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Une commune peut-elle changer de nom ? Par Antoine Carle, Avocat.
Parution : mercredi 1er février 2023
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L’année 2023 sera placée sous le signe de l’égalité homme femme pour la commune de Pantin renommée provisoirement Pantine à l’initiative de son maire. Si cette démarche est purement symbolique, le changement de nom des communes est un enjeu bien réel. Depuis le 1er janvier 2023, déjà cinq communes ont procédé à un tel changement, répondant à des considérations propres à chacun de ces territoires.

I. Panorama des motivations des changements de nom des communes.

Motivations historiques, linguistiques ou encore purement géographiques, le changement de nom des communes peut répondre à différentes problématiques. Dans une étude menée sur la question, l’économiste Eric Delattre [1] identifie, en substance, quatre types de changement.

Tout d’abord, les changements opérés dans une volonté d’identification et de différenciation. Nombre de communes possèdent des noms relativement proches, voire identiques, favorisant la confusion. C’est dans cet objectif que la commune de Montreuil dans le Pas-de-Calais est devenue au 1er janvier 2023, Montreuil-sur-Mer et ne pourra désormais plus être confondue avec Montreuil en Seine-Saint-Denis. En effet, la différenciation des communes est devenue un enjeu de première importance notamment pour une raison principale entraînant des conséquences pratiques peu commodes : l’erreur opérée par les services postaux dans la distribution du courrier.

Ensuite, viennent les modifications pour des raisons politiques et administratives. Ce type de changement se concrétise généralement lors d’une fusion de plusieurs communes. Le regroupement de plusieurs municipalités conduit nécessairement à faire émerger un nouveau nom. Usuellement, les noms des anciennes communes sont simplement juxtaposés afin de respecter une certaine égalité. Néanmoins, force est de constater que certaines dénominations aboutiraient à une toponymie bien trop longue et indigeste. À cet égard, le nouveau nom ne reprend parfois qu’une partie des anciennes toponymies, à l’image de la commune nouvelle d’Athis-Mons qui avait émergé de la fusion d’Athis-sur-Orge et Mons-sur-Orge au XIXe siècle.

Également, les changements de noms peuvent intervenir pour des raisons linguistiques ou historiques. La volonté de retrouver l’ancienne dénomination de la commune dénote un attachement particulier aux racines territoriales, à l’image de Châlons-sur-Marne qui a retrouvé son ancienne dénomination en 1997 pour redevenir Châlons-en-Champagne. Aussi, dans un mouvement de simplification linguistique, il arrive que certaines communes fassent le choix d’opérer des changements mineurs, mais davantage en adéquation avec la prononciation du nom. Il en est ainsi de la commune de Le Haucourt qui devient en 1998 Lehaucourt, ou encore de Sainte-Croix-de-Verdon qui devient en 2005 Sainte-Croix-du-Verdon.

Enfin, un dernier motif semble pouvoir justifier une telle modification : un changement d’image de la commune, notamment dans un but touristique ou économique. À cet égard, la commune de Chatelguyon a vu son orthographe évoluer vers la dénomination Chatel-Guyon qui constituait non seulement un usage de longue date, mais également et surtout un intérêt économique et touristique en raison de son statut de station thermale [2] .

II. Le cadre juridique du changement de nom d’une commune.

A. Trois régimes juridiques distincts.

Si la doctrine retient habituellement la procédure de changement de nom issue de l’article L2111-1 du Code général des collectivités territoriales (ci-après, CGCT), qu’elle distingue de celle prévue à l’article L2113-6 du CGCT pour les communes nouvelles, force est de constater que ce n’est finalement pas deux, mais bien trois régimes qui ressortent de ces dispositions.

En effet, l’article L.2111-1 est rédigé comme suit :

« Le changement de nom d’une commune est décidé par décret, sur demande du conseil municipal et après consultation du conseil départemental. Toutefois, les changements de noms qui sont la conséquence d’une modification des limites territoriales des communes sont prononcés par les autorités compétentes pour prendre les décisions de modification ».

A la lecture de cet article, on constate qu’une distinction est opérée entre le changement de nom stricto sensu et le changement de nom qui est la résultante d’une modification des limites territoriales de la collectivité.

1er régime : le changement de nom de la commune stricto sensu.

Ainsi, tout d’abord, la première phrase de l’article L.2111-1 du CGCT comporte en elle-même le premier cas de changement de nom possible et renvoie à une simple modification de la toponymie de la commune. Cette procédure est celle décrite dans la note d’information du 8 février 2021 relative à l’instruction des demandes de changement de nom de communes [3] s’articule de la manière suivante :
- 1 : la demande de changement de nom doit émaner du conseil municipal qui formule sa demande par une délibération adressée au préfet du département ;
- 2 : le préfet examine le dossier notamment au regard des règles de graphies qui sont rappelées dans cette note d’information. Le préfet peut inviter la commune à joindre tout document permettant de justifier une telle demande, bien que ces derniers ne soient pas obligatoires ;
- 3 : le préfet du département doit solliciter l’avis du service des archives départementales ainsi que l’avis du conseil départemental qui se prononce par délibération ;
- 4 : le préfet rend son avis aux services du ministère en charge des territoires ;
- 5 : le ministre acte le changement par décret publié au Journal Officiel de la République française.

Depuis l’entrée en vigueur du décret n°2018-674 du 30 juillet 2018 portant simplification de certaines procédures administratives, l’avis du Conseil d’État n’est plus nécessaire dans le cadre de cette procédure.

Dans ce cadre, l’autorité compétente pour autoriser la modification est donc, in fine, le ministre en charge des territoires. A ce titre, il semblait communément admis par la doctrine, ainsi que rappelé par la note du 8 février 2021, que l’autorité ministérielle devait prendre en compte certaines préconisations mises en avant par le Conseil d’État pour faire droit à de tels changements. Ces préconisations tiendraient notamment à ce que le changement de nom d’une commune soit justifié par un risque sérieux d’homonymie pouvant créer une confusion ou encore par le souhait de retrouver une dénomination historique tombée en désuétude, faisant fi de toutes les autres motivations ci-avant développées et souvent mobilisées par les communes.
Toutefois, une telle grille de lecture ne semble pas devoir s’imposer de manière absolutiste.

Ainsi, au regard d’un arrêt particulièrement intéressant de la cour administrative d’appel de Lyon préalablement évoqué, il a été jugé que le ministre ne devrait pas se sentir lié par ces critères régulièrement mis en avant [4].
En effet, en affirmant, dans l’affaire concernant la commune de Chatel-Guyon que « le ministre de l’Intérieur ne tenait d’aucune disposition législative applicable la possibilité de limiter l’exercice de son pouvoir d’appréciation des motifs de la demande de changement de nom formé par une commune à l’examen de ces deux critères […] », la juridiction constate que le risque d’homonymie ou la volonté de renouer avec une dénomination historique constituent des motifs de refus dénués de toute base légale.

Dans ces conditions, des intérêts touristiques et économiques pourraient être pris en compte dans l’instruction de la demande de changement nom.
Notons, en tout état de cause, que le Conseil d’État s’en tient à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de la décision prise par le ministre en la matière [5].

2ème régime : le changement de nom de la commune dans le cadre d’une modification de ses limites territoriales.

Le deuxième régime prévu par l’article L.2111-1 du CGCT concerne les changements de nom issus de modifications des limites territoriales de la commune concernée.
Ce régime est explicité à l’article L.2112-1 et suivants du CGCT qui prévoient que les modifications aux limites territoriales des communes et le transfert de leurs chefs chefs-lieux sont décidés après enquête dans les communes intéressées sur le projet lui-même et ses conditions.
Le préfet prescrit cette enquête saisi d’une demande à cet effet soit par le conseil municipal, soit par le tiers des électeurs inscrits de la commune ou de la portion de territoire en question, ou d’office.
Lorsque le projet concerne le détachement d’une portion du territoire d’une commune ou une section de celle-ci, le préfet institue une commission qui doit donner son avis sur le projet dont les membres sont élus dans les mêmes conditions que les conseillers municipaux des communes de moins de 2 500 habitants. Les conseils municipaux concernés et le conseil départemental doivent également donner leur avis sur les projets de modifications territoriales.
À l’issue du processus, la décision revient au préfet qui se prononce par arrêté pour les cas simples où la modification n’entraîne qu’un changement des limites communales. En revanche, lorsqu’une telle modification porte atteinte aux limites cantonales, la décision se matérialise par un décret en Conseil d’État proposé par le ministre de l’intérieur.
Ainsi, l’autorité pour se prononcer sur l’éventuel changement de nom de la commune dans le cadre d’une procédure de modification de ses limites territoriales sera le préfet de département ou le ministre de l’intérieur.

3ème régime : le changement de nom de la commune dans le cadre de la création d’une commune nouvelle procédant d’une scission ou d’une fusion.

Enfin, le troisième et dernier régime applicable en cas de changement de nom d’une commune est contenu à l’article L2113-6 du CGCT.
Ce dernier est la résultante de la création d’une commune nouvelle issue de la fusion de plusieurs communes ou de la scission d’une commune.
Ainsi, dans ce cadre, la compétence pour consacrer le changement de nom relève une nouvelle fois du préfet de département [6] qui, soit valide le choix proposé par les conseils municipaux à l’origine de la création, soit en l’absence d’accord des conseils municipaux, propose un nom. Dans cette dernière hypothèse, le conseil municipal dispose alors d’un délai d’un mois pour rendre son avis ; à défaut, ce dernier sera réputé favorable.
Par arrêté, le préfet prononce la création de la commune nouvelle et statue du même fait sur le nom de celle-ci [7].
Notons que l’avis de la population devrait davantage être entendu lors du choix du nom d’une commune émergente. En effet, à titre illustratif, en janvier 2022, les communes nouvelles de Thaon-les-Vosges (Vosges) et de Thury-Harcourt-le-Hom (Calvados) ont réussi à changer de nom à la suite d’une fronde menée par leurs habitants. Issus d’une fusion de plusieurs municipalités en 2016, les nouveaux noms décidés à l’époque n’avaient jamais fait l’unanimité au sein de la population et étaient l’objet d’une vive contestation. Ainsi, par décret du 31 décembre 2021, et donc un recours à la procédure classique du changement de nom, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a validé la demande de ces deux villes.

B. Des règles orthographiques communes.

Ces trois hypothèses juridiques de changement de nom, bien que répondant à des régimes juridiques propres, se trouvent toutefois encadrées par un corpus unique de règles orthographiques. Ce dernier est contenu dans la note d’information du 8 février 2021 qui constitue un véritable guide pour les autorités chargées d’étudier les demandes de changement de noms. Accents, majuscules, espaces, etc., rigueur digne d’un Bescherelle, la note de la Direction générale des collectivités locales énumère une à une les normes que devront respecter les communes qui souhaitent faire évoluer leur nom.
Exit les extravagances : la ville de Sète ne pourra ainsi jamais être rebaptisée « 7 » … Aussi, un nom composé de plusieurs mots ne pourra être relié que par des traits d’union, à l’exception de l’article défini placé au début qui peut être séparé du reste par un blanc. L’occasion également de revoir quelques règles de dictée : les noms des communes sont des noms propres et commencent donc par une majuscule. Mais cela semblait trop simple pour les passionnés de la langue française qui ont élaboré ce texte. Cette majuscule ne se place que sur le premier mot du nom et ensuite sur les mots dits « significatifs ». Un exemple semble nécessaire : on ne pourra pas écrire Saintes-Maries-De-La-Mer mais bien Saintes-Maries-de-la-Mer.
Cette discipline orthographique n’est pourtant pas garante de bienséance en la matière. En veulent pour preuve toutes ces communes aux noms atypiques, voire relativement audacieux. Tout le monde connait le désormais classique village de Montcuq, mais d’autres ne sont pas en reste. On pourra donc trouver sur la carte de France des municipalités telles que Sallespisse dans les Pyrénées-Atlantiques, Trécon dans la Marne, et encore bien d’autres. Ces noms qui peuvent faire sourire sont néanmoins vivement défendus, notamment par une association des plus sérieuses : Le Groupement des communes de France aux noms burlesques et chantants, qui entend bien promouvoir ces particularités.

Les noms officiels des plus de 36 000 communes françaises sont tous répertoriés au sein du code officiel géographique (COG) de l’INSEE. Vous pourrez ainsi y retrouver toutes vos communes favorites, dont par exemple le non moins surprenant Arnac-la-Poste en Haute-Vienne, sans majuscule au « la » évidemment, rigueur linguistique oblige…

A titre conclusif, relevons que les changements de nom des communes peuvent être le terrain d’enjeux économiques, notamment en matière de marques ou d’appellations. Ainsi, des contentieux ont pu émerger principalement à l’initiative d’associations qui ne souhaitaient pas voir le commerce qu’elles défendaient entraver par la nouvelle dénomination de certaines communes. C’est par exemple ce qu’ont eu a jugé le tribunal administratif d’Amiens concernant la nouvelle commune de « Vallées en Champagne » [8] ou encore la cour administrative d’appel de Lyon au sujet de la fusion de deux communes ayant abouti à la nouvelle dénomination de « Les Deux Alpes » [9].

Finalement, loin d’être une question purement symbolique, les modifications des noms des communes sont le terrain de problématiques diverses et emportent des conséquences pratiques importantes à l’égard des administrés.

Antoine Carle, Avocat associé, Barreau de Lyon Novlaw Avocats https://novlaw.fr/antoine-carle/

[1Le changement de nom des communes françaises aspects économiques, marketing et stratégiques, Eric Delattre, Revue d’Économie Régionale & Urbaine 2007/2 (juillet), pages 269 à 291.

[2CAA Lyon, 19 juillet 2007, n°04LY00581.

[3Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales – Note d’information relative à l’instruction de demandes de changement e nom des communes, 8 février 2021 – Réf. Elise n°20-013006-Det

[4CAA Lyon, 19 juillet 2007, précité.

[5CE, 20 janvier 1988, Commune de Pomerol, n° 62900, Rec. ; CE, Sect., 22 avril 1955, Commune de Saint-Martin-en-Vercors, Rec. p. 203

[6CAA Nantes, 4e, 19-11-2021, n° 20NT03983

[7Sous réserve de l’article L.2113-4 du CGCT.

[8TA Amiens, 27 décembre 2016, n°1600307.

[9CAA Lyon 18 novembre 2019, n°17LY02936.