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Contrat d’assurance : proportionnalité de la déchéance de garantie ? Par Charles Merlen, Avocat.
Parution : vendredi 20 janvier 2023
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Dans un arrêt rendu le 15 décembre 2022 (Cass. Civ. 2eme 15 déc.2022, 20-22.836), la Cour de cassation s’est penchée sur la question de la proportionnalité de la déchéance de garantie au regard du mensonge de l’assuré.
La Haute juridiction a rappelé que les clauses de déchéance de garantie doivent être librement stipulées, rédigées en caractère très apparents, et sanctionner la mauvaise foi de l’assuré mais qu’elles ne sauraient constituer une sanction disproportionnée.

I. Déchéance de garantie du contrat d’assurance pour déclaration frauduleuse : la question de la proportionnalité de la sanction.

La déchéance de garantie : définition et enjeux.

La déchéance de garantie est une sanction appliquée par un assureur à un assuré qui n’a pas rempli ses obligations. Les conditions d’application de la déchéance de garantie sont définies par des clauses contenues dans le contrat d’assurance. Elles peuvent notamment sanctionner un assuré qui se livrerait à une fausse déclaration de sinistre.

Concernant les conditions d’application des clauses de déchéance de garantie la jurisprudence impose à l’assureur de prouver qu’elles ait été portées à la connaissance de l’assuré [1]. L’assureur doit également prouver la mauvaise foi de l’assurée, c’est-à-dire la connaissance du caractère mensonger de sa déclaration [2].

Au niveau de la loi, le Code des Assurances prévoit simplement, en son article L122-4, que les clauses de déchéances de garantie doivent être mentionnées en caractères très apparents dans la police d’assurance. Dans la pratique, les clauses de déchéance de garantie sont soit rédigées dans un cadre, en gras ou dans une police de caractère différente des autres mentions du contrat.

Les contrats d’assurances prévoient tous la possibilité pour une assurance de refuser de garantie un sinistre en cas de déclaration mensongère.
La plupart des contrats d’assurance reprennent la formulation suivante, qui sanctionne les fausses déclarations portant sur « la nature, les causes, les circonstances et les conséquences d’un sinistre ou l’utilisation de faux documents ».

Cette formulation permet aux assureurs de sanctionner l’intégralité des mensonges pouvant émaner d’assurés à l’occasion d’une déclaration de sinistre.

Avec une telle rédaction, la déchéance de garantie ne s’applique pas uniquement lorsque le mensonge repose sur l’existence même du sinistre. Une exagération frauduleuse des dommages subis peut aussi entrainer une déchéance de garantie. Une personne qui ne ferait qu’exagérer des dommages qu’elle a réellement subis pourrait se voir privé de son droit à indemnisation (exemple assez courant d’une personne qui déclarent faussement des biens volés après un cambriolage qui a réellement eu lieu).

La Cour de cassation valide, régulièrement, l’application de la déchéance de garantie alors même que le mensonge ne porte que sur les conséquences d’un sinistre. La Cour de cassation a ainsi pu sanctionner une personne ayant transmis une fausse facture afin d’établir l’existence et la valeur du matériel équipant son véhicule [3]. Dans une autre affaire, une personne qui avait réclamé à son assureur une indemnité calculée sur un prix plus élevé que celui auquel il avait acquis le véhicule, s’était vu opposer une déchéance de garantie [4].

Dans ces deux exemples jurisprudentiels la réalité des préjudices n’était pas remise en question, le mensonge de l’assuré portait uniquement sur leurs conséquences. Pourtant la sanction (absence de garantie par l’assurance) a frappé l’intégralité de l’indemnisation.

La déchéance de garantie peut donc paraitre comme une sanction quelque peu disproportionnée.

C’est cette question, de la proportion de la déchéance de garantie, qui a été débattue dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 décembre 2022. [5].

II. La déchéance de garantie : la sanction doit-elle être proportionnelle à l’ampleur de la fausse déclaration ?

Dans cette affaire une personne avait exagéré les conséquences d’un incendie ayant endommagé son appartement.

Son assurance, qui s’était aperçu de la supercherie, s’était prévalu de la déchéance de garantie pour fausse déclaration intentionnelle des conséquences d’un sinistre.

Alors même que le sinistre était bien réel et qu’une partie de ses préjudices l’était également, l’assuré avait perdu son droit à indemnisation pour l’intégralité de ses préjudices.

L’assuré contestait la sanction appliquée par l’assureur. Il se prévalait notamment du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales garantissant la protection du droit de propriété. Il arguait également du fait que cette sanction n’était pas proportionnelle à la faute qu’il avait commise.

Il est en effet concevable qu’une sanction portant sur l’ensemble d’un préjudice, alors que le mensonge n’a eu que pour conséquence de l’exagérer de façon congrue, soit perçue comme extrêmement sévère et à tout le moins disproportionnée. La Cour de cassation ne l’a cependant pas entendu de cette oreille.

La Cour de cassation après avoir rappelé les conditions de validité des clauses de déchéance de garantie (librement stipulés, rédigées en caractère très apparents et venant sanctionner la mauvaise foi de l’assuré) a estimé qu’elles ne sauraient constituer une sanction disproportionnée.

La Cour de cassation, en excluant la possibilité même d’une disproportion, ferme la porte à toute possibilité de contrôle par les juridictions du fond.

Cette jurisprudence peut parait extrêmement rigide. Cependant elle garantit un caractère extrêmement dissuasif à la déchéance de garantie. Un assuré, prenant le risque de perdre entièrement son droit à indemnisation, sera peu enclin à majorer les conséquences d’un sinistre.

Charles Merlen, Avocat Barreau de Lille www.charles-merlen-avocat.fr

[1Cass. 2e civ. 15-09-2022, 21-12.278.

[2Cass. Civ.2e, 05 juillet 2018, 17-20.488.

[3Cass.Civ.1e 28 nov. 2001, 00-15.144.

[4Cass. Civ. 1e 27 mars 1990, 87-17.749.

[5Cass. Civ. 2eme 15 déc.2022, 20-22.836.