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La protection intellectuelle des recettes de cuisine. Par Anna Spasojevic, Elève-avocate.
Parution : mercredi 4 janvier 2023
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La protection des recettes gastronomiques n’est pas une idée nouvelle. En effet, l’on rapporte que dans l’antique cité grecque de Sybaris, connue pour le raffinement de ses mets, le cuisinier auteur d’une nouvelle recette obtenait un monopole d’exploitation de celle-ci pendant un an afin notamment, de susciter de la créativité dans l’art culinaire.
Pourtant, près de trois millénaires plus tard, la gastronomie française est absente des textes législatifs.

L’œuvre gastronomique dans son ensemble (comprenant les éléments suivants : plat, recette écrite, aspect esthétique, saveur) ne bénéficie pas d’une protection intellectuelle malgré un projet de loi de 2019 allant en ce sens.

Plusieurs aspects de cette œuvre peuvent néanmoins bénéficier d’une protection :
- L’aspect esthétique de l’œuvre peut bénéficier d’une protection des Dessins et Modèles ;
- L’écrit de la recette peut bénéficier de la protection du Droit d’auteur ;
- La recette en tant que méthode apportant une solution technique peut bénéficier d’une protection grâce au dépôt d’un Brevet ;
- Le nom de l’« œuvre gastronomique » peut être protégé par le Droit des marques.

Au contraire, la saveur ne s’est pas vu octroyer par la jurisprudence une protection intellectuelle.

Mais alors qu’est-ce que crée un chef : un plat ? un goût ? une mise en place ? une recette ? La notion est difficilement définissable.
En effet, l’expression « recette de cuisine » elle-même a deux acceptions : d’une part une « formule », un « guide », « l’énoncé de la marche à suivre », d’autre part le « résultat final », un « plat terminé », une « composition gustative ».
La réponse se trouve sans doute dans la croisée de ces notions, rassemblée en une : celle de l’ « œuvre gastronomique ».

C’est certainement la complexité de la définition des caractéristiques des œuvres gastronomiques qui conduit la loi, et la jurisprudence à rejeter leur protection ou tout du moins, à l’ignorer.

C’est ainsi que l’on va considérer que la propriété intellectuelle peut être efficacement utilisée pour assurer cette protection, non pas sur l’ensemble d’une création, mais sur certaines caractéristiques de ces créations, telles que la recette écrite, la solution technique, le nom de la « création » et l’aspect esthétique de l’œuvre.

Nous détaillerons successivement plusieurs points, dans un premier temps, la jurisprudence rejette une protection intellectuelle pour l’œuvre gastronomique dans son ensemble (I). Elle conserve la même position pour ce qui est de la saveur (II).
Toutefois, une protection est admise pour ce qui touche à la représentation esthétique de l’œuvre gastronomique (III), à la recette en tant qu’écrit et solution technique (IV) ainsi qu’au nom de l’œuvre gastronomique (V).
Nous clôturerons notre propos en listant les astuces (autres que la protection intellectuelle) qui permettraient de protéger l’œuvre gastronomique dans son entier (VI).

I. Absence de protection pour l’œuvre gastronomique dans son ensemble.

Jusqu’à présent, les juridictions françaises ont refusé la protection par le droit d’auteur à des « recettes » entendues comme des écrits méthodologiques décrivant le processus à mettre en œuvre pour aboutir à la réalisation d’un plat (A).

En effet, nous constatons une absence de notion qui permettrait de protéger véritablement le plat en lui-même, « l’œuvre gastronomique » crée par le chef, originale, nouvelle et reflétant sa personnalité.
Pourtant, cette volonté de protéger l’œuvre gastronomique s’est matérialisée par une proposition de loi en 2019 (B).

Cette proposition n’a pas abouti, toutefois, certains auteurs soutiennent que la protection de l’« œuvre gastronomique » dans son ensemble reste possible en l’état du droit actuel (C).

A) Refus d’octroi d’une protection par la jurisprudence.

Les tribunaux français considèrent que les œuvres gastronomiques ne sont pas protégeables par le droit de la propriété intellectuelle, car ces dernières ne constitueraient pas une « œuvre de l’esprit ».
De cette manière, un arrêt de principe rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 30 septembre 1997 [1] affirme que même :

« si les recettes de cuisine peuvent être protégées dans leur expression littéraire, elles ne constituent pas en elles-mêmes une œuvre de l’esprit, qu’elles s’analysent en effet en une succession d’instructions, une méthode ; il s’agit d’un savoir-faire, lequel n’est pas protégeable  ».

Dans la revue internationale du Droit d’auteur, cette jurisprudence est commentée, il est dit que « Le plat, dans sa matérialisation perceptible par tous les sens, aurait pu éventuellement convaincre les juges sur la possibilité de faire gravir à ces œuvres les marches du droit d’auteur. Il aurait mieux fallu produire l’œuvre de l’esprit sous toutes ses formes - comme avec le logiciel en informatique - et non s’arrêter à sa simple recette, cet algorithme culinaire. ».

Plus récemment, il a été jugé concernant les créations gustatives que les « recettes de cuisine » ne pouvaient être protégées par le droit d’auteur parce qu’il s’agit simplement d’une « succession d’instructions » et d’un « savoir-faire » [2].

En outre, les tribunaux considèrent qu’une œuvre de l’esprit comme devant être originale, c’est-à-dire contenant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Cette originalité se doit d’être matérialisée ; les œuvres du goût et de l’odorat ne sont pour autant, que des manifestations temporaires.
Une recette de cuisine ne saurait sans doute être considérée comme une œuvre faute d’originalité.

Par ailleurs, un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 10 juillet 1974 souligne que :

« Dans la mesure où les recettes culinaires ont été empruntées au fonds de l’art culinaire, elles constituent une compilation et, dans la mesure où elles sont inédites, elles s’apparentent à un cours ou à l’exposé d’une méthode : les manières de procéder qu’elles décrivent ne sont pas, en tant que simples idées, sujettes à la protection du droit d’auteur, pas plus qu’elles ne sont, par ailleurs, susceptibles d’être protégées au titre des brevets d’invention. Certes, à raison de sa composition et de sa forme, une compilation peut donner prise au droit d’auteur, de même qu’un cours ou l’exposé d’une méthode en tant que texte littéraire ».

Enfin, la décision de la Cour d’appel de Versailles du 2 mars 2021 n°18/08237 s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence traditionnelle antérieure qui repose sur l’argument selon lequel ces créations ne procèderaient que de la simple mise en œuvre d’un « savoir‐faire ».
Les magistrats versaillais, appliquant strictement une position de principe, rappellent qu’en ce qui concerne le dressage des plats, « celui‐ci correspond à un simple savoir‐ faire technique, insusceptible de protection de droits d’auteur  ».

(B) Plaidoyer en faveur de la reconnaissance d’une protection.

Légiférer permettrait non pas d’interdire la reproduction d’un texte ou de la simple représentation visuelle du plat, mais de conférer au chef un monopole sur un ensemble constitué du plat, de sa représentation, de son titre et de la méthodologie nécessaire pour y parvenir tel que le chef l’a imaginé puis conçu.

Une proposition de loi Brenier n° 1890 relative à « la protection des recettes et créations culinaires » a été présentée à la présidence de l’Assemblée nationale le 30 avril 2019, et n’a pas été retenue.
Elle souhaitait en premier lieu instituer dans le Code du patrimoine une « Fondation pour la gastronomie française » dont la mission aurait été de répertorier, protéger et promouvoir le patrimoine gastronomique français (déjà patrimoine culturel immatériel de l’humanité, 2010, comme la bière belge, 2016, ou le régime méditerranéen). Cette fondation aurait tenu un registre des recettes des spécialités régionales qui auraient été protégées par un « label ». La « Fondation » aurait délivré un certificat d’authenticité aux restaurants proposant des plats ayant reçu le label.

La proposition visait également à créer, dans les articles 145-1 et suivants du Code du patrimoine, un nouveau titre de propriété intellectuelle sui generis dénommé « certificat de création culinaire » (CCC). Il aurait été obtenu pour « les créations culinaires nouvelles impliquant une activité créatrice et démontrant un caractère gustatif propre. Les denrées alimentaires ne sont pas considérées comme des créations culinaires au sens du premier alinéa du présent article » [3]. Par ailleurs, une protection aurait été reconnue aux créations dont les « qualités gustatives donnent une impression d’ensemble de non déjà gouté ».

Si la protection du CCC avait été acceptée, elle aurait valu pour vingt ans, et donné lieu au paiement de taxes annuelles de maintien en vigueur. Elle n’aurait toutefois pas été reconnue internationalement sauf réciprocité (mais traités inexistants sur ce point).

C) Certains auteurs retiennent que la protection est possible en l’état du droit actuel.

Grimaud Valat, avocat et membre de l’Association Internationale pour la Protection de la Propriété Intellectuelle (AIPPI) et du Groupe Rhône-Alpes pour la protection de la Propriété Intellectuelle (GRAPI) soutient que rien, juridiquement ne permet d’écarter les « œuvres gastronomiques » de la protection offerte par le Livre I du Code de la propriété intellectuelle.
En effet, la liste donnée n’est pas exhaustive et, selon lui, un plat peut parfaitement remplir les conditions d’accession à la protection par droits d’auteur, il peut ainsi être cumulativement : nouveau et un reflet parfait de la personnalité de son auteur, le chef.

Si l’on considère que l’« œuvre gastronomique » peut être protégée, alors, la contrefaçon de cette œuvre serait constituée dès lors qu’une reproduction intégrale ou partielle de l’œuvre est faite sans le consentement de son auteur.

D’après lui, ce sont deux aspects de l’œuvre que percevra son spectateur, d’abord une impression visuelle, suivie d’une impression gustative. La reproduction d’un goût, sans l’apparence, ne serait ainsi pas constitutive de contrefaçon. L’inverse en revanche n’est pas certain : la reproduction visuelle de l’œuvre, sans que le goût ne soit reproduit pourrait certainement être constitutive de contrefaçon puisque, nous allons l’évoquer, l’apparence visuelle originale est protégeable en elle‐même.

C’est ainsi que, la preuve de la reproduction du visuel serait aisément rapportable, celle du goût quant à elle serait plus complexe et subjective. Il serait donc facile de faire cesser des actes de contrefaçon visuelle d’une œuvre gastronomique, mais presque impossible de démontrer la reproduction du goût de cette œuvre.
Cette preuve serait plus facilement rapportable si l’on considère qu’un goût est l’application d’une méthode : la réunion d’ingrédients, dans une certaine quantité, suivant une certaine chronologie, avec un certain temps de cuisson, etc. Le goût est en réalité contenu dans la méthode de conception et de reproduction : la recette.
Pour constater la contrefaçon, il suffira de comparer l’aspect visuel et la recette (encore faut-il que cela fasse l’objet d’une recette écrite suffisamment précise de laquelle découle la détermination d’un goût).

Cette protection ne serait amenée, grâce aux exigences du livre premier du Code de la propriété intellectuelle, qu’à protéger une quantité restreinte d’œuvres gastronomiques, ou en tout cas une minorité des réalisations culinaires.
Comme en matière de brevet, les chefs seraient sans doute plus enclins à partager leurs « secrets » si les œuvres gastronomiques pour lesquelles ils ont été développés sont, en elles‐mêmes, protégées.
Ainsi, pour que ces « œuvres culinaires » bénéficient d’une protection, nul besoin de légiférer, il suffit que la jurisprudence entérine le raisonnement ici présenté.

II. Absence de protection pour la saveur.

La CJUE dans un arrêt du 13 novembre 2018, n°C310/17 [4] a énoncé que la saveur d’un produit alimentaire ne peut pas bénéficier de la protection du droit d’auteur, au sens de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001.
La question préjudicielle posée par le juge néerlandais portait sur le fait de savoir si, un fromage à tartiner « Heksenkaas » pouvait faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur. Plus largement, la question pose celle de la protection des recettes de cuisine et de leurs saveurs par le droit de la propriété intellectuelle.

Cette décision mérite l’attention à deux égards :
- Premièrement, parce que la Cour rappelle que la notion d’œuvre de l’esprit est une notion autonome du droit de l’Union qui doit faire l’objet d’une interprétation uniforme et pour laquelle les États membres n’ont aucune marge de manœuvre (§ 33).
- En second lieu, parce que la Cour de justice exclut, catégoriquement, qu’une saveur puisse être qualifiée d’œuvre au sens du droit d’auteur. Pour ce faire, la Cour estime que l’objet en cause ne peut pas « faire l’objet d’une expression précise et objective » puisque « l’identification de la saveur d’un produit alimentaire repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives qui sont subjectives et variables » d’une personne à l’autre (§ 41 et 42).

La Cour de cassation ne s’est jamais directement prononcée, mais une analogie est faite avec l’exclusion de la protection des parfums.
Elle a jugé que :

« la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire, ne constitue pas (...) la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur » [5].

Elle a ensuite maintenu cette position en s’appuyant sur une autre motivation « le droit d’auteur ne protège les créations dans leur forme sensible qu’autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication » [6].

À première vue, le droit français semblait pourtant permettre une telle protection, d’une part, parce que la liste des œuvres protégeables n’est pas figée et, d’autre part, parce que l’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle, interdisant la prise en compte du genre, du mérite ou de la destination de l’œuvre, ouvre la protection aux créations de toute nature dès lors qu’elles sont perceptibles par les sens, quels qu’ils soient.

III. Protection admise pour la représentation esthétique de l’œuvre gastronomique.

L’aspect esthétique des créations culinaires peut faire l’objet d’une protection par le biais de dépôt de modèles. Ces créations doivent à cet égard satisfaire aux conditions de protection des dessins et modèles :
- la nouveauté (absence de divulgation antérieure identique)
- le caractère individuel ou propre (l’impression d’ensemble diffère de celle produite par tout modèle divulgué antérieurement).

Les œuvres éphémères ou consomptibles sont celles qui n’ont pas vocation à durer. L’œuvre puisqu’elle est éphémère, doit en tout état de cause faire l’objet d’une fixation visuelle par soucis de preuve (par exemple une photographie).

Par exemple, les présentations décoratives de mets sont des œuvres protégeables par le droit d’auteur, sous l’exigence habituelle d’originalité, par exemple photographiées et réunies en ouvrage, comme ce fut le cas dans le livre intitulé Mille idées de décor [7].

Un autre jugement a été rendu par le 16 février 2009 par le TGI de Laval, à propos « d’une sculpture en chocolat », non seulement parce qu’il a jugé qu’une telle œuvre était susceptible de bénéficier de la protection du droit d’auteur, mais aussi et surtout parce qu’il a, en conséquence, fait droit aux demandes du chocolatier/salarié dans son action contre son employeur.
Cette jurisprudence en la matière doit être interprétée avec la plus grande prudence. Ainsi, il ne faudrait pas confondre l’expression de forme, même éphémère, d’une sculpture en chocolat avec la conception et le dressage d’un plat destiné à la consommation.

Enfin, pour clôturer notre série d’exemple, un modèle de tarte aux pommes, a été déposé par le célèbre Chef cuisinier Alain Passard. Son modèle de tarte était caractérisé par la présentation particulière des tranches de pommes, qui apparaissent non pas posées en plat et en cercles concentriques comme dans une tarte aux pommes classique, mais coupées finement et enroulées par groupes afin de former des roses, puis disposées en bouquets sur la tarte. Cette tarte a fait l’objet de quatre dépôts de modèles français.

Cette fameuse tarte a légèrement fait évoluer la jurisprudence relative à l’appréciation des antériorités dans l’appréciation de la nouveauté du modèle.
Il s’agissait d’un contentieux judiciaire dans lequel il s’est retrouvé opposé à une Américaine qui avait publié en 2005 (antérieurement au dépôt) une recette proche dans un livre de pâtisserie. Il s’agissait d’une cuisinière amateure, fort connue au Etats-Unis, mais plutôt dans le domaine de la décoration intérieure et de l’art de vivre.
Le Tribunal de Grande instance de Paris [8] a considéré que le déposant des modèles, Alain Passard, ne pouvait raisonnablement avoir eu connaissance des publications antérieures destinées à « un secteur d’activité différent » et a rejeté les demandes de nullité formée à l’encontre de ces modèles défaut de nouveauté. Ce jugement semble ainsi considérer que seule une publication dans un cadre professionnel devrait pouvoir être pris en considération dans le cadre de l’appréciation de la nouveauté d’un dessin et modèle portant sur une création culinaire, dans la mesure où on ne peut raisonnablement pas demander aux professionnels de la cuisine ou de la pâtisserie de connaître les créations, non pas seulement de leurs concurrents, mais également celles des amateurs du monde entier.

Des demandes de protection pour l’aspect visuel de certaines œuvres gastronomiques ont toutefois été rejetées notamment celle portant sur un macaron en chocolat. Il ne saurait être protégé parce qu’il reprend une « forme banale en pâtisserie », ne démontrant aucun effort de création personnel susceptible de caractériser une œuvre de l’esprit protégeable [9].

IV. Protection pour la recette en tant qu’écrit.

A) Protection de l’écrit.

Les « recettes de cuisine » peuvent être protégées dans leur expression littéraire, même si, elles ne constituent pas en elles-mêmes une œuvre de l’esprit [10].

C’est ainsi que le fait de publier dans d’autres revues et de réunir dans des ouvrages des articles publiés par des journalistes – recettes de cuisine – constitue une atteinte au droit de reproduction leur appartenant [11].

Cette protection des droits d’auteur ne permet au titulaire que de s’opposer aux utilisations non autorisées du contenu de l’œuvre, elles‐mêmes matérialisées dans une forme déterminée et suffisamment précise. En conséquence, les auteurs de recueils de recettes ne seraient aucunement fondés à agir en contrefaçon à l’encontre d’un concurrent qui, s’inspirant des conseils du chef, offre à sa clientèle des plats au goût sensiblement identique à celui des recettes décrites dans l’ouvrage.

B) Protection de la recette comme méthode apportant une solution technique.

La recette de cuisine peut assurément être considérée comme étant une méthode. Elle consiste en un écrit qui énonce les différentes étapes nécessaires à la réalisation d’un plat, imaginé ou non par le rédacteur de la recette. Il faut donc la considérer non comme l’œuvre en elle‐même, mais bien comme la retranscription de la méthode à suivre pour aboutir à la reproduction de l’œuvre originale. À cet égard on peut estimer la recette est au plat ce que la partition est à l’œuvre musicale.

Cette protection ne portera que sur l’œuvre littéraire en elle-même et non pas sur la recette en tant que telle (recette en tant que la réalisation, le plat). Il faudra pour cela se tourner vers le droit des brevets.
Comme nous l’avons déjà énoncé, une recette de cuisine appréhendée sur le plan technique est un procédé qui consiste à combiner des ingrédients comestibles selon certaines règles, afin d’obtenir un produit fini qui est un plat destiné à être consommé par le consommateur.

Une invention, pour être brevetable, doit être une solution technique à un problème technique. Les créations culinaires doivent, comme toutes les autres inventions, satisfaire à cette exigence. Il faudra donc identifier dans la recette, s’il existe un problème technique résolu par cette recette. Toutes les créations culinaires ne pourront donc pas faire l’objet d’un dépôt de brevet.

De plus, les créations culinaires doivent être nouvelles et résulter d’une activité inventive. Une recette déjà connue, dont la création est à la portée évidente de chaque cuisinier, n’est pas une invention brevetable.
Le problème est que : si la recette est un procédé, on voit mal quel problème technique il vise à résoudre.

Il existe toutefois des brevets, tels que les exemples suivants :
- FR 2701815 – Soupe chaude de foie gras à la gelée de poule
Dans ce brevet délivré au nom de Joël Robuchon, il s’agissait de résoudre le problème technique suivant : éviter un mélange du foie gras avec la gelée de poule lorsqu’on chauffe une soupe comportant ces deux ingrédients. Ce problème est résolu dans l’invention en préparant séparément le foie gras et la gelée de poule avec des ingrédients supplémentaires particuliers, et en les précuisant à une température et pendant un temps choisi, puis en rassemblant ces deux éléments et en les cuisant à basse température pendant un temps choisi.
- WO 93/17584 (OMPI) – Mayonnaise de blanc d’œuf qui ne tombe pas, même à température ambiante et au bout de trois jours. Ce qui permet de la congeler et de la passer au four sans qu’elle ne se décompose.

Au contraire, le Tribunal de Grande Instance de Paris dans un arrêt du 24/01/2014 a refusé une protection réclamée sur le texte même d’une recette, lequel utilisait « la forme classique et stéréotypée d’une énumération des ingrédients puis d’une description étape par étape des opérations à effectuer » tout en utilisant une forme « qui n’est au demeurant pas innovante ».

V. Protection du nom de l’œuvre gastronomique.

La protection du nom de la création peut se faire très efficacement par le dépôt du nom de cette création. Comme toutes les marques, les marques identifiant des créations culinaires doivent notamment être distinctives par rapport aux produits désignés et ne doivent donc pas être uniquement constituées de termes indiquant les produits utilisés dans cette préparation ou le nom de cette préparation.
Quant à l’appréciation de leur distinctivité, l’INPI s’attache à vérifier si la création culinaire dont le nom est déposé ne correspond pas à une recette déjà connue ou une recette rattachée à un terroir ou un territoire particulier.

Ainsi, la marque Le Courseullais, déposée pour désigner des « pâtisseries » a été rejetée au motif qu’elle désignait une pâtisserie connue à Courseulles-Sur-Mer, dans le Calvados, et indiquait en outre la provenance géographique des produits désignés.

De la même façon, la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 25 septembre 2013 a confirmé le rejet de la marque MHAJEB déposée notamment pour des « crêpes (alimentation) ; galettes feuilletées fourrées ; préparations faites de céréales » au motif que cette marque constituait la désignation, en langue arabe, d’une spécialité de crêpes algériennes ou marocaines, faites à partir de semoule et de farine, fourrées et cuites dans un tajine. La Cour a notamment considéré qu’il n’était pas nécessaire que cette marque soit comprise par le consommateur, mais qu’il suffisait que la recette désignée constitue, dans le langage courant ou professionnel, la désignation nécessaire de la recette concernée.

Il convient donc, lorsque l’on choisit le nom de sa création, de vérifier que ce nom ne puisse être perçu comme désignant la provenance géographique des produits désignés, et ne constitue pas enfin le nom d’une recette déjà existante. En d’autres termes, il n’est pas possible de chercher par la marque à s’approprier le nom d’une spécialité culinaire, française ou étrangère, quand bien même elle n’aurait jamais été déposée à titre de marque.

VI. Astuces pour protéger une recette.

A) Le secret.

Le savoir-faire ne fait l’objet d’aucun droit privatif au profit de son détenteur et celui qui en dispose ne peut prétendre à un monopole. Une voie demeure pour protéger les saveurs et créations culinaires : le secret.
Si la lecture d’une recette constitue un moyen primordial pour vérifier la régularité d’une composition culinaire et l’exactitude de son étiquetage, le créateur est en droit de garder son secret. Le taisant ne commet aucun délit d’entrave au contrôle [12].

B) Protection par des clauses de non-concurrence.

L’obligation de fidélité contractée par le salarié lui défend de se livrer à des actes concurrençant son employeur. Il ne peut, par exemple, servir simultanément un autre restaurant.
Un chef cuisiner exerce le soir dans un autre établissement fait l’objet d’un licenciement [13].
La clause de non-concurrence vise à interdire au cuisinier d’ouvrir un fond similaire ou de passer à la concurrence à l’expiration de son contrat.

Sources :
- Revue Lamy Droit des affaires, Nº 66, 1er décembre 2011 ‐ Le Luxe et le droit d’auteur ;
- Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Nº 131, 1er novembre 2016 ‐ La cuisine ne peut être le seul art sans œuvre ;
- Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Nº 180, 1er avril 2021 ‐ La création culinaire : du livre à l’assiette... ;
- Revue L’essentiel du Droit de la distribution et concurrence, Pas de droit d’auteur sur la saveur d’un produit alimentaire, n°1 du janvier 2019 ;
- Revue Propriété industrielle n° 9, Septembre 2019, repère 8 - La propriété intellectuelle en cuisine ;
- Fascicule Lexis n°4210 – Les exclusions de brevetabilité Dalloz Action -Droit d’auteur ;
- La protection des créations culinaires par le Droit de la propriété intellectuelle Plasseraud IP ;
- Un zeste de protection des recettes de cuisine par le droit de la propriété intellectuelle, Céline Bondard (publié sur Le Village de la Justice) ;
- Page 2 du document « La protection juridique des œuvres gastronomiques, l’état des lieux », Gazette du Palais, 17 février 2000, Jean-Paul Branlard ;
- Page 5 du document « La protection juridique des œuvres gastronomiques, l’état des lieux », Gazette du Palais, 17 février 2000, Jean-Paul Branlard.

Anna Spasojevic, Elève-avocate M2 Droit des affaires à Nanterre Obtention du CRFPA en 2022

[1Duribreux c/ Muses Production, RIDA 1998, no 177, p. 267.

[2CA Paris, 25 janv. 2007, n° 05/00160.

[3Article 145-9 du Code du patrimoine.

[4Levola Hengelo BV c/ Smilde Foods BV.

[5Cass. 1re civ., 13 juin 2006, n° 02-44.718.

[6Cass. com., 10 déc. 2013, n° 11-19.872.

[7CA Colmar, 1re ch. civ., B., 13 avr. 2006, n° 02/02799, Moulart-Godmet c/ SAEP.

[83e Chambre, 15 mars 2018, RG 16/10841.

[9CA Toulouse, 17 décembre 2008.

[10Cf. Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 30 septembre 1997.

[11Paris, 1re ch., 27 mai 1992.

[12Cass. crim. 22 mai 1989. Fouche.

[13Cass. Soc. 1er avril 1992, Kay.

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