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RGPD et concurrence déloyale. Par Debora Cohen, Avocat.
Parution : vendredi 30 décembre 2022
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Dans une décision du 15 avril 2022 rendue par le Tribunal judiciaire de Paris, les juges retiennent le raisonnement selon lequel, un manquement aux exigences imposées par le Règlement général sur la protection des données (ci-après « RGPD) constitue un acte de concurrence déloyale.

Le litige au cœur de cette décision opposait deux sociétés spécialistes dans la fabrication et la vente de matériaux agricoles.

La société demanderesse, détentrice de deux brevets sur des machines agricoles, reprochait à la société mise en cause, de commercialiser, en France, via son site internet, des pièces de rechange de sa marque et reproduisait, selon elle, les caractéristiques des revendications de ses deux brevets.

Elle décide d’assigner devant le Tribunal judiciaire de Paris la société défenderesse en contrefaçon des revendications de ses brevets et de marque, ainsi qu’en concurrence déloyale.

Dans ses moyens, la société demanderesse reproche, notamment, à la société mise en cause, la violation de plusieurs dispositions législatives.

Le non-respect de plusieurs dispositions législatives.

La société demanderesse estime que l’absence de mentions légales sur le site internet [1] de la société mise en cause [2], violerait certains points prévus par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

La société mise en cause aurait de plus violé certaines dispositions du Code de la consommation, du Règlement (UE) N°524/2013 du Parlement européen et du conseil du 21 mai 2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation, des exigences du RGPD, et de la loi informatique et libertés, en ne mentionnant pas certaines informations importantes sur son site internet, telles que les coordonnées du médiateur à la consommation (article L616-1 du Code de la consommation) et un lien électronique vers la plateforme de règlement des litiges en ligne (articles L616-2 du Code de la consommation et 14.1 Règlement (UE) N°524/2013 du parlement européen et du conseil du 21 mai 2013).

La société aurait également violé les dispositions du Code civil (article 1240) et du Code de la propriété intellectuelle (article L613-3 a) et L615-1) en reproduisant les caractéristiques des brevets déposés par la société demanderesse.

Les juges valident les moyens présentés par la société demanderesse et décident de condamner la société mise en cause au paiement de dommages et intérêts, pour s’être rendue coupable d’acte de concurrence déloyale à l’égard de la société demanderesse.

Pour motiver sa décision, le tribunal judiciaire rappelle, qu’au regard du principe général de la responsabilité de l’article 1240 du Code civil, « tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur et constitue alors un acte de concurrence déloyale » (Cass. Com., 17 mars 2021, n°01-10.414).

Le tribunal relève également qu’

« une situation de concurrence directe ou effective n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale, qui exige seulement l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice ».

L’absence de politique de confidentialité.

Concernant le règlement européen, les juges indiquent que la société mise en cause procédait à :

« la collecte de données à caractère personnel portant notamment sur le nom, l’email et le numéro de téléphone des personnes concernées sans fournir aucune information sur les conditions de ce ou ces traitements et en se limitant en réalité à un paragraphe d’information dans l’onglet "mentions légales" ».

Le tribunal relève l’absence d’une politique de confidentialité des données personnelles sur le site internet de la société mise en cause, mais seulement la présence « d’un lien renvoyant à une page d’erreur », manquant alors à ses obligations d’informations, conformément aux articles 12, 13 et 14 du RGPD.

Le Tribunal judiciaire de Paris [3] conclue qu’

« au regard de l’ensemble de ces éléments et dans la mesure où tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur, il convient de juger que la société mise en cause s’est rendue coupable d’acte de concurrence déloyale au préjudice de la demanderesse ».

En appliquant la solution rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. Com., 17 mars 2021, n°01-10.414) à un manquement au RGPD, les juges semblent rappeler l’importance pour les entreprises de se mettre en conformité avec le règlement européen.

Cette décision tendrait alors vers une possible articulation entre la protection des données personnelles et le droit de la concurrence, comme on peut déjà le voir à travers l’intervention de Madame la présidente de la Cnil, Marie-Laure Denis, devant le collège de l’Autorité de la concurrence sur ce sujet, le 23 novembre 2022 [4].

Debora Cohen, avocat au barreau de Paris, en protection des données personnelles et DPO externalisé Mail : [->debora.cohen@dcavocat.com] Site : https://www.dcavocat.com/