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Indemnités de grand déplacement : la présomption d’utilisation conforme est subordonnée à la preuve de l’engagement de dépenses supplémentaires. Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève Avocate.
Parution : lundi 13 février 2023
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Dans un arrêt du 13 octobre 2022 (n° 21-14.031), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle que « pour bénéficier d’une déduction sur les indemnités forfaitaires de grand déplacement versées à ses salariés, l’employeur doit justifier que ces indemnités sont destinées à compenser des dépenses supplémentaires de repas et de logement, la présomption d’utilisation conforme dans les limites fixées réglementairement ne pouvant jouer qu’une fois cette preuve apportée ».

1) Faits et procédure.

Une société allouait à des salariés des indemnités de grand déplacement, sur la base d’un forfait dont le montant est inférieur aux limites fixées par l’administration.

A la suite d’un contrôle portant sur les années 2013 et 2014, l’URSSAF de Lorraine a notifié plusieurs chefs de redressement à la société et a réintégré ces indemnités de grand déplacement dans l’assiette des cotisations et contributions de sécurité sociale.

La société a saisi d’un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Le Tribunal de grande instance de Metz (TGI Metz, 15 mars 2019, RG n° 16/01371) a annulé ce redressement.

La Cour d’appel de Metz, par arrêt du 25 janvier 2021 (CA Metz, 25 janvier 2021, RG n° 19/01531), a infirmé le jugement de première instance et a confirmé le redressement opéré par l’URSSAF pour les indemnités de grand déplacement, aux motifs que :

« Même si les deux conditions cumulatives de distance et de temps sont réunies et que la société a opté pour le versement d’allocations forfaitaires, il lui appartient de justifier de l’engagement effectif par ses salariés de frais supplémentaires liés à la mission pour bénéficier du jeu de la présomption ».

La société a alors formé un pourvoi en cassation.

2) Moyens.

La société, contestant la décision de la Cour d’appel, fait valoir que :

- L’employeur qui rembourse à ses salariés les frais de grand déplacement au moyen d’allocations forfaitaires est autorisé à les déduire lorsqu’elles ont été utilisées conformément à leur objet, ce qui est présumé dès lors que, d’une part, la distance séparant le lieu de résidence du salarié de son lieu de déplacement est au moins égale à 50 kilomètres (trajet aller) et que les transports en commun ne permettent pas de parcourir cette distance dans un temps inférieur à 1 h 30 (trajet aller) ;

- Lorsque le montant de l’allocation forfaitaire est inférieur à celui qui est fixé par décret, l’allocation est réputée utilisée conformément à son objet, ce qui exclut d’apporter la preuve contraire et dispense l’employeur de justifier l’engagement par le salarié de frais supplémentaires.

Selon la société, la Cour d’appel a ainsi violé les articles 1, 2 et 5 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale et l’article L242-1 du code de la sécurité sociale.

3) Solution.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi de la société aux motifs que : « En application de l’article 5, 1°, de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, pour bénéficier d’une déduction sur les indemnités forfaitaires de grand déplacement versées à ses salariés, l’employeur doit justifier que ces indemnités sont destinées à compenser des dépenses supplémentaires de repas et de logement, la présomption d’utilisation conforme dans les limites fixées réglementairement ne pouvant jouer qu’une fois cette preuve apportée ».

Ainsi, en l’espèce :

« Après avoir retenu que, même si les deux conditions cumulatives de distance et de temps étaient réunies, il appartenait à la société de justifier de l’engagement effectif par ses salariés de frais supplémentaires liés à leur mission pour bénéficier du jeu de la présomption, l’arrêt retient que les attestations de ces derniers, qui témoignent que les indemnités de grand déplacement versées par leur employeur leur servaient à régler leurs dépenses supplémentaires, n’étaient pas étayées par la production de factures d’hôtel ou de factures de repas, de telle sorte qu’il n’était pas justifié de l’engagement effectif par les salariés de frais supplémentaires liés à leurs déplacements.

De ces constatations, dont il ressort que les indemnités versées aux salariés ne constituaient pas des indemnités de grand déplacement en métropole au sens de l’article 5 de l’arrêté du 20 décembre 2002, la cour d’appel a exactement déduit que leur montant devait être réintégré dans l’assiette des cotisations et contributions sociales ».

4) Analyse.

Pour rappel, selon l’article 1er de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, « les frais professionnels s’entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l’emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l’accomplissement de ses missions ».

Les indemnités de frais professionnels peuvent être évaluées de deux manières :
- Sur la base des dépenses réellement engagées, sur présentation de justificatifs ;
- Sur la base d’une allocation forfaitaire, dans la limite d’un montant fixé par l’arrêté du 20 décembre 2002, ou avec justification du montant du forfait pour les sommes excédant cette limite.

Ces indemnités sont en principe exclues de l’assiette des cotisations sociales en ce qu’elles ne constituent pas un revenu d’activité (articles L136-1-1 et L242-1 du Code de la sécurité sociale).

Toutefois, ces sommes peuvent réintégrer l’assiette des cotisations dans plusieurs cas :
- Si l’indemnité est versée sur la base des frais réellement engagés, les sommes peuvent être considérées comme un complément de rémunération, et donc réintégrées à l’assiette, si l’employeur n’établit pas la réalité de l’existence de frais professionnels en lien direct avec l’allocation ;
- Si l’indemnité est versée sur la base d’une allocation forfaitaire, lorsque son montant dépasse les maximums prévus par les articles 3 à 9 de l’arrêté susvisé ou lorsque les circonstances de fait justifiant la présomption d’utilisation conforme ne sont pas réunies.

Concernant les indemnités de grand déplacement, l’article 5, 1°, de l’arrêté du 20 décembre 2002 dispose que :

« Lorsque le travailleur salarié ou assimilé est en déplacement professionnel et empêché de regagner chaque jour sa résidence habituelle, les indemnités de missions destinées à compenser les dépenses supplémentaires de repas sont réputées utilisées conformément à leur objet pour la fraction qui n’excède pas le montant prévu au 1° de l’article 3 du présent arrêté.

S’agissant des indemnités de mission destinées à compenser les dépenses supplémentaires de logement et du petit déjeuner, elles sont réputées utilisées conformément à leur objet pour la fraction qui n’excède pas par jour 69,50 euros pour le travailleur salarié ou assimilé en déplacement à Paris et dans les départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et par jour 51,60 euros pour les travailleurs salariés ou assimilés en déplacement dans les autres départements de la France métropolitaine.

Le travailleur salarié ou assimilé est présumé empêché de regagner sa résidence lorsque la distance séparant le lieu de résidence du lieu de déplacement est au moins égale à 50 kilomètres (trajet aller ou retour) et que les transports en commun ne permettent pas de parcourir cette distance dans un temps inférieur à 1 h 30 (trajet aller ou retour). Toutefois, lorsque le travailleur salarié ou assimilé est empêché de regagner son domicile en fin de journée pour des circonstances de fait, il est considéré comme étant dans la situation de grand déplacement ».

La solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est cohérente avec le bulletin officiel de la sécurité sociale (BOSS) qui prévoit que : « les allocations forfaitaires dont le montant est inférieur ou égal au montant fixé par l’arrêté sont exclues de plein droit et en totalité de l’assiette des cotisations, à condition toutefois que les circonstances de fait correspondent à celles prévues par la réglementation » [1].

En effet, la Cour de cassation demande la justification que des dépenses supplémentaires de repas et de logement ont été effectuées, ce qui correspond aux circonstances de fait visées par le BOSS.

De plus, cette solution n’est pas nouvelle car la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger dans le même sens à plusieurs reprises. On peut citer notamment les arrêts de la deuxième chambre civile du 12 février 2015 (Cass. Civ 2e., 12 février 2015, n° 14-10.635) et du 19 septembre 2019 (Cass. Civ 2e., 19 septembre 2019, n° 18-20.047), dont les termes sont entièrement repris par l’arrêt commenté.

Par conséquent, bien que l’allocation d’une somme forfaitaire valant indemnité de grand déplacement dispense en principe des justificatifs nécessaires pour l’indemnisation au réel, certains justificatifs doivent tout de même être récupérés.

En effet, si l’entreprise décide de recourir à une allocation forfaitaire, il n’est pas nécessaire de recueillir de manière exhaustive le justificatif de toutes les dépenses effectuées, mais l’entreprise doit tout de même être en mesure de prouver que des dépenses supplémentaires de repas et de logement ont été effectuées.

L’indemnisation par une somme forfaitaire reste donc moins contraignante qu’une indemnisation au réel, mais n’exonère pas de la charge de toute preuve.

Sources.

- C. cass. 13 oct. 2022
- Boss.gouv.fr [2]
- Quentin Frisoni et Maxime Loizel, Indemnités de grand déplacement : haro sur le forfaitaire ?, Semaine sociale Lamy 19 décembre 2022, n° 2026-2027.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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