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Inaptitude physique et reclassement du fonctionnaire, les obligations de l’employeur public. Par Charles Carluis, Avocat.
Parution : lundi 9 janvier 2023
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Lorsqu’il a été médicalement constaté qu’un agent public se trouve de manière définitive atteint d’une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à son employeur public de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d’impossibilité, de prononcer le licenciement.
Précisions sur les obligations de l’employeur public en matière de reclassement, dont le respect conditionne la légalité d’une mesure de licenciement pour inaptitude physique.

Les principes applicables.

Il résulte des dispositions combinées des articles L826-1 et suivants du Code général de la fonction publique et des décrets propre à chaque fonction publique relatifs au reclassement des fonctionnaires que, lorsqu’un fonctionnaire est reconnu, par suite de l’altération de son état physique, inapte à l’exercice de ses fonctions, il incombe d’abord à l’administration de rechercher si le poste occupé par ce fonctionnaire peut être adapté à son état physique, puis, si, en raison des nécessités du service, une telle adaptation n’est pas possible, de lui proposer une affectation dans un autre emploi de son grade compatible avec son état de santé.

Si le poste ne peut être adapté ou si l’agent ne peut être affecté dans un autre emploi de son grade, au besoin et si possible, en procédant à des adaptations, il incombe à l’administration de lui proposer une période de préparation au reclassement en lui laissant la possibilité de présenter directement une demande de reclassement dans un emploi d’un autre corps ou cadre d’emplois.

Si l’agent demande son reclassement, il incombe alors à l’administration de tenter de le reclasser dans un emploi d’un autre corps ou cadre d’emplois, en priorité dans son administration d’origine ou, à défaut, lorsqu’aucun poste n’est disponible dans son administration d’origine, dans toute administration ou établissement public relevant des trois fonctions publiques.

La mise en œuvre de l’obligation de reclassement implique que, sauf si l’agent manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre une activité professionnelle, l’employeur propose à ce dernier un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible avec l’emploi précédemment occupé ou, à défaut d’un tel emploi, tout autre emploi si l’intéressé l’accepte [1].

L’administration doit être capable d’apporter la preuve qu’elle a sérieusement examiné la possibilité d’un reclassement, sans se borner à affirmer, sans autre précision, que cela était impossible [2].

L’employeur doit être regardé comme ayant satisfait à son obligation de reclassement s’il établit être dans l’impossibilité de trouver un nouvel emploi approprié aux capacités de son agent malgré une recherche effective et sérieuse [3].

L’administration ne peut exiger de l’agent qui demande un reclassement qu’il prouve l’existence de postes susceptibles de lui être proposés [4].

Au contraire, la charge de la preuve de l’absence de tels postes vacants pèse sur l’administration.

Tout emploi qui n’est pas occupé par un agent titulaire ou stagiaire régulièrement nommé, doit être regardé comme vacant [5].

Pour apprécier les possibilités de reclassement sur un poste vacant pouvant être proposé au fonctionnaire, le juge administratif doit se placer à la date de la décision qui tire les conséquences de l’impossibilité de reclassement [6].

Ce n’est que lorsque ce reclassement est impossible, soit qu’il n’existe aucun emploi vacant pouvant être proposé à l’intéressé, soit que l’intéressé est déclaré inapte à l’exercice de toutes fonctions ou soit que l’intéressé refuse la proposition d’emploi qui lui est faite, qu’il appartient à l’employeur de prononcer, dans les conditions applicables à l’intéressé, son licenciement ou sa mise à la retraite d’office si l’agent public en remplit les conditions [7].

Le licenciement pour inaptitude physique n’est susceptible d’être prononcé que dans la mesure où une mise à la retraite s’avère impossible.

Exemple d’application de ces principes.

Prenons l’exemple d’un agent, que j’ai récemment accompagné, agent des services hospitaliers qualifié (ASHQ) titulaire (fonction publique hospitalière), qui exerçait des fonctions d’agent de bio-nettoyage (ABN), avait été reconnu définitivement inapte à l’exercice des missions incombant aux ASHQ mais apte à l’exercice de fonctions de nature administrative, qui avait demandé son reclassement mais avait fait l’objet d’une mesure de radiation des cadres pour inaptitude définitive à l’exercice de ses fonctions (autrement dit un licenciement pour inaptitude physique).

Pour prononcer la radiation des cadres de cet agent, l’autorité administrative a estimé que l’intéressé n’était plus apte à exercer des fonctions d’ASHQ, qu’il était en revanche apte à être reclassé sur un poste administratif mais que l’établissement ne disposait d’aucun poste administratif vacant compatible avec ses compétences professionnelles d’ABN.

A cette fin, l’autorité administrative s’est fondée notamment sur l’avis émis par le conseil médical reconnaissant l’inaptitude définitive de l’intéressé aux fonctions d’ASHQ et la nécessité de procéder à son reclassement professionnel sur un poste administratif.

L’autorité administrative a néanmoins estimé en l’absence de réalisation par l’agent concerné d’un bilan de compétences ou de demande tendant au bénéfice d’une PPR, l’intéressé ayant sollicité directement son reclassement, que celui-ci ne présentait pas les compétences requises pour occuper un poste administratif.

L’employeur a donc limité la recherche de postes de reclassement au sein de l’établissement aux « vacances potentielles (de postes administratifs) compatibles avec les compétences ABN », autrement dit des postes administratifs accessibles par la possession des seules compétences d’ASHQ, fonctions pour l’exercice desquelles l’intéressé a été reconnu définitivement inapte.

L’agent était ainsi réduit, s’agissant de l’appréciation de ses aptitudes professionnelles en vue d’un reclassement, à ses anciennes fonctions d’ASHQ, sans prise en compte des services précédemment accomplis au sein de l’établissement dans des fonctions administratives pendant une durée cumulée d’un an.

C’est d’ailleurs au regard de l’expérience acquise antérieurement sur des fonctions administratives que l’agent avait préféré solliciter directement son reclassement, plutôt de demander une PPR.

En limitant la recherche de reclassement interne à des postes administratifs vacants accessibles aux seules compétences d’ABN, l’autorité administrative a commis une erreur d’appréciation des aptitudes professionnelles de l’intéressé en vue d’un reclassement.

En tout état de cause, l’administration n’apportait aucun élément de nature à établir l’absence alléguée de poste administratif vacant susceptible d’accueillir l’intéressé dans le cadre d’un reclassement, et donc l’impossibilité de reclasser l’agent dans un poste approprié à son état de santé et à ses aptitudes professionnelles.

Par ailleurs, en l’absence de poste administratif vacant au sein de l’établissement susceptible d’être proposé à l’agent pour permettre son reclassement interne, à la supposer même avérée, il appartenait à l’administration d’étendre ses recherches de reclassement dans toute administration ou établissement public relevant des trois fonctions publiques aux fins de trouver une solution de reclassement externe.

Or, en l’espèce, l’autorité administrative s’était bornée à interroger trois établissements publics de santé, sur l’existence d’éventuels postes vacants dans ces établissements « répondant aux restrictions » de l’agent, sans autre précision et sans y joindre aucun document, tel que par exemple un curriculum vitae ou un état des services accomplis par l’intéressé mentionnant l’exercice de fonctions administratives au sein de l’établissement.

En limitant ses recherches de reclassement externe à seulement trois établissements publics de santé, et alors qu’il n’était nullement démontré que le reclassement de l’intéressé n’était pas possible au sein de l’établissement, l’administration a manqué à son obligation de recherche loyale et sérieuse de reclassement.

Faute d’avoir satisfait à son obligation de reclassement, l’établissement a entaché d’illégalité la décision de licenciement.

Sur la base de cette argumentation, l’agent a sollicité et obtenu en référé [8] la suspension de l’exécution de cette décision, le juge des référés ayant considéré que le moyen tiré de ce que l’établissement avait méconnu ses obligations en matière de reclassement était de nature à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité.

Depuis, l’agent a été réintégré et reclassé.

Ainsi définie et illustrée, l’obligation de reclassement des fonctionnaires physiquement inaptes mise à la charge de l’employeur public s’analyse en une obligation de moyen renforcée.

Débiteur de l’obligation de reclassement, l’employeur public doit prouver qu’il a loyalement et sérieusement tenté de reclasser l’agent compte tenu des possibilités effectives dont il disposait, tant internes qu’externes.

Charles Carluis - avocat droit de la fonction publique Barreau de Rouen https://carluis-avocat.fr/ charles.carluis@gmail.com

[1CAA Lyon, 06/01/2022, n°19LY03515.

[2CAA Nantes, 14/03/2003, n°0NT01965.

[3CAA Bordeaux, 31/01/2022, n°19BX03136.

[4CAA Lyon, 28/09/2022, n°20LY00592.

[5Par ex. CAA Versailles, 13/07/2022, n°20VE00471.

[6CAA Douai, 25/05/2022, n°21DA02017.

[7CAA Douai, 25/05/2022, n°21DA02017.

[8TA Rouen. ord. 16/12/2022, n°2204813.

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