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Quand le contrat de mandataire commercial est requalifié en contrat de travail. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 16 janvier 2023
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Le contrat d’agent commercial ou de mandataire commercial peut être requalifié en contrat de travail, si la relation professionnelle s’exerce dans un lien de subordination du mandataire vis-à-vis du donneur d’ordre. Un arrêt récent en fournit une nouvelle illustration (Cass. soc. 14-12-2022, n° 22-12264).

1/ Cas de requalification.

Selon l’article L8221-6 du Code du travail, « sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription » les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés ou, encore, au registre des agents commerciaux.

En effet, l’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux [1].

L’article L8221-6 du Code du travail ajoute toutefois que l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque les mandataires fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

Selon la jurisprudence, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné [2].

La Cour de cassation précise qu’il appartient à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence [3].

Dans le cadre d’un litige en requalification, l’office du juge du fond est donc d’apprécier souverainement l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, en fonction des faits.

A titre d’exemple, est requalifié en contrat de travail le contrat d’agents commerciaux travaillant exclusivement pour le compte d’une société immobilière assurant le risque des négociations, au siège de laquelle ils devaient se rendre pour un compte-rendu quotidien d’activité [4].

En effet, ces agents devaient respecter les horaires fixés par le donneur d’ordre et suivre les directives d’un responsable, la société fixant par ailleurs leur rémunération en pourcentage de sa propre commission

Dans l’arrêt du 14 décembre 2022, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’arrêt de la Cour d’appel ayant requalifié un contrat de mandataire commercial en contrat de travail.

En effet, la Cour d’appel avait retenu l’existence d’un contrat de travail, au moyen des éléments suivants :
- L’agent commercial était intégré dans une équipe ;
- Il était soumis à des contraintes en matière de temps de travail et de formation ;
- Il devait faire parvenir son compte-rendu hebdomadaire chaque vendredi midi au plus tard ;
- Il utilisait les locaux de la société, une adresse mail au nom de la société, ainsi que des moyens de communication, des process backoffice et des outils informatiques, dont un logiciel de relations clients obligatoire, propres à la société ;
- Il était soumis à une limitation forte d’initiatives dans le déroulement de son activité par des validations systématiques et il dépendait du gérant de la société.

Ce sont donc les conditions effectives de la relation existant entre les parties qui sont analysées et retenues en cas de litige.

2/ Conséquences de la requalification.

En cas de requalification, toutes les sommes versées à l’agent commercial présentent le caractère d’un salaire.

Par conséquent, le donneur d’ordre requalifié en employeur peut être condamné à acquitter les cotisations sociales afférentes aux sommes versées à l’agent commercial.

Par ailleurs, ce dernier peut réclamer une rémunération au moins égale au minima prévus par la convention collective applicable au donneur d’ordre.

Sur le plan de la durée du travail, l’agent commercial est censé être soumis au régime des 35 heures hebdomadaires et peut solliciter le paiement d’heures supplémentaires s’il établit avoir travaillé au-delà de cette limite.

Enfin, si la relation entre les parties prend fin, la rupture est nécessairement qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas d’inobservation (par hypothèse) des règles relatives au licenciement.

D’ailleurs, les actions en requalification surviennent généralement lors de la rupture du contrat.

Dans ce cas, l’agent commercial peut solliciter le versement des indemnités suivantes :
- L’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement en fonction de son ancienneté ;
- Une indemnité compensatrice de préavis ;
- Une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
- Une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse [5].

L’agent commercial peut également réclamer une indemnité destinée à compenser l’absence de congés payés durant sa période d’emploi.

En effet, s’il avait été salarié, il aurait bénéficié de 30 jours ouvrables de congés payés par an [6].

Enfin, le salarié auquel un employeur a eu recours sans être déclaré a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire à moins que l’application d’autres règles légales ou de stipulations conventionnelles ne conduise à une solution plus favorable [7].

Sur le plan pénal, en ayant recours à un agent commercial dans des conditions caractérisant une relation de travail, le donneur d’ordre s’expose aux sanctions applicables au travail dissimulé [8].

Il y a dissimulation d’emploi salarié s’il est établi que le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement à l’accomplissement des formalités liées à la déclaration préalable à l’embauche et à la délivrance des bulletins de paie.

Selon la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, l’intention coupable de l’auteur présumé du délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié est caractérisée lorsqu’il est constaté que celui-ci a violé en connaissance de cause les obligations légales.

Ainsi, le seul fait pour un employeur d’avoir recours à une personne dans un cadre salarial sans respecter les formalités liées à l’emploi suffit à caractériser l’élément intentionnel du délit, l’employeur ne pouvant ignorer qu’il est soumis à ces obligations [9].

L’infraction de travail dissimulé est passible de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, ainsi que de peines administratives (inéligibilité aux aides à l’emploi et à la formation professionnelle, exclusion de l’accès aux marchés publics) et civiles (interdiction des droits civiques, civils et de famille).

Xavier Berjot Avocat Associé Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1C. com. art. L134-1.

[2Cass. soc. 15-1-1997 n° 94-40.738.

[3Cass. soc. 25-3-2009 n° 07-45.323.

[4Cass. soc. 24-1-2002 n° 00-10.489.

[5« Barème Macron », C. trav. art. L1235-3.

[6C. trav. art. L3141-3.

[7C. trav. art. L8223-1.

[8C. trav. art. L8221-6, § II.

[9Cass. crim. 27-9-2005 n° 04-85.558.