Village de la Justice www.village-justice.com

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation élargit le champ des saisies de l’Autorité des Marchés Financiers au-delà de « l’occupant des lieux ».
Parution : lundi 16 janvier 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/assemblee-pleniere-cour-cassation-elargit-champ-des-saisies-autorite-des,44826.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans le cadre d’opérations de visite et de saisie, les agents de l’AMF peuvent saisir l’ordinateur portable et le téléphone de membres du conseil d’administration présents dans les locaux ce jour-là, bien qu’ils ne soient que de passage et que ces supports n’appartiennent pas à l’entreprise visitée.

Cet article est issu de la documentation Droit des affaires des Editions Législatives.

Pour tester gratuitement la documentation Droit des affaires pendant 2 semaines, cliquez ici.

Par deux arrêts de rejet du 16 décembre 2022, l’Assemblée plénière a estimé que, dans le cadre d’opérations de visite et de saisie régulièrement autorisées par le juge des libertés et de la détention sur le fondement de l’article L. 621-12du code monétaire et financier, l’Autorité des Marchés Financiers pouvait valablement saisir l’ordinateur portable et le téléphone de membres du conseil d’administration présents dans les locaux ce jour-là, bien qu’ils ne soient que de passage et que les supports informatiques en question n’appartiennent pas à l’entreprise visitée. Cette solution, qui émane de l’Assemblée plénière, devrait avoir vocation à s’étendre également aux opérations de visite et saisie en d’autres matières (fiscale, concurrence notamment), régies par des dispositions similaires (Cass. Ass. Plen., 16 déc. 2022, n° 21-23.685 et n°21-23.719).

Faits et procédure

Sur requête de l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF »), le juge des libertés et de la détention a autorisé des opérations de visite et saisie sur le fondement de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier dans les locaux de la société Marie Brizard Wine & Spirits (« MBWS »), société de tête d’un groupe de spiritueux, cotée à la Bourse de Paris. Ces opérations de visite ont été effectuées le 25 avril 2017.

À cette occasion, les agents de l’AMF ont saisi l’ordinateur portable et le téléphone de deux membres du conseil d’administration de MBWS, représentant l’un de ses actionnaires.

Ces administrateurs ont immédiatement formé un appel contre l’ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention, et un recours contre le déroulement des opérations, devant le premier Président de la Cour d’appel de Paris, comme cela est prévu par l’article L. 621-12 du code monétaire et financier.

Après plusieurs rebondissements procéduraux, l’Assemblée plénière, saisie sur pourvoi à l’encontre d’une ordonnance du premier Président de la Cour d’appel de Paris du 20 octobre 2021, elle-même rendue sur renvoi après cassation, a finalement été amenée à se prononcer plus particulièrement sur la question de la validité du déroulement des opérations, en lien avec la saisie des appareils électroniques de tiers à l’entreprise.

Les agents de l’AMF sont-ils limités dans le champ de leurs opérations par la notion d’« occupant des lieux » ?

Devant l’Assemblée plénière, les administrateurs faisaient grief à l’ordonnance du premier Président de la Cour d’appel de Paris d’octobre 2021 d’avoir déclaré les opérations de visite du 25 avril 2017 régulières et validé la saisie de leurs ordinateurs et téléphones portables, alors qu’ils sont pourtant tiers à MBWS et n’en sont nullement salariés, qu’ils n’étaient que de passage dans les locaux et que ces appareils n’appartenaient donc pas et n’étaient pas davantage mis à la disposition de « l’occupant des lieux » auquel il est fait référence dans l’article L. 621-12 du code monétaire et financier.

L’Assemblé plénière a cependant été amenée à confirmer la position du premier Président de la Cour d’appel de Paris et à rejeter les pourvois, estimant que les dispositions du code des marchés financiers autorisent la saisie des « documents et supports d’information qui sont en lien avec l’objet de l’enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l’occupant des lieux ».

Répondant aux arguments des requérants, l’Assemblée plénière a indiqué que ce texte, ainsi interprété poursuivait un but légitime (la protection des investisseurs et des marchés financiers) et était nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ce but, et qu’il n’entraînait pas une ingérence excessive au respect de la vie privée, dont le droit est garanti, même pour les entreprises, par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Sur ce dernier point, l’Assemblée plénière a pris le soin de rappeler les garanties offertes aux entreprises dans le cadre de ces opérations, ainsi que les limites des saisies autorisées, pour s’assurer de cet équilibre entre nécessité et ingérence.

Les entreprises disposent en effet d’un certain nombre de garanties à savoir (i) la soumission des opérations de visite et saisie à l’autorisation préalable d’un juge, qui vérifie leur bien-fondé, (ii) le contrôle exercé par ce juge sur le déroulement des opérations, en présence d’un officier de police judiciaire et de l’occupant des lieux, (iii) l’information de l’occupant des lieux et des personnes visées dans l’ordonnance de leur droit à faire appel à un avocat et (iv) le recours judiciaire ouvert à toute personne ayant fait l’objet de saisies (et non uniquement à l’occupant des lieux) contre les opérations devant le Premier président de la Cour d’appel. L’Assemblée plénière a enfin rappelé la limite de telles opérations, à savoir que seuls les éléments « nécessaires à la recherche des infractions » peuvent être saisis, ceux n’étant « pas utiles à la manifestation de la vérité » devant être restitués.

Une solution qui a vocation à s’étendre à d’autres domaines

La solution retenue par l’Assemblée plénière a vocation à s’imposer aux différentes chambres de la Cour de cassation et devrait donc logiquement s’étendre aux opérations de visite et saisie en matière fiscale (soumises au contrôle de la chambre commerciale), comme en matière de concurrence (soumises au contrôle de la chambre criminelle), puisqu’elles sont régies par des dispositions très similaires à celles du code monétaire et financier en cause (voir l’article L. 16B du Livre des Procédures Fiscales et l’article L. 450-4 du code de commerce).

Les différentes autorités (administration fiscale, Autorité de la concurrence) devraient donc pouvoir saisir des documents ou supports entre les mains de personnes tierces à l’occupant des lieux, pourvu que les garanties et limites rappelées ci-dessus trouvent application.

Co-écrit par :

Marie Louvet, Avocate Of Counsel, Herbert Smith Freehills
Martin Le Touzé, Avocat associé du cabinet Herbert Smith Freehills Paris LLP

Cet article est issu de la documentation Droit des affaires des Editions Législatives.

Pour tester gratuitement la documentation Droit des affaires pendant 2 semaines, cliquez ici.