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Avocat en Droit des étrangers, empathie et polyvalence au service des Droits de l’Homme.
Parution : mercredi 25 janvier 2023
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Mais pourquoi un article spécifique sur le Droit des étrangers ? Tout est parti d’une tribune publiée sur le Village de la Justice et dans laquelle un avocat spécialiste de ce domaine du droit exprime son agacement face à la méconnaissance de cette matière et aux idées souvent fausses (et polémiques) qui y sont rattachées.
Le droit des étrangers étant au cœur de l’actualité et constituant un contentieux important en France, la Rédaction choisit de donner la parole à des avocats, ces derniers ont des choses à nous dire !
Nous nous sommes donc rapprochés de quatre d’entre-eux : Axelle Keles, Benjamin Brame, Benoit David et Etienne Nicolas, pour qu’ils nous expliquent leur profession et les particularités de cette matière complexe, transverse et en constante évolution.

Axelle Keles (Barreau de Paris).

Benjamin Brame (Barreau de Paris).

Benoit David (Barreau de Paris).

Etienne Nicolas (Barreau de Lyon).

Quelles sont les caractéristiques principales du droit des étrangers ?

Axelle Keles : Le droit des étrangers est une matière spécifique qui relève majoritairement du droit administratif. Il existe plusieurs branches du droit des étrangers dont l’immigration professionnelle, l’immigration familiale, le droit de la nationalité et le droit d’asile.
L’avocat en droit des étrangers intervient aussi bien en conseil qu’en contentieux.

Etienne Nicolas : En effet, la première qualification qui me vient à l’esprit concernant le droit des étrangers est la diversité.

Benjamin Brame : Ce droit est par fondement un prolongement logique des droits de l’Homme.
Un avocat en droit des étrangers est certes un conseil et un défendeur de ses clients, mais c’est aussi un protecteur du droit, en ce sens il a, selon moi, le devoir de faire bouger les lignes, le droit des étrangers étant empirique par nature, construit au jour le jour par la jurisprudence.

Benoit David : C’est un droit qui n’est pas qu’administratif : il faut aussi avoir recours à la procédure civile (dans le cadre de la rétention administrative) mais aussi pénale (dans le cadre des étrangers qui sont condamnés qui font l’objet d’interdiction temporaire ou définitive du territoire français).
C’est donc un droit très technique, en perpétuelle évolution où le politique a une grande place [1].

Qu’est-ce que cela implique de travailler dans ce domaine du Droit pour un avocat ?

Axelle Keles : Le droit des étrangers nécessite d’avoir une certaine empathie et de comprendre toutes les problématiques rencontrées par l’étranger telles que la limitation du droit de travailler, d’aller et venir, l’éloignement familial ou encore le déracinement culturel.
L’avocat en droit des étrangers est aussi le traducteur/ interprète de son client, la connaissance d’une ou plusieurs langues étrangères est un pré-requis.

Etienne Nicolas : Cela implique d’être particulièrement polyvalent dans sa pratique, et en même temps (et paradoxalement) d’essayer de se spécialiser dans l’un des domaines du droit des étrangers.
Il faut par ailleurs ne pas craindre de se retrouver face à des situations humaines compliquées.

Benoit David : Cela implique d’être très aux faits des modifications législatives (de fond ou de procédure). Il faut avoir une veille législative permanente.

Benjamin Brame : Si après une consultation, le conseil est le plus avisé possible, il est alors difficile de travailler autrement qu’au forfait ; car entre le pouvoir discrétionnaire de l’Administration et les changements incessants de législation, la déontologie impose, selon moi, de suivre un dossier du début à la fin et non de travailler à l’heure ou à la mission.

Quelles sont les problématiques auxquelles se heurte le droit des étrangers ?

Axelle Keles : Dans les médias, la qualité d’étranger est souvent rattachée à tort à la question de la criminalité ou au statut de sans-papiers. Or, dans la très grande majorité des cas, les étrangers qui résident en France respectent toutes les lois de la République.

Benjamin Brame : La principale problématique est le pouvoir discrétionnaire de l’Administration, à savoir un pouvoir d’appréciation qui n’a d’équivalent dans aucun autre domaine du droit.
Et ces dernières années, un problème d’importance est aussi le pouvoir des médias sur l’opinion publique et par ricochet sur les politiques publiques, qui malheureusement aujourd’hui réagissent et se mettent en place trop souvent après des effets de « Buzz » !

Benoit David : La problématique principale est l’attitude du politique qui utilise l’étranger comme bouc-émissaire lorsqu’il ne peut trouver des solutions aux vrais problèmes de la société. Cela a pour conséquence d’être un droit mouvant.

Etienne Nicolas : A mon sens, le fait d’être confronté à l’Administration, et à la puissance publique, peut être parfois décourageant. On peut avoir parfois le sentiment de se sentir impuissant.

Etre Avocat en droit des étrangers, est-ce un choix militant ?

Benjamin Brame : Si de dire qu’un être humain a le droit de choisir où il désire vivre, s’établir ou rejoindre sa famille, s’épanouir professionnellement ou culturellement (etc.) est un choix militant ? Alors oui ! Avocat en droit des étrangers, est un choix militant !

Axelle Keles : Non, pas forcément. Par exemple, l’activité d’un avocat en droit d’asile est très différente de celle d’un avocat en immigration professionnelle. Mais dans tous les cas, il est essentiel d’avoir une certaine sensibilité à la condition des étrangers.

Benoit David : si vous faites de l’asile, oui c’est un choix militant. Si vous faites du droit des étrangers pour des migrants économiques aisés provenant de pays développés, c’est un choix de domaine de pratique comme les autres domaines du droit.

Etienne Nicolas : Pas forcément, mais, le fait de pratiquer cette matière peut faire naître une vocation de militant du fait des situations rencontrées.

Que diriez-vous à un étudiant en Droit, futur avocat pour qu’il choisisse le domaine du droit des étrangers ?

Axelle Keles : Le droit des étrangers est une matière au cœur de l’actualité et qui constitue un contentieux important en France. Elle peut être un choix pertinent pour l’avenir.

Etienne Nicolas : C’est un domaine extrêmement riche et varié. ll faut vraiment avoir conscience que la dimension humaine est particulièrement prégnante, et que la prise de recul peut parfois s’avérer difficile.

Benjamin Brame : Je lui dirai avant tout qu’il faut être un amoureux des droits de l’humain ; qu’il doit s’intéresser à la géopolitique et à la sociologie. De faire des stages en cabinet d’avocats, ainsi que d’intégrer des associations ; un bon moyen de tester sa motivation.

Benoit David : Je lui dirai que c’est un droit extrêmement intéressant, très humain, avec des problématiques géopolitiques et de droit international. Je lui conseillerai aussi de se rendre à la Cour nationale du droit d’asile pour assister à des audiences. Autre conseil, intégrer en tant que bénévole les permanences juridiques d’une association de défense des étrangers. C’est très formateur.

Pour finir, permettez-nous cette question, est-ce un domaine "bankable" [2] ?

Benoit David : Tout dépend du type d’immigrants dont on accepte de traiter le dossier. S’il s’agit d’intervenir uniquement sur les migrations économiques de pays occidentaux, les clients sont souvent aisés et il arrive souvent que ce soit l’employeur qui prenne en charge la régularisation.
S’il s’agit d’intervenir sur des demandeurs d’asile, nous avons affaire le plus souvent à des personnes très pauvres.

Axelle Keles : Les honoraires de l’avocat en droit des étrangers, comme pour les autres matières, sont fixés selon la situation économique du client, la difficulté de l’affaire et l’expérience de l’avocat.

Benjamin Brame : Ce n’est pas un domaine « bankable », bien que certains confrères puissent brasser beaucoup de dossiers.

Etienne Nicolas : Je ne pense pas que l’on peut qualifier le droit des étrangers de domaine « bankable ».

Propos recueillis par Marie Depay pour la Rédaction du Village de la Justice.

[1Le droit des étrangers fait en effet l’objet de modifications quasi-systématiques à chaque changement de gouvernement ou de faits divers.

[2Bankable (anglicisme provenant du verbe to bank) est un terme du jargon cinématographique qui signifie, selon les occurrences, « qui rapporte de l’argent » (source wikipédia).