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Demande de nullité d’un congé requalifiée… en action en requalification du bail.
Parution : mardi 10 janvier 2023
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La demande en nullité d’un congé délivré au preneur à bail commercial d’un terrain nu tend à la requalification du contrat en bail statutaire, qui est soumise à la prescription biennale (Cass. 3e civ., 7 décembre 2022, n° 21-23.103, publié au Bulletin).

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Un bailleur a, le 16 juillet 2009, donné en location un terrain nu destiné à l’installation d’une station de lavage, pour une durée de sept années. A l’expiration de cette durée, il a donné congé au preneur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et l’a assigné en expulsion devant le juge des référés. Ce magistrat a rejeté cette demande en relevant l’existence d’une contestation sérieuse.

Alain Confino
Avocat au Barreau de Paris

Devant le tribunal de grande instance saisi au fond par le bailleur, le preneur a soulevé une exception de nullité du congé, se prévalant du caractère non-écrit de la clause qui fixait à 7 ans la durée du contrat. Le tribunal a fait droit à cette demande et jugé que le contrat était soumis au statut des baux commerciaux, de sorte que le congé donné par le bailleur par lettre recommandée était nul.
Ayant formé appel, le bailleur a fait valoir que la demande du preneur s’analysait en réalité, sous couvert de contestation de la clause « durée », en une action en requalification du bail initial, qui devait être déclarée irrecevable car atteinte par la prescription prévue par l’article L. 145-60 du code de commerce. De plus il a invoqué l’irrecevabilité de l’exception de nullité soulevée par le preneur dès lors que le bail avait été exécuté.

En réponse, le preneur a invoqué le caractère réputé non-écrit de la clause de durée du bail en application de l’article L. 145-15 du code de commerce et l’imprescriptibilité de cette sanction. Il a aussi développé une argumentation subsidiaire tirée du caractère selon lui frauduleux du contrat conclu avec un preneur « non assisté d’un conseil » par un bailleur qui savait qu’il existait sur le terrain des aménagements souterrains équivalant à des constructions et ayant donné lieu à un permis de construire que le bailleur l’avait lui-même autorisé à demander, alors que le bail mentionnait qu’il portait sur un terrain nu et des installations entièrement démontables. De sorte que, selon le preneur, « la prescription a nécessairement été suspendue en considération de la fraude commise par le bailleur. »

Par arrêt du 29 juillet 2021, la cour d’appel de Pau (2ème ch. 1ère sect., n° 19/03523) a suivi un raisonnement quelque peu tortueux, à l’image du débat qui lui était soumis.

Elle a d’abord constaté que le preneur, même s’il cherchait à le faire oublier dans ses dernières écritures, avait bien sollicité dans ses conclusions la requalification du bail.

Puis elle a estimé que « l’action en nullité d’une clause contraire au statut des baux commerciaux est nécessairement soumise à la prescription biennale édictée par l’article L 145-60 du code de commerce », ajoutant : « Néanmoins l’exception de nullité de la clause est perpétuelle lorsqu’elle a pour objet de faire échec à une demande d’exécution d’un acte juridique en application de l’article 1185 du Code civil qui dispose que l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. Ainsi en application des dispositions précitées, c’est bien le contrat et non la clause qui ne doit pas avoir reçu de commencement d’exécution ». Et l’arrêt de préciser, pour écarter l’exception, que le contrat litigieux « a reçu exécution de part et d’autre ».

Pour rejeter le moyen de l’ « inopposabilité » de la clause du bail prévoyant une durée de 7 ans, tiré par le preneur de l’article L. 145-15 modifié par la loi du 18 juin 2014, la cour a encore considéré que cette loi n’a pas pu avoir pour effet de faire revivre un droit éteint par la prescription le 16 juillet 2011.
Enfin, sur la prétendue fraude, la cour a considéré que celle-ci « doit être caractérisée par l’utilisation de moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement » et constaté que le preneur ne produisait aucune pièce susceptible de démontrer l’usage de tels moyens, l’absence d’assistance d’un conseil ayant au demeurant été son propre choix.

En conséquence de quoi la cour d’appel a infirmé le jugement déféré et prononcé l’expulsion du preneur.

Ce dernier s’est donc pourvu devant la Cour de cassation en développant un moyen en cinq branches :
- l’article L. 145-15 du code de commerce, tel qu’issu de la loi du 18 juin 2014, qui a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce (sic) leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours (…) l’action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n’étant pas soumise à prescription (…) ; en retenant toutefois que l’article L. 145-15 nouveau ne pouvait s’appliquer au bail conclu le 16 juillet 2009, dès lors qu’il aurait pour effet de faire revivre un droit éteint par la prescription depuis le 16 juillet 2011, la cour d’appel a violé par refus d’application l’article L. 145-15 du code de commerce, tel qu’issu de la loi du 18 juin 2014 »
- à tout le moins, si l’action en requalification d’un contrat en bail commercial se prescrit par deux ans à compter de la conclusion de l’acte, il en va différemment de l’action en nullité d’un congé, laquelle ne tend pas à la requalification du bail et ne saurait être prescrite avant même la notification du congé litigieux ;
- en l’espèce, l’exposante n’avait formé aucune action en requalification du contrat en bail commercial et se bornait à opposer à l’action en résiliation et en expulsion diligentée par le bailleur l’inopposabilité de la clause fixant à sept ans la durée du bail ainsi que la nullité du congé délivré par le bailleur le 24 novembre 2015 en application de cette clause (…) ; en jugeant que le moyen de défense soulevé par le locataire constituait une « action en requalification en bail commercial », la cour d’appel a dénaturé les conclusions (du preneur) en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;
- l’article 1185 du code civil, tel qu’il est issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, n’est pas applicable à un contrat conclu avant le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance (…) ;
- à titre subsidiaire, la fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions exercées au titre d’un bail commercial.

Par arrêt du 7 décembre 2022, la troisième chambre civile, après avoir écarté les quatre dernières branches du moyen comme n’étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation, a, répondant à la première, rejeté le pourvoi en approuvant la cour d’appel d’avoir énoncé « que l’article L. 145-15 du code de commerce réputant non écrites certaines clauses d’un bail, n’est pas applicable à une demande en requalification d’un contrat en bail commercial » et d’avoir « exactement retenu que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention ».
L’on ne peut que saluer la clarté et la simplicité de cette motivation, qui contraste singulièrement avec celle, pour le moins complexe sinon parfois confuse, de l’arrêt déféré.

La Cour de cassation réaffirme ici une nouvelle fois une solution désormais bien établie en jurisprudence, même si elle ne va pas de soi : l’action qui tend à requalifier en bail commercial, régi par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, un contrat d’un autre type, est soumise à la prescription biennale de l’article L. 145-60. Et cette prescription court à compter de la date de conclusion du contrat initial (même lorsqu’il a été renouvelé) (v. pour des applications récentes : à une location saisonnière : Cass. 3ème civ., 17 sept. 2020, n° 19-18435 (P+B+I) ; CA Aix 31 mai 2022, n° 21/14270 ; à un bail professionnel au profit d’un établissement d’enseignement : CA Bordeaux, 23 mars 2020, n° 17/04705).

Par exception, en vertu de l’adage selon lequel « la fraude corrompt tout », il est admis que la prescription biennale de l’action en requalification se trouve suspendue en présence d’un contrat initialement frauduleux (Cass. 3ème civ., 23 sept. 2021, n° 20-10812, à propos d’un contrat de prestations de services argué de fraude).

A cet égard, la Cour de cassation, dans l’arrêt commenté, n’a pas estimé devoir statuer sur la branche du moyen de cassation qui soutenait « que le bail rédigé par le bailleur entretenait, à dessein, l’apparence d’une situation de droit erronée, puisqu’il excluait expressément l’application du statut des baux commerciaux alors que le bailleur savait parfaitement qu’il y avait sur les terrains des aménagements constituant des constructions, lesquels avaient donné lieu à permis de construire et que le bailleur avait lui-même autorisés (concl. d’appel, p. 15-18), en sorte que les clauses du bail avaient pour seul objet de contourner les règles impératives du statut des baux commerciaux, ce qui constituait une fraude interdisant au bailleur de se prévaloir de la prescription biennale ; qu’en jugeant que la fraude devait être caractérisée par des « moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement du locataire », lesquels n’étaient pas établis, quand les conditions de la fraude ne sont pas celles du dol et ne supposent pas d’établir un vice du consentement du locataire, la cour d’appel a violé les articles 1116 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 145-60 du commerce, par fausse application, ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout ».

Elle a considéré que cette branche du moyen, comme les trois autres branches écartées, était manifestement insusceptible d’entraîner la cassation.
La haute juridiction a entendu ainsi ignorer une argumentation qui tendait en réalité à remettre en cause devant elle une appréciation des faits par la cour d’appel sur laquelle elle n’entend pas exercer son contrôle dès lors qu’il relève du pouvoir souverain des juges du fond en la matière et que les conclusions du preneur sur ce point avaient fait l’objet d’une réponse motivée par l’arrêt attaqué.

Mais il est également intéressant de s’arrêter sur le reste de l’argumentation du demandeur au pourvoi qui soulevait d’importantes questions de principe.
Visiblement conscient du risque de voir déclarer sa demande irrecevable comme étant prescrite, le preneur soutenait qu’il n’avait pas formé une action en requalification mais seulement une demande de nullité du congé reçu du bailleur. Un tel argument, sans doute habile, relevait de la prétérition : la nullité du congé formé par lettre recommandée au lieu de l’acte d’huissier exigé par l’article L. 145-9 du code de commerce, supposait précisément que le bail fût soumis au statut : la requalification du bail était dès lors le préalable nécessaire à toute éventuelle nullité d’un acte contraire au statut ! De plus, bien que le preneur cherchât à se défendre d’avoir formé une action en requalification, la cour d’appel avait constaté qu’il avait bien conclu en ce sens.

Le pourvoi reprochait par ailleurs à la cour d’appel d’avoir rejeté comme prescrite l’exception de nullité en appliquant à tort l’article 1185 du code civil issu de la réforme opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Ce grief était parfaitement fondé en droit : l’article 1185, comme les autres dispositions de la réforme de 2016, n’était assurément pas applicable à un bail conclu avant le 1er octobre 2016.

Mais il était voué à l’échec, car il était de jurisprudence établie, avant 2016, que l’exception de nullité est perpétuelle dès lors que la clause contestée n’a pas fait l’objet d’un commencement d’exécution (v. par ex. Cass. 1ère civ., 15 janv. 2015, F-P+B , n° 13-25.512 et n° 13-25.513).

Pour autant, l’on ne peut que s’étonner que, pour rejeter l’exception de nullité, la cour d’appel de Pau se soit aventurée (de façon inutile dès lors qu’elle jugeait déjà prescrite l’action en requalification) dans une motivation pour le moins critiquable, en affirmant que « l’action en nullité d’une clause contraire au statut des baux commerciaux est nécessairement soumise à la prescription de deux ans édictée par l’article L 145-60 du code de commerce ».

Un tel motif, s’il n’avait pas été surabondant au regard du dispositif principal de l’arrêt, aurait exposé celui-ci à une cassation certaine : en effet, il est désormais établi avec force par la Cour de cassation que la sanction du réputé non-écrit, substituée à celle de la nullité par l’article L. 145-15 dans sa version issue de la « loi Pinel », est pleinement applicable à des clauses qui, avant cette loi, étaient déjà contraires à des dispositions impératives du statut (Cass. 3ème civ., 19 nov. 2020, n°19-20405 FS- P + B + I) : ainsi, une durée de bail de 7 ans tomberait inéluctablement sous le coup du réputé non-écrit puisque l’article L. 145-4, qui prévoit que « la durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans », est au nombre des dispositions déclarées impératives par l’article L. 145-15.

Mais encore faut-il, évidemment, que le bail soit soumis au statut…
Ce qui conduit à évoquer un dernier point de l’affaire tranchée par l’arrêt commenté et qui avait donné lieu à débat devant les juges du fond : l’on sait que le bail d’un terrain nu n’est soumis au statut qu’à la condition que des constructions à usage commercial, industriel ou artisanal, y aient été édifiées - soit avant, soit après le bail – et aient été élevées ou exploitées avec le consentement exprès du propriétaire. En l’occurrence, le preneur soutenait qu’il avait édifié de véritables constructions avec l’accord du bailleur (et pas seulement des installations démontables). Mais, au lieu de se borner à plaider que le bail litigieux était dès lors ab initio de plein droit soumis au statut en vertu de l’article L. 145-1-I-2° du code de commerce, ce qui devait entraîner à la fois l’inefficacité de la clause selon laquelle le bail n’était pas soumis au statut, le réputé non-écrit de la clause durée et la nullité consécutive du congé délivré par lettre recommandée, le preneur avait choisi de placer le débat sur le terrain de la fraude et, d’abord implicitement, ensuite explicitement, de demander la requalification du contrat pour ce motif. La cour d’appel s’était donc limitée à répondre que la fraude n’était pas caractérisée, sans s’attarder sur la nature exacte des installations en cause.

Il n’est pas interdit de penser qu’une stratégie procédurale déployée différemment aurait pu avoir de meilleures chances de succès.
En l’état, la solution retenue par la troisième chambre civile est donc d’une parfaite orthodoxie – indépendamment du fait que la soumission des actions en requalification à la prescription biennale reste toujours sujette à débat.

Alain Confino Avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit immobilier (Cabinet Confino)

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