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Régularisation du permis de construire, règles d’urbanisme applicables et sursis à statuer. Par Emmanuel Lavaud, Avocat.
Parution : vendredi 30 décembre 2022
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A la suite de l’annulation d’un refus de délivrer un permis de construire, la confirmation de sa demande initiale par le pétitionnaire ne peut être considérée comme une confirmation de sa demande d’autorisation initiale au sens et pour l’application des dispositions de l’article L600-2 du Code de l’urbanisme dès lors qu’elle implique une modification du projet dépassant de simples ajustements ponctuels.

Il s’agit par conséquent d’un nouveau projet qui doit être apprécié non au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire, mais au regard des règles du plan local d’urbanisme adopté en 2017, applicables à la date de cette nouvelle demande

1) Les faits ayant conduit à l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 décembre 2022 (n°448013) sont singuliers.

Un porteur de projet, la société Eolarmor a déposé une demande de permis de construire auprès du maire de Trébeudon (Côte d’Armor), dans le courant de l’année 2014.

Le maire de la commune a rejeté cette demande par un arrêté du 6 juin 2014.

La société Eolarmor a engagé une requête en excès de pouvoir à l’encontre de cette décision de rejet, et par un jugement du 17 mars 2017 le Tribunal administratif de Rennes a prononcé l’annulation de la décision du 6 juin 2014, et enjoint au maire de le Trébeudon de délivrer le permis de construire objet du litige.

La commune a fait appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Nantes.

Parallèlement, la société Eaolarmor a déposé une nouvelle demande de permis de construire, que l’on suppose identique à la première demande, et sollicité l’exécution du jugement du 17 mars 2017.

Le maire persiste toutefois à refuser cette autorisation d’urbanisme, suivant un arrêté du 9 mai 2017.

Néanmoins, à force de discussions, le maire de la commune et le pétitionnaire sont parvenu à trouver un accord, et le maire de la commune s’est désisté de son appel.

Nous devinons que le protocole d’accord prévoyait une modification du projet afin de satisfaire le maire de la commune.

La Cour administrative d’appel de Nantes a pris acte de ce désistement par un arrêt du 16 mars 2018. Le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 17 mars 2017, annulant le refus de permis de construire et enjoignant à la commune de délivrer ce dernier, est quant à lui devenu définitif.

En 2018, le pétitionnaire a donc de nouveau sollicité une autorisation d’urbanisme, qui devait, ou aurait dû être, une simple confirmation de sa demande initiale de 2014.

Le permis de construire a été délivré par le maire le 20 avril 2018.

Après 4 ans de discussions et de bataille devant les juridictions administratives, le désormais bénéficiaire du permis de construire pensait sans doute avoir fait le plus dur pour la mise en œuvre de son projet.

Il n’en a rien été.

Les associations Avenir du littoral et Trébeurden Patrimoine et Environnement ont saisi le Tribunal administratif de Rennes d’un recours tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ce permis.

Le moyen principal soulevé par les associations est en substance que le permis de construire obtenu par le pétitionnaire en 2018 porte sur un projet radicalement différent de celui obtenu en juin 2014.

Or, pour ces associations, le nouveau projet contrevient aux dispositions d’urbanisme en vigueur à la date de cette demande de 2018.

Par un jugement du 7 octobre 2019, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. Les associations ont alors fait appel de ce jugement, et la Cour administrative d’appel de Nantes a fait droit à leur argumentation en annulant le jugement et le permis de construire par un arrêt du 20 octobre 2020.

La société Eolarmor a formé un pourvoi en décembre 2020 devant le Conseil d’Etat, et ce dernier a confirmé l’annulation du permis de construire par un arrêt du 14 décembre 2022.

2) Ce qui nous intéresse dans cette décision du Conseil d’Etat n’est pas tant l’appréciation portée par le juge administratif sur la différence entre les deux autorisations d’urbanisme.

Ce qui nous intéresse est tout d’abord le point particulier de déterminer quelles sont les règles d’urbanisme applicables à la demande de permis de construire sollicitée en exécution d’une décision de justice annulant un refus de permis de construire.

S’agit-il des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la demande initiale ayant fait l’objet d’un refus.

Ou s’agit-t-il des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la nouvelle demande d’autorisation d’urbanisme, déposée en vue de l’exécution de la décision de justice annulant le refus du maire.

La réponse, à priori claire, se trouve à l’article L600-2 du Code de l’urbanisme :

« Lorsqu’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol ou l’opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle, la demande d’autorisation ou la déclaration confirmée par l’intéressé ne peut faire l’objet d’un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire ».

Ce sont donc, très logiquement, les règles d’urbanisme en vigueur à la date de la demande initiale qui sont applicables.

Deux conditions encadrent ce principe. La confirmation de la demande par le pétitionnaire doit intervenir dans les six mois de la notification de l’annulation, et cette annulation doit être devenue définitive.

Ajoutons ici que le Conseil d’Etat avait rendu un avis aux termes duquel « Lorsqu’une juridiction, à la suite de l’annulation d’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol, fait droit à des conclusions aux fins d’injonction sur le fondement de l’article L911-1 du Code de justice administrative, ces conclusions du requérant doivent être regardées comme confirmant sa demande initiale » [1].

Néanmoins, le juge administratif précise que ces dispositions sont d’interprétation stricte, et apporte donc une limite importante à cette règle. Il avait ainsi jugé que la confirmation de sa demande par le pétitionnaire ne doit pas porter sur un nouveau projet [2].

Dans son arrêt du 14 décembre 2022, le Conseil d’Etat précise encore que la demande doit exclusivement porter sur le même projet, avec éventuellement de simples ajustements ponctuels :

« qu’en jugeant que la demande présentée par la société Eolarmor ne pouvait être considérée comme une confirmation de sa demande d’autorisation initiale au sens et pour l’application des dispositions de l’article L600-2 du Code de l’urbanisme dès lors qu’elle impliquait une modification du projet dépassant de simples ajustements ponctuels, qu’il s’agissait par suite d’une demande portant sur un nouveau projet et qu’elle devait, dans ces conditions, être appréciée non au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire, mais au regard des règles du plan local d’urbanisme adopté en 2017, applicables à la date de cette nouvelle demande, la Cour administrative d’appel de Nantes, qui a porté sur les pièces du dossier une appréciation dénuée de dénaturation, n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ».

Si la demande d’autorisation d’urbanisme déposée en conséquence de l’annulation de la décision de refus de sa demande initiale porte sur un projet qui s’éloigne trop du projet initial, alors ce sont bien les règles d’urbanisme en vigueur à la date de cette nouvelle demande qui doivent trouver à s’appliquer.

En d’autres termes, si la nouvelle demande, dite demande de régularisation, va au-delà des simples ajustements ponctuels, alors ce n’est plus une demande de régularisation, c’est purement et simplement une nouvelle demande d’autorisation d’urbanisme. En conséquence, il y a lieu d’appliquer les règles d’urbanisme en vigueur à la date de cette demande.

3) Ensuite, le Conseil d’Etat apporte une autre précision, relative à la question du sursis à statuer permettant au pétitionnaire de solliciter une régularisation de son autorisation d’urbanisme jugée illégale.

Cette possibilité est prévue à l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme :

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux.

Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».

Comme le rappelle le Conseil d’Etat, il résulte de ces dispositions que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation.

Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme.

Suivant une jurisprudence du 2 octobre 2020 (438318), « Un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».

Pour annuler le permis litigieux, la Cour administrative d’appel de Nantes a retenu les moyens tirés de ce que plusieurs balcons excédaient la largeur maximale fixée par l’article UC 1 du plan local d’urbanisme, que l’emprise de la construction méconnaissait la règle d’implantation par rapport aux voies publiques prévue par l’article UC 5, que la construction ne respectait pas les règles de prospect prévues par l’article UC 6, que l’emprise au sol était deux fois supérieure au coefficient maximal d’emprise au sol de 40 % fixé par l’article UC 8, que la hauteur était supérieure à la hauteur maximale prévue par l’article UC 9, que le projet ne comportait pas de local ou abri extérieur réservé au stationnement des cycles non motorisés, contrairement à ce que prévoit l’article UC 11, et comportait un nombre insuffisant de places de stationnement eu égard au nombre de logements et à la surface de plancher globale, et enfin que par sa situation, ses dimensions et son volume, le projet était de nature à porter significativement atteinte au caractère et à l’intérêt du site classé des Roches Blanches en méconnaissance des articles UC 2 et UC 10 du plan local d’urbanisme.

C’est alors que le Conseil d’Etat conclut qu’

« En statuant ainsi sans faire usage de l’obligation qui pèse sur elle de surseoir à statuer lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, la cour a implicitement mais nécessairement estimé que l’un au moins des vices affectant la légalité du permis de construire était insusceptible d’être régularisé. La cour, qui n’était pas tenue de motiver son refus dès lors qu’elle n’était pas saisie d’une demande de régularisation, a ce faisant porté sur les pièces du dossier une appréciation dénuée de dénaturation et n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ».

Ce considérant du Conseil d’Etat nous semble surprenant.

D’abord parce que l’absence d’obligation de motiver un refus ne peut pas être assimilé au fait de ne pas même se prononcer sur le refus. Exciper du silence de la cour administrative d’appel pour en déduire qu’elle a « implicitement mais nécessairement » estimé que le vice ne pouvait pas être régularisé nous parait audacieux.

Peut être aussi qu’elle a implicitement mais nécessairement oublié de prononcer le sursis à statuer.

De plus, cette forme de laxisme du Conseil d’Etat quant aux critères du sursis à statuer permettant au pétitionnaire de régulariser le vice affectant son autorisation d’urbanisme, rompt avec la rigueur retenue dans l’arrêt précité du 2 octobre 2020. Si un projet peut être régularisé, alors même que la régularisation implique de revoir l’économie générale du projet, il est étonnant que le juge administratif puisse simplement considérer, sans motivation, que le projet est insusceptible d’être régularisé.

Si un pétitionnaire a la liberté de revoir l’économie générale du projet pour le régulariser, il est surprenant que le juge puisse simplement estimer sans motivation que cette régularisation serait impossible.

Dit d’encore d’une autre manière, nous avions cru pouvoir comprendre de l’arrêt du 2 octobre 2020 (n°438318) que le sursis à statuer pour pouvoir régulariser était quasi-automatique. Nous apprenons par cet arrêt du 14 décembre 2022 que cette obligation de sursis à statuer prévu à l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme est en réalité à la discrétion du juge qui peut exclure ce sursis à statuer implicitement mais nécessairement.

Emmanuel Lavaud, Avocat au barreau de Bordeaux http://www.laudet-lavaud-avocats.fr

[1CE, avis, 25 mai 2018, n° 417350.

[2CE 23 févr. 2017, n° 395274.