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[Tribune] La prévention et la répression du harcèlement scolaire : du fantasme à la réalité. Par Sandrine Pégand, Avocat.
Parution : vendredi 13 janvier 2023
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La prévention et la répression du harcèlement scolaire : où en sommes-nous ? Mise en lumière des défaillances du système avec le suicide de Lucas, âgé de 13 ans, sur fond de harcèlement scolaire et d’homophobie survenu en janvier 2023.

Depuis 2010, on nous indique que la lutte contre le harcèlement scolaire est déclarée grande cause nationale et que des politiques publiques sont mises en œuvre.

Le harcèlement scolaire se définit ainsi : un élève, mais aussi un enseignant (ce qui est plus rare), a de manière répétée des propos ou des comportements agressifs à son égard, ayant pour effet de porter atteinte à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale et dégradation de ses conditions d’apprentissage.

Madame Macron déclarait encore mercredi 11 janvier 2023 dans les colonnes du journal Le Parisien que c’est « son combat ».

Il y a eu une succession de lois sur le harcèlement : 2014, 2018, 2020.

Mais depuis la loi du 2 mars 2022 , le délit spécifique de harcèlement scolaire a été créé.

Le harcèlement scolaire est puni désormais, de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’il a causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’a entraîné aucune incapacité de travail.

Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

La récente loi a adopté un arsenal répressif sévère qui s’attache à éradiquer ce fléau.

Avant cette loi, la lutte contre le harcèlement scolaire faisait déjà l’objet d’une disposition dans le Code de l’éducation et pour le Code pénal, on se rattachait plus ou moins aux dispositions concernant le harcèlement moral.

La peine encourue était d’1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Aujourd’hui, à titre de peine complémentaire, un stage de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire peut être ordonné ainsi que la confiscation des éléments ayant servis aux harceleurs (téléphone, ordinateur…).

Pour autant, les chiffres montrent que ces mesures sont insuffisantes :
Il y a encore 1 élève sur 10 en France qui est victime de harcèlement scolaire.

Or, un enfant a droit à une scolarité sans harcèlement !!!

L’affaire du suicide du petit Lucas, 13 ans, relance les défaillances du système.

Il se serait suicidé parce qu’il faisait l’objet depuis de nombreux mois de moqueries et d’insultes en raison de son orientation sexuelle dans son quartier mais surtout dans son collège, où il passait la majeure partie de son temps. A 13 ans, Lucas assumait pleinement son homosexualité.

Inévitablement, la question se pose sur une éventuelle responsabilité de la communauté éducative.

Il est de notoriété publique que le suicide, les tentatives de suicide et les pensées suicidaires sont beaucoup plus fréquents dans la population LGBT et en particulier chez les jeunes.

Lucas aurait dû faire l’objet d’une surveillance nettement plus accrue de la part du personnel enseignant.

Le problème vient de deux facteurs :

Tout d’abord de la lutte contre le harcèlement repose sur l’engagement du corps enseignant, en tout premier plan.

On aura beau mettre en place des campagnes de sensibilisations, mettre en ligne un clip national de lutte contre le harcèlement scolaire, mettre en place des protocoles, établir des kits d’information, faire adhérer les écoles et les collèges depuis 2022 au programme Phare (charte signée pour 2 ans avec le Ministère de l’éducation nationale pour une formation, entre autres, de 5 membres du personnel), mettre en place des lignes téléphoniques d’écoute 3020 ou 3018 (pour le cyberharcèlement) à l’heure où les numéros verts sont fustigés par Emmanuel Macron…

… Mais, si les gens ne veulent pas voir, alors tout cela ne servira à rien. Si le personnel éducatif ou para-éducatif ne s’intéresse pas à la problématique du harcèlement scolaire, alors rien ne changera.

Ensuite, il y a une difficulté liée à la formation du corps enseignant pour que le personnel soit capable d’identifier et de détecter les victimes de harcèlement scolaire, les prendre en charge et gérer les harceleurs.

Dans l’affaire du suicide de Lucas, une enquête est ouverte au Parquet d’Epinal. Elle devrait permettre de rechercher s’il y a une vraie responsabilité des acteurs de la vie scolaire et donc une responsabilité pénale de la communauté éducative ou para éducative.

Le délit de non-assistance à personne en danger avec une analyse de la négligence ou de l’imprudence sera inévitablement traité
et s’assurer qu’elle est bien la cause réelle du préjudice.

Ici, avec Lucas, il sera question de s’intéresser à la réponse du corps enseignant. Était-elle inadaptée ? Y a-t-il eu absence de vigilance ?

L’établissement de Lucas affirme avoir réagi.
Lors de la deuxième réunion parents-professeurs en fin d’année 2022, les choses étaient prétendument rentrées dans l’ordre.

L’enquête va rechercher s’il y a une faute caractérisée pour une condamnation pénale.
Preuve que l’établissement n’a pas été vigilant, qu’il n’a pas pris les mesures d’accompagnement nécessaires ni mis en place des mesures de protection.

Mais en général, ce sera la personne morale qui prend le risque d’être reconnue coupable et alors il conviendra de s’engager aussi vers un terrain indemnitaire. Cette procédure ne ramènera pas l’enfant mais elle aura pour objet d’indemniser les préjudices de la famille du défunt.

La maman de Lucas a appelé la CPE, le principal de l’établissement. La direction académique aurait également été informée de ces faits.

Pourquoi n’ont-ils pas averti sans délai le Procureur de la République, tel que le prévoit l’article 40 du Code de procédure pénale ?

Alors que l’école est censée être un lieu privilégié d’observation, de repérage, d’évaluation des difficultés scolaires, personnelles, sociales, familiales et de santé des élèves, trop souvent le milieu scolaire est défaillant.

Sandrine Pégand Avocat associée Barreau de Paris https://maitrepegand.com