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Conseil lecture : « Mesrine, l’instant de mort » de Georges Moréas.
Parution : samedi 17 décembre 2022
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« Mesrine, l’instant de mort » de Georges Moréas. Editions du signe. Pas d’adulation ou d’idolâtrie pour le braqueur et criminel. Georges Moréas est aussi libre que Mesrine. Il plonge le lecteur dans une traque sans pitié et dans une grande réflexion. Flics, pas toujours grands, magistrats, journalistes, femmes aimées, victimes, avocats, complices, matons. Des protagonistes dont carrière et vie vont être bouleversées. 284 pages. Fulgurantes. Un roman, annonce l’ex commissaire de police et avocat. On fera mine de le croire.

Il a plusieurs vies. Venant de rien, il le dit à la fin du livre. C’est là qu’on comprend le mot destin. Pas besoin d’exégèse. Ex commissaire principal de police, DST, PJ, antigang, Georges Moréas a payé cher les guerres des polices et a dû rebondir. Il est devenu avocat pénaliste, et pas le moins bon en procédure pénale, après avoir écrit romans et scénarios, notamment pour la série des Commissaire Moulin. Il anime aussi l’excellent blog Police et cetera sur l’actualité policière et judiciaire, dans le journal Le Monde. Georges Moréas ne courait peut-être pas assez de dangers en tant que chroniqueur. Alors il s’est décidé à risquer sa peau en se mettant dans celle de Mesrine, le plus célèbre des truands. Il faut être bien solide pour ne pas sortir maboule d’une telle entreprise. Moréas et Mesrine ne se sont jamais croisés. C’est peut-être pour cela que l’imagination permet de combler les trous dans l’histoire du brigand, insaisissable et pas seulement par les flics.

C’était un vendredi, il était 15h15. Porte de Clignancourt. A défaut de le capturer, il fallait le neutraliser. Le terme est maintenant rentré dans les mœurs. La mort allait avoir la couleur du bleu, celle du camion qui a bloqué la BMW.

Georges Moréas aurait pu imaginer un Mesrine, échappant une fois de plus à ses poursuivants. Blessé ou indemne après la fusillade. Un Mesrine preneur d’otages, en pleine cavale. Une autre vie en Amérique du sud. Mais non. Le destin de Mesrine était scellé en France. La tragédie devait être française. Et puis, qui dit Mesrine en France, dit tous ces flics, toutes ces femmes, tous ces journalistes, tous ces magistrats, tous ces avocats, tous ces hommes politiques, dans une France qui chérit d’angoisse les ennemis numéro 1. C’est tout un monde interconnecté et interdépendant dans un pays où la justice consanguine décapite encore. Mesrine a un compte bien crédité au Venezuela sous le nom de Bruno Dansereau. Au Venezuela, tout s’achète. C’est la facilité. il serait peut-être parti avec Sylvia Jeanjacquot au bord d’une piscine mais on est quasi sûr qu’il serait vite revenu monter au braquo, enlever, régler ses comptes. Parce que les blessures narcissiques sont béantes. Parce que aussi, la facilité, c’est une certaine mort. Migrer, c’est renoncer. Et puis s’évader, ce n’est pas fuir.

Le livre n’est pas policièrement correct. Mesrine a fait du mal. Emblème. Légende. Héro. Pas de consensus. Celui qu’on redoute. Imprévisible. Impulsif. Pas d’attache avec le milieu qui n’est qu’extrême. Pas de deal avec la mafia. Pas de clan. Pas de dette d’honneur. Pas de parrain. A son compte. Tout le temps. Les femmes. Pas la drogue. Pas l’alcool. Le matériau n’est pas facile à travailler.

Ce qui s’est passé au bois de Fausses-Reposes est un film d’horreur. Mesrine capture, juge, torture, exécute un proxo violent. C’est normal, il répare pour les autres. Pour lui, c’est justice. Le tout est de ne pas attendre.

Les acolytes vont changer en fonction des situations. Michel Ardouin le géant. Alias Michel le belge. Alias Porte-Avions. Il va faire bien des choses avec lui ! 90 hold-up ensemble, dixit Ardouin. François Besse. Charles Willoquet. Et d’autres.

Ses droits d’auteur saisis, parce qu’il écrit et qu’il est édité, il va les chercher directement à la Société Générale en enlevant son directeur. Il braque aussi des casinos. Il ne peut refréner l’envie d’aller braquer Charles Petit, le président de la Cour d’assises, qui l’a maltraité. La maltraitance. Le mépris. Tiens. Trois étages au-dessus de l’appartement du magistrat, habite Roger Borniche. Là, Besse se retire du jeu. Braquer Petit, non, pas pour Besse. Michel Shayewski se pointe.

Pour réparer le rapt avorté de Georges Deslauriers en 1969 au Canada, Mesrine enlève Henri Lelièvre, à Beaumont sur Sarthe. Attention, si c’est le commissaire Ottavioli dit monsieur Antirapt. On ne paie pas avec lui. Lelièvre s’est fait tout seul dans l’immobilier. Alors Mesrine, portant le masque de Georges Marchais, lui parle de l’Algérie. Toujours l’Algérie tapie dans le coin de vie, celui où on se cache. Le versant sombre. Qui expliquerait bien des choses. Mesrine n’est pas comme Alain Caillol, le ravisseur du baron Edouard-Jean Empain en 1978. Il ne coupe pas une phalange à son otage. Caillol fait un doctorat sur la correspondance de Georges Sand pendant que Mesrine écrit des livres que les éditeurs s’arrachent. Un Baron Empain qui ne retrouve à sa libération que l’amour de sa Labrador du nom de Love. L’argent ne fait pas le bonheur.

Page 227 du livre, tout est dit. Mesrine déclare que dans une autre vie, je crois que je serai flic. Il ne supporte pas les journalistes qui parlent de lui en mal. Il cible Philippe Bouvard à bord de sa 604 conduite par un chauffeur garde du corps. Envisage d’attraper Jacques Derogy. Mais il se ravise. Tillier, en revanche, de Minute, il le choppe, le tabasse, le laisse dans un état pitoyable, dans une grotte proche de l’enfer. Bauer le cogne aussi, ce journaliste, aux accointances avec Lucien Aimé-Blanc, celui-ci, décrit comme un aventurier de l’esprit, un intrigant de haut vol, capable de se mettre dans la poche aussi bien les voyous du milieu que les gens du beau monde. Tiens, pour ce tu as fait à Pierre Goldman, dit Bauer à Tillier. Pierre Goldman, le demi frère de Jean-Jacques. Demi frère qui sera descendu dix jours plus tard.

L’évasion est un droit, mettez-vous bien cela dans la tête. Les quartiers de haute sécurité, les quartiers de sécurité renforcée, sont la hantise de Mesrine. Avec vos QHS, vous êtes en train de créer une nouvelle race de truands, celle des vengeurs, dit-il. Mende était plus dur que l’unité spéciale de correction de Saint-Vincent-de-Paul au Québec. Mende qu’il voulait attaquer pour libérer les prisonniers. Informer le public des mauvais traitements en prison. En prison, le pire, ce n’est pas l’enfermement mais la liberté des autres, les bruits.

D’ailleurs, la chronique du 4 décembre sur le blog Police et cetera sur Serge Livrozet, intitulée « le libertaire s’est tu » démontre aussi l’intérêt de l’auteur pour la question. Ce sont les apolitiques qui sont les plus politiques. On imagine aussi Mitterrand, en avocat défroqué, pour autant qu’il ait réellement exercé, en député visitant les prisons.

Puis cette incroyable photo de Mesrine pendant sa promenade, prise par Tony Comiti, planqué sur un toit, en face de la prison. Fils de Paul Comiti, dirigeant du SAC et chef de service de sécurité du général de Gaulle et de Georges Pompidou. Devenu producteur de plein d’émissions, la meilleure de toutes étant les Routes de l’impossible, les autres étant stéréotypées. Quand je vous dis que tout est interconnecté, sans qu’on sache à quel moment.

Avec les femmes, c’est à la fois simple et compliqué. Les descriptions des violences infligées à Maria de la Soledad, mère de la petite Sabrina, qui donnera à Mesrine, le courage de tenir en prison, sont insupportables. C’est le seul moment où on a envie de nettoyer la planète et d’abattre Mesrine, à bout portant, tellement on le sent injuste, impulsif et irrécupérable.

Il y a un moment où il faut payer. Le dispositif policier est en place après le repérage. Sur les ondes, Mesrine devient Zizi, Broussard devient Saint-Louis, Charlie Bauer, Lulu. Maurice Bouvier est directeur de la police judiciaire. Christian Le Gunehec, procureur de Paris, met aux goûts du jour, le concept de légitime défense permanente. Sa créativité ne le dessert pas, puisqu’il préside en 1988 la chambre criminelle de la Cour de cassation et qu’il est élu en 1999 par ses pairs, président de la Cour de justice de la république.

Quand il est cerné et ses chances nulles, Mesrine se rend. Dans ces cas-là, c’est juste une partie perdue, surtout pas la guerre. Arkansas. Percé. Boulogne-Billancourt, c’est ce qui s’est passé.

Le camion bleu ne stationne jamais sur le parking du Quai des Orfèvres. Peu de flics le connaissent.

A son bord, plusieurs policiers dont certains armés du fusil d’assaut Ruger 5,56 mm et d’Uzi 9 mm Parabellum. Pour répondre à Mesrine, au volant de sa BMW, armé d’un Browning GP 35 à 13 coups et de deux grenades quadrillées. Le chauffeur du camion, Christian Lambert, deviendra ensuite patron du raid et préfet de Seine-Saint-Denis. Personne ne pouvait prévoir qu’il bloquerait la BMW, porte de Clignancourt. L’assaut ? une opportunité, dit-on. Le champagne avec Broussard, lors de la première arrestation, c’est fini.

Qu’est-ce qu’un avocat pénaliste ? Vous avez trois heures pour traiter le sujet.

Les avocats ne sont pas bons en maths, mais ils calculent bien leur orbite. Défendre Mesrine et consorts, c’est la célébrité parce que la télé est partout. Il y a les gros calibres de la profession, Pelletier, Badinter, mais aussi Giletti, Smadja-Epstein, Aïche. Attention aux armes dissimulées dans les faux plafond du parloir de la prison. Mesrine les récupère sous le nez de l’avocate, hurlant son innocence mais en vain, sa carrière est torpillée.

Ce n’est pas tout. Le hors norme, c’est l’avocat québécois et diabétique Raymond Daoust (1923-1983). Amputé d’un pied puis d’une jambe à la suite d’une fracture tournant en gangrène, puis victime d’un accident cardiaque en 1983. Il a obtenu l’acquittement en janvier 1971 de Mesrine et de Jeanne Schneider pour le meurtre de Evelyne Lebouthillier en 1969.

C’est Daoust qui se charge de la publication du second livre de Mesrine, « Coupable d’être innocent ». Il a créé en 1968 son propre journal d’affaires judiciaires, Photo Police. Il aime l’édition. Août 1972, Mesrine et Mercier s évadent du pénitencier Saint-Vincent-de-Paul. Un mois plus tard, ils tuent deux gardes-chasse à Saint-Louis-de-Blandford. C’est Daoust qu’ils vont voir à sa résidence de l’île Bizare, près de Montréal. Puis ce sera le Venezuela. 1973, Daoust défend Mercier. Daoust, le sulfureux à souhait, aux relations mafieuses, tels Frank Cotroni et Claude Faber. On évoque même son nom lors de la mort de JFK. Toujours l’interconnexion improbable.

Certains robes noires se demandent comment elles auraient défendu Mesrine. Quelle stratégie adopter ?

Il n’y avait pas de sommations lors des tirs du camion, répète Sylvia Jeanjacquot qui n’exprime ni remords, ni regrets, ni repentir.

La mort à l’américaine, c’est une affaire de mains. Ou vous les brandissez en l’air, les doigts bien écartés, ou vous vous faites liquider illico. Rien n’est jamais garanti de toute façon. Ce que Mesrine redoute, c’est le sniper. Il n’imagine pas le peloton d’exécution.

En revanche, il est sommé de lire ce livre. L’étiquette roman ne correspond pas tout à fait au produit, c’est certain. On ne peut pas le reprocher.

Et puis on a compris que chacun a un Guado, une sorte d’ange gardien. Cela aurait été un bon titre. Trop de choses à dire. On s’arrête là. Déjà l’envie de le relire.

Vincent Ricouleau Professeur de droit (Vietnam / Laos) CAPA Legal Counsel