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Les nouvelles modalités de recours contre les refus de visas et d’autorisations de voyage. Par Vincent Ricouleau, Professeur de Droit.
Parution : mardi 17 janvier 2023
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Les décrets n°2022-962 et n°2022-963 du 29 juin 2022 modifient les modalités de contestation des refus d’autorisations de voyage et des refus de visas d’entrée et de séjour en France.
Cet article tente de faire le point, sur leurs dispositions et notamment sur le Système européen d’autorisation et d’information concernant les voyages (ETIAS).

Le traitement des contestations des refus des visas de long séjour, de court séjour, des autorisations de voyage, est un travail partagé, avec des enjeux très importants.

L’article 1 du décret 2022-963 du 29 juin 2022, « relatif aux modalités de contestation des refus d’autorisations de voyage et des refus de visas d’entrée et de séjour en France », dit qu’une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l’intérieur, est chargée d’examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour, prises par les autorités diplomatiques ou consulaires [1].

Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France, du ministère de l’intérieur, est chargé d’examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visas de court séjour, prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Il est chargé aussi, d’examiner les recours contre les décisions de refus d’autorisations de voyage, prises par l’unité nationale ETIAS [2].

La saisine de l’une ou l’autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire, à l’exercice d’un recours contentieux, à peine d’irrecevabilité de ce dernier.

Un délai de trente jours :
Les recours administratifs doivent être formés dans un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de refus de visa, dit l’article D312-4.

Comment sont nommés le président de la commission et ses membres ?
Le président est choisi parmi les personnes ayant exercé des fonctions de chef de poste diplomatique ou consulaire. La commission comprend un membre en activité ou honoraire de la juridiction administrative, un représentant du ministre des affaires étrangères, un représentant du ministre chargé de l’immigration, un représentant du ministre de l’intérieur.

Les membres de la commission sont nommés, par décret du Premier ministre, pour une durée de trois ans.

Les modalités de fonctionnement de la commission sont définies, par arrêté conjoint, du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l’immigration.

Comment fonctionnent les recours contre les refus d’autorisations de voyage ?
L’article D.312-7 dit que au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l’intérieur, le sous-directeur des visas est chargé d’examiner les recours contre les décisions de refus d’autorisations de voyage prises par l’unité nationale ETIAS.

Un délai de trente jours :
Les recours, devant le sous-directeur des visas, doivent être formés dans un délai de trente jours, à compter de la notification de la décision de refus d’autorisations de voyage.

Que peut faire le sous-directeur des visas ?
L’article D312-5-2 dit que le sous-directeur des visas peut rejeter le recours. Il peut aussi donner instruction à l’autorité diplomatique ou consulaire, saisie de la demande initiale, de délivrer le visa de court séjour sollicité. Il peut bien sûr, déléguer sa signature aux agents placés sous son autorité et contrôle.

Qui transmet les pièces au sous-directeur des visas ?
L’article D.312-5-3 indique que les autorités diplomatiques ou consulaires, les services du ministère des affaires étrangères et les services du ministre de l’intérieur, fournissent à la commission et au sous-directeur des visas, les informations utiles à l’examen des recours dont ils sont saisis.

L’article R312-8 dit que les recours administratifs doivent être motivés et rédigés en langue française. Ils sont seuls de nature à conserver le délai de recours contentieux, jusqu’à l’intervention des décisions prévues aux articles D312-5-1, D312-5-2 et D312-7-2.

L’article D312-8-1 dit qu’en l’absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D312-3 et D312-7, est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée.

L’administration en informe le demandeur dans l’accusé de réception de son recours.

Qui a un intérêt direct et certain à contester la décision de refus ?
Le sous-directeur des visas ou la commission, selon le cas, ne peut être régulièrement saisi, que par la personne qui fait l’objet de la décision de refus contestée ou par un mandataire, dûment habilité, ou une personne établissant avoir un intérêt direct et certain à la contester.

La saisine du tribunal administratif :
L’article R312-6 dit, que la personne dont le recours a été rejeté par le sous-directeur des visas, la commission mentionnée à l’article D312-3 ou, lorsque celle-ci a émis une recommandation en application de l’article D312-5-1, par le ministre des affaires étrangères ou le ministre de l’intérieur, peut demander au tribunal administratif, l’annulation de cette décision dans les délais prévus par les articles R421-1 et R421-2 du code de justice administrative.

Les dispositions du 1° de l’article R421-3 et de l’article R421-7 du même code, ne sont pas applicables. Le délai supplémentaire de distance, pour les personnes qui demeurent à l’étranger, n’est donc pas prévu.

Depuis le décret n°2010-164 du 22 février 2010, en application de l’article R312-8 du code de justice administrative, le tribunal administratif de Nantes est territorialement compétent pour tous les litiges relatifs aux demandes de visas.

L’article 3 du décret n°2022-962 du 29 juin 2022 a modifié l’article R312-8 qui est ainsi rédigé :

"Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises en matière d’autorisations de voyage et de visas d’entrée sur le territoire de la République française relevant des autorités consulaires ressortissent à la compétence du tribunal administratif de Nantes".

Une compétence du TA en premier et dernier ressort pour les refus de visas de court séjour et les refus d’autorisations de voyage.
L’article R811-1 du code de justice administrative dit que :

"toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu’elle n’aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle, rendue dans cette instance".

Toutefois, le tribunal administratif statue, en premier et dernier ressort, (article R811-1-10°) sur les litiges relatifs aux visas de court séjour en France et (article R811-1-11°) sur les litiges relatifs aux autorisations de voyage prévues par le règlement (UE) 2018/1240 du Parlement européen et du Conseil du 12 septembre 2018.

A noter les procédures possibles sur le fondement des articles L521-1 et L521-2 du CJA même si elles répondent à des exigences très strictes et qu’elles ne sont pas légion.

La suspension du refus de visa (article L521-1 du CJA).
Le juge peut suspendre un refus de visa qui prend la forme d’une décision négative, si le requérant démontre un préjudice difficilement réparable et présente un moyen qui paraît, en l’état de l’instruction, de nature à justifier que le juge saisi du principal, non seulement, annule cette décision, mais adresse aussi à l’autorité administrative, une injonction de faire. Le juge peut donc décider la suspension, avant même que la commission ait statué sur le recours préalable. Le requérant doit justifier des démarches auprès de la commission, à peine d’irrecevabilité. Il doit présenter des conclusions spécifiques. Le tribunal administratif de Nantes est compétent.

Le recours au juge du référé-liberté.
La procédure de référé-liberté, impose de satisfaire à l’ensemble des conditions posées par l’article L521-2 du CJA, notamment celle tenant à l’existence d’une situation d’urgence particulière. Le Tribunal administratif de Nantes est également compétent.

Pour récapituler en langage plus accessible après ces précisions techniques, la commission des recours contre les décisions de refus de visas d’entrée en France, reste compétente pour les visas de long séjour. Le sous-directeur des visas devient compétent pour les visas de court séjour et les autorisations de voyage ETIAS. Une réduction à 30 jours (au lieu de deux mois) des délais de saisine de l’autorité compétente [3] est adoptée. La suppression du délai de distance, pour la saisine de la juridiction administrative, est à noter. Ainsi que la neutralisation, s’agissant des décisions prises par la commission des recours de la règle selon laquelle, les délais de recours, dirigés contre les décisions prises par une instance collégiale, ne courent qu’à compter de la notification expresse [4].

Quelles sont les entrées en vigueur ?
L’article 3 du décret 2022-963 dit que les dispositions relatives aux autorisations de voyage, sont applicables à compter de la date de la mise en service du système européen d’information et d’autorisation, concernant les voyages (ETIAS), prévue à l’article 88 du règlement (UE) 2018 / 1240 du Parlement européen et du Conseil du 12 septembre 2018. Les dispositions relatives aux visas d’entrée en France, s’appliquent aux demandes de visas, ayant donné lieu à une décision diplomatique, ou consulaire, prise à compter du 1 janvier 2023.

Quelques précisions sur le système ETIAS :

Le règlement (CE) n°810/2009 du parlement européen et du conseil du 13 juillet 2009, a établi un code communautaire des visas.

L’article L312-7 du CESEDA dit qu’une autorisation de voyage est exigée des étrangers exemptés de visa dans les conditions prévues par le Règlement (UE) 2018/1240 du Parlement européen et du Conseil du 12 septembre 2018, portant création d’un système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS).

Les décrets participent à l’intégration en droit français d’un mécanisme de contestation des refus d’autorisations de voyage, mis en place par le Système européen d’information et d’autorisation, concernant les voyages (ETIAS) pour les ressortissants d’Etats dispensés de l’obligation de visa. Ce nouveau mécanisme entrera en vigueur dès que l’ETIAS sera mis en fonction. Mai 2023, annonce-t-on.

Actuellement, les citoyens de 61 pays non membres de l’UE, sont exemptés de visa pour entrer dans l’espace Schengen. Ils peuvent se rendre dans les pays de l’espace Schengen pour 90 jours, sans pouvoir travailler ou étudier.

ETIAS signifie en anglais « European Travel Information and Authorisation System ». Il s’inspire du système électronique d’autorisations de voyage des Etats-Unis, qu’on appelle ESTA.

ETIAS est un système informatique automatisé, créé pour identifier tout risque en matière de sécurité ou d’immigration illégale, présenté par les visiteurs, exemptés de visa, voyageant vers l’espace Schengen, tout en veillant au respect des droits fondamentaux et de la protection des données.

Il sera développé par l’« Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de libertés, de sécurité et de justice ».
Cette agence, au nom démesuré, avec un effectif de 137 personnes, est dirigée par le Bulgare Krum Garkov, ex député et passé notamment par Hewlett-Packard.

Le siège est à Tallinn (Estonie) avec un site opérationnel à Strasbourg. Le site, dit de secours, est à Sankt Johann Im Pongau, en Autriche.

Pour comprendre les objectifs et les fonctionnements de cette agence, on peut lire le Single Programming Document (2023-2025), adopté par le Eu-LISA Board le 20 décembre 2022, qui fait 134 pages. (en anglais).

Reste à savoir comment l’unité nationale ETIAS fonctionnera.

Que penser des nouvelles modalités de recours contre les refus de visas et d’autorisations de voyage ?

Le caractère inquisitoire de la procédure est renforcé par le fait que la commission n’est pas tenue d’appliquer les articles L121-1 et suivants du code des relations entre le public et l’Administration, subordonnant l’intervention d’une décision négative, à une procédure contradictoire. La commission a un large pouvoir d’appréciation. Il permet d’opposer à la demande de visa un autre motif de rejet, que celui retenu par les autorités diplomatiques, sans avoir à informer, au préalable, l’intéressé. Dans cette hypothèse, l’intéressé ne bénéficie pas du droit de présenter des observations supplémentaires. La commission se place à la date où elle statue. Elle peut prendre en compte des éléments postérieurs aux refus de visa. La décision notifiée n’est pas tenue de mentionner les membres qui ont siégé, à l’occasion de l’examen du recours.

On s’interroge sur l’opportunité de supprimer le délai de distance, les requérants étant par définition à l’étranger. Le fait de devoir utiliser la langue française pour la rédaction des recours, complique évidemment les choses. Le système mis en place implique une motivation précise des refus. Ce n’est pas toujours ce qui se passe, là aussi, en pratique, dans nos services externalisés ou non, de délivrance des visas, sous la coupole de nos consulats et ambassades. La notion d’intérêt direct et certain à agir est aussi trop restrictive. Jusqu’à présent, il n’a pas été reconnu à une personne résidant en France qui souhaite se marier avec une ressortissante étrangère, un employeur qui voulait recruter un travailleur étranger, ou encore à une mère souhaitant contester le refus de visa opposé à son enfant.

Comment la sous-direction des visas, forte de 106 personnes, étudiera les dossiers ?

C’est une des trois sous-directions de la direction de l’immigration, au sein du ministère de l’intérieur, avec la sous-direction du séjour et du travail et la sous-direction de la lutte contre l’immigration irrégulière.

On peut vérifier quelles sont les prérogatives du personnage clé qu’est le sous-directeur des visas. Il est intéressant, alors, de se reporter à l’avis de vacance d’un emploi de sous-directeur des visas [5] publiée au JO n°0143 du 22 juin 2022 car il détaille parfaitement le profil du poste.

C’est un poste rattaché hiérarchiquement au directeur de l’immigration, à la direction générale des étrangers en France du ministère de l’intérieur et relevant de l’autorité du directeur général des étrangers en France qui est Eric Jalon depuis le 23 août 2022.

Le poste n’est pas ouvert qu’aux fonctionnaires. Il est ouvert aux personnes du secteur privé, sous condition de suivre un module spécifique, relatif aux obligations des agents en matière de déontologie à l’organisation et au fonctionnement des services publics, ainsi qu’à la gestion des ressources humaines dans la fonction publique.

Mais l’improbabilité est très grande de nommer un candidat en dehors des conseillers des affaires étrangères ou des préfets.

Alexandre Diebolt, conseiller des affaires étrangères, a été nommé par les arrêtés du 6 février 2020 et du 27 janvier 2021 au poste de sous-directeur des visas, pour une durée de deux ans, à compter du 6 février 2021. Il a été nommé aussi, par arrêté du 18 juin 2022, conseiller diplomatique de Gérard Darmanin, ministre de l’intérieur. Tandis que Matthieu Ringot est conseiller à l’immigration du même ministre.

Le contexte politique français est sensible, même très. L’immigration économique et professionnelle, dépendante d’une excellente attribution de visas, pourrait être un engagement incontournable, comme elle l’est au Québec. Mais la France, noyée dans ses contradictions, est loin de se préparer juridiquement et culturellement, malgré les incantations.

L’opacité et l’opportunité des attributions de visas, véritable arme politique par excellence, pourraient, malheureusement, largement subsister, nonobstant ces deux décrets tentant de réformer certains droits et d’en atténuer d’autres, continuant alors, de nourrir beaucoup d’injustice et d’incompréhension. 

Vincent Ricouleau Professeur de droit (Vietnam et Laos) CAPA Legal Counsel

[1Article D312-3 du CESEDA.

[2Article D312-7 du CESEDA.

[3Recours administratif préalable obligatoire ou RAPO.

[4Article R421-3-1°.

[5Administration centrale : direction générale des étrangers en France/ direction de l’immigration.

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