité de massif de Corse ;

4° D’un représentant du comité de bassin de Corse ;

5° De deux représentants élus par communauté de communes ;

6° De trois représentants élus, dont au moins deux maires, par communauté d’agglomération.

Un décret précise les modalités d’élection ou de désignation des membres de cette chambre des territoires .

Des personnes qualifiées peuvent y être entendues.

Elle se réunit sur un ordre du jour déterminé par le président du conseil exécutif de Corse pour échanger des informations, débattre de questions d’intérêt commun, coordonner l’exercice des compétences des collectivités territoriales, notamment en matière d’investissement, et promouvoir la prise en compte de la diversité des territoires dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques.

Elle se substitue à la conférence prévue à l’article L1111-9-1 du présent code. Ce même article L1111-9-1 lui reste applicable, à l’exception du II ».

Ce texte s’inscrit très clairement dans l’application du principe de différenciation posé par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale dite loi 3 D S.

La publication du décret n° 2022-1663 du 26 décembre 2022 relatif aux modalités de désignation des membres de la chambre des territoires de Corse publié au Journal Officiel du mercredi 28 décembre 2022 vient préciser cette disposition législative différenciée pour la Corse.

Il précise donc les modalités de désignation des membres de la chambre des territoires de Corse.

Les dispositions de ce décret s’appliqueront à compter du jeudi 29 décembre 2022.

La loi 3 D S peut être sur ce point une invitation à faire de la différenciation pour les autres collectivités territoriales.

Nous pensons notamment à toutes les collectivités d’outre-mer appliquant l’identité législative en application du premier alinéa de l’article 73 de la Constitution (l’essentiel des lois et des règlements est par principe et systématiquement applicable et appliqué dans ces cinq territoires ultramarins) : les collectivités à statut particulier que sont la Guyane et la Martinique, les régions mono départementales que sont La Réunion et la Martinique et le département mono régional qu’est devenu Mayotte.

Nous savons que ces collectivités sont toutes confrontées frontalement à l’application de la norme de nature législative et règlementaire sur leur territoire, laquelle a le plus grand mal à répondre aux réalités sociétales d’un bassin de vie contextuellement et radicalement différent de celui de l’hexagone et de l’Europe.

Le droit différencié, terme que nous préférons pour notre part au terme différenciation lorsqu’il s’agit de l’outre-mer, exige avant tout de faire preuve d’audace et de proactivité normative pour tenter d’apporter de répondre aux réalités citoyennes immédiates, dans l’attente de réformes systémiques souhaitées et attendues par certaines collectivités ultramarines.

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre du réseau interprofessionnel Eurojuris Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com