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Questions-Réponses sur la faute lourde du salarié. Par Arthur Tourtet, Avocat.
Parution : vendredi 20 janvier 2023
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La faute lourde est une notion source de nombreuses erreurs de la part des employeurs.
Tout le monde pense que la faute lourde est simple à comprendre, alors que c’est très loin d’être le cas.
Et dans certaines situations, invoquer une faute lourde à tort peut, sans mauvais jeu de mots, être lourde de conséquences.

1/ Quelle est la définition de la faute lourde en droit du travail ?

La faute lourde est un manquement du salarié à ses obligations contractuelles, dont la gravité est telle, qu’elle relève d’une intention de nuire à l’entreprise [1].

Cette faute étant encore plus préjudiciable que la faute grave, elle suppose évidemment que le maintien immédiat du salarié dans l’entreprise soit impossible.

Le seul fait qu’un acte cause un préjudice ou soit préjudiciable, ne signifie nullement que le salarié a eu une intention de générer du tort envers l’entreprise.

La faute lourde ne sanctionne pas les salariés malhonnêtes ou dangereux. Elle sanctionne les salariés malveillants.

On ne va pas se mentir, invoquer la faute lourde est très difficile, en particulier lorsque le salarié a commis des vols, des détournements, etc. Ce dernier pourra toujours invoquer que son intention première était de s’enrichir.

Un arrêt de la Cour de cassation a pu estimer, dans une décision non publiée, que l’intention de nuire est caractérisée lorsque le salarié ne pouvait ignorer le grave trouble qu’allait causer son comportement [2].

Mais cette décision précitée, n’est pas très suivie par la jurisprudence, ce qui peut se comprendre.

Ne pas ignorer les conséquences de ses actes, ne veut pas dire que ces mêmes conséquences sont spécialement désirées.

Dans le cas contraire, quasiment tous les comportements fautifs en droit du travail, seraient qualifiables de faute lourde, ce qui serait excessif.

Il faut un contexte très spécifique, afin d’en déduire que le salarié a volontairement cherché à causer du tort à son employeur.

Voici des exemples de faits, qui à eux seuls, ne sont pas constitutifs d’une faute lourde :
- Des erreurs de caisse importantes et frauduleuses [3] ;
- Des détournements d’argent importants [4] ;
- Consulter des sites pornographiques, même si cela a causé une infection par un virus informatique [5] ;
- Voler et revendre des marchandises de l’entreprise [6] ;
- Un non-respect de la réglementation, pouvant déclencher des poursuites pénales et fiscales [7] ;
- De graves erreurs de gestion d’un chef d’établissement, une mauvaise tenue de la comptabilité et des remboursements de frais abusifs [8] ;
- Fournir de faux documents lors de l’embauche [9] ;
- Harceler sexuellement et moralement des salariés [10] ;
- Exercer une activité concurrente [11] ;
- Signer des chèques en blanc, certains ayant fini par être détournés [12] ;
- Proférer des menaces et des injures racistes, en état d’ébriété [13] ;
- Agresser le gérant de l’entreprise [14].

2/ Concrètement, qu’est-ce qui peut être constitutif d’une faute lourde ?

En théorie, on se doute bien que la faute lourde est constituée lorsque le salarié a déclaré ouvertement ses intentions de nuire à l’entreprise.

Mais en pratique, ce cas de figure est aussi fréquent qu’une éclipse solaire…

En dehors d’un aveu, pour caractériser la faute lourde, les actes fautifs doivent être si graves ou si nombreux, qu’une volonté de saboter l’entreprise ou de s’acharner sur elle, doit transparaître.

Par exemple, a pu être qualifié de faute lourde le fait de :

- Dénigrer son employeur [15] ;
- Déclarer faussement à un client, que l’entreprise vend des marchandises volées, et inciter ledit client à dénoncer ces faits aux autorités [16] ;
- Déposer plainte contre son employeuse pour violences avec armes, suite à une rupture sentimentale avec cette dernière, sachant que le salarié s’était automutilé, avait produit de faux témoignages et avait lui-même été violent [17] ;
- Dissimuler une activité concurrente et identique à celle de l’employeur, voler des biens appartenant à ce dernier et détourner sa clientèle, tout en prétendant que cette même clientèle aurait été captée par une entreprise tierce [18] ;
- Transmettre des informations internes à une entreprise concurrente, afin que cette dernière remporte un appel d’offre à la place de l’employeur [19] ;
- La multiplication d’actes de concurrence déloyale, alors que le contrat de travail était encore en cours, tout en dénigrant l’employeur [20] ;
- Organiser une conférence de presse et proférer des accusations infondées de harcèlement et de discrimination, en dénaturant des faits ou en les sortant volontairement de leur contexte [21] ;
- S’opposer à toutes les phases d’un projet important pour le développement de l’entreprise, notamment en refusant d’effectuer un audit obligatoire [22].

Dans le cadre d’une grève, il convient de faire particulièrement attention. Le droit de grève est protégé par la Constitution et l’article L2511-1 du Code du travail.

Le fait de participer à une grève licite ne saurait certainement pas être constitutif d’une faute lourde.

L’employeur doit démontrer une participation personnelle du salarié gréviste à des actes qualifiables de faute lourde [23].

Est une faute lourde, dans le contexte d’une grève licite, le fait de :
- Bloquer l’accès au lieu de travail, entravant ainsi la liberté de travail des salariés non-grévistes [24] ;
- Occuper illégalement un lieu de travail, au mépris d’une décision de justice ordonnant l’expulsion des occupants [25] ;
- Commettre des actes de séquestration [26] ;
- Participer à un piquet de grève, piquet donc la configuration entravait la liberté de travail [27].

3/ Qui doit démontrer la faute lourde et quelle est la procédure applicable lorsque l’employeur entend licencier le salarié ?

La charge de la preuve de la faute lourde repose intégralement sur l’employeur [28].

En cas de licenciement, la procédure applicable doit être identique à celle de la faute grave [29]. La procédure doit donc être engagée rapidement par l’employeur, dès qu’il a connaissance des faits fautifs.

Toutefois, en cas de contentieux, le juge a tout à fait la possibilité de requalifier la faute du salarié (mais sans pouvoir l’aggraver).

Par exemple, un comportement initialement qualifié de faute lourde, peut être requalifié en faute grave [30] ou en faute simple [31].

L’absence de faute lourde ne signifie donc nullement que le licenciement du salarié sera automatiquement sans cause réelle et sérieuse.

Attention, lorsqu’un salarié est protégé par le droit de grève, l’absence de faute lourde sera sanctionnée par la nullité du licenciement. Les dommages et intérêts alloués pour un tel licenciement, ne pourront être inférieurs à 6 mois de salaire [32].

Pour un salarié protégé, la faute lourde ne le prive nullement de son statut protecteur. L’employeur ne pourra le licencier qu’après autorisation de l’Inspection du travail [33].

La lettre de licenciement fixe les limites du litige. Elle devra être suffisamment motivée et il serait particulièrement téméraire pour un employeur, de ne pas mentionner expressément, que le licenciement est prononcé pour faute lourde, ainsi que l’intention de nuire de la part du salarié [34].

Dans le cadre d’un licenciement pour faute lourde, le salarié ne peut prétendre à aucune indemnité de licenciement ou compensatrice de préavis.

Le mécanisme du maintien à titre gratuit de la prévoyance de l’entreprise, en cas de rupture du contrat de travail, prévu à l’article L911-8 du Code de la sécurité sociale, ne s’applique pas en cas de faute lourde.

En revanche, depuis 2016, l’indemnité compensatrice de congés payés est due [35].

4/ Quel est l’intérêt pour l’employeur d’invoquer l’existence d’une faute lourde ?

L’intérêt d’une faute lourde, est que c’est le seul moyen pour l’employeur, d’obtenir devant les juridictions prud’homales, des dommages et intérêts au titre d’un préjudice causé par un salarié fautif [36].

L’employeur ne peut contourner ce principe, en faisant signer une reconnaissance de dettes au salarié [37].

Si le salarié a commis une infraction ayant causé un dommage direct et personnel à l’employeur, ce dernier peut être indemnisé par une juridiction pénale, en qualité de partie civile, sans démonstration d’une faute lourde [38].

Toutefois, l’inconvénient de cette voie d’indemnisation, est que le juge pénal n’est pas aussi coutumier des relations de travail que les conseillers prud’homaux, ces derniers ayant plus d’expérience afin d’apprécier le préjudice subi par une entreprise.

Au surplus, il n’est pas exclu qu’un futur revirement de jurisprudence, impose au juge pénal la démonstration d’une intention de nuire du salarié, afin d’attribuer des dommages et intérêts à l’employeur.

Attention, lorsque le salarié a détourné ou conservé des sommes d’argent qui ne lui sont pas dues, l’absence de faute lourde n’empêche nullement l’employeur d’en réclamer la restitution devant les juridictions prud’homales, car ces restitutions ne sont pas des dommages et intérêts [39].

On vient de l’évoquer implicitement, mais autant le rappeler de manière plus explicite : dans le cadre d’une grève licite, seule une faute lourde peut justifier le licenciement d’un salarié gréviste [40].

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d'Oise

[1Cass. soc., 29 nov. 1990, n° 88-40618.

[2Cass. soc., 2 juin 2017, n° 15-28115.

[3CA Douai, 17 déc. 2010, n° 10/00740.

[4Cass. soc., 22 oct. 2015, n° 14-11.291.

[5CA Versailles, 23 nov. 2010, n° 10/01581.

[6CA Paris, 19 juin 2013, n° 11/09270.

[7CA Poitiers, 6 sept. 2017, n° 16/01300.

[8CA Agen, 30 juin 2009, n° 08/01119.

[9CA Paris, 9 sept. 2008, n° 06/07454.

[10CA Paris, 14 mai 2020, n° 18/01206 et CA Douai, 26 oct. 2012, n° 12/00309.

[11Cass. soc., 19 févr. 2014, n° 12-21.690 et CA Aix-en-Provence, 18 sept. 2007, n° 06/06541.

[12CA Grenoble, 29 sept. 2010, n° 09/02409.

[13CA Versailles, 16 nov. 2011, n° 10/02753.

[14Cass. soc., 9 nov. 2009, n° 08-40.112.

[15CA Angers, ch. soc., 8 sept. 2015, n° 13/02086.

[16CA Agen, 7 oct. 2014, n° 13/01420.

[17CA Rouen, ch. soc., 31 janv. 2012, n° 11/02782.

[18Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-19.061.

[19CA Reims,28 mars 2012, n° 11/00556 et CA Colmar, 16 juin 2009, n° 08/00228.

[20CA Nîmes, 19 sept. 2017, n° 16/01429 et Cass. soc., 18 déc. 2013, n° 12-15.009.

[21Cass. soc., 5 juill. 2018, n° 17-17.485.

[22Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-16.663.

[23Cass. soc., 18-1-17, n°15-22428.

[24Cass. soc., 15 mai 2001, n° 00-42200 et CE, 27 mai 2021, n° 433078.

[25Cass. soc., 3 mai 2016, n° 14-28353.

[26Cass. soc., 2 juillet 2014, n°13-12.562.

[27Cass.soc., 18 janv. 2017, n° 15-19.309.

[28Cass. soc., 5 mai 1960, bull. civ. v, n° 112 et CA Paris, 7 nov. 2007, n° 99/01399.

[29CA d’Amiens, 16 déc. 2014, n° 13/02923.

[30CA Grenoble, 13 juin 2017, n° 15/03451.

[31CA Rennes, 10 déc. 2009, n° 08/05337.

[32C. trav., art. L1235-3-1.

[33Cass. soc., 6 juill. 2011, n° 10-13805.

[34CA Montpellier, 21 nov. 2007, n° 07/01153.

[35Cons. const., QPC, 2 mars 2016, n° 2015-523.

[36Cass soc., 31 mai 1990, n° 88-41.419 et CA Montpellier, 6 mai 2015, n° 13/01987.

[37Cass. soc., 2 juin 2017, 15-28.496.

[38Cass crim.14 nov. 2017, n° 16-85.161.

[39Cass. soc., 19 nov. 2002, n° 00-46.108.

[40C. trav. art., L2511-1.