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Licenciement pour inaptitude : gare à la motivation ! Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 23 janvier 2023
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La procédure du licenciement pour inaptitude (professionnelle ou non professionnelle) est particulièrement formaliste et, donc, source de litiges.
Un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. soc. 14-12-2022, n° 21-17.664) en fournit une nouvelle illustration.

1/ Rappels sur la motivation de la lettre de licenciement pour inaptitude.

En cas d’inaptitude physique du salarié - qu’elle soit d’origine professionnelle ou non professionnelle - la lettre de licenciement doit impérativement faire référence à l’inaptitude et l’impossibilité de reclassement.

Pour la Cour de cassation, l’indication de l’inaptitude physique du salarié, sans mention de l’impossibilité de reclassement, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse [1].

Exemple :« 4. Il résulte des articles L1226-2 et L1232-6 du Code du travail, en leur rédaction applicable en la cause, que ne constitue pas l’énoncé d’un motif précis de licenciement l’inaptitude physique du salarié, sans mention de l’impossibilité de reclassement.

5. La cour d’appel, qui a constaté que la lettre de licenciement visait l’inaptitude du salarié et le refus par celui-ci d’une proposition de poste, en a exactement déduit qu’en l’absence de mention de l’impossibilité de reclassement dans cette lettre, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse » [2].

Cette jurisprudence se justifie dans la mesure où l’inaptitude du salarié n’est légalement pas suffisante - en soi - à légitimer son licenciement.

Seule l’impossibilité de reclassement, à laquelle est assimilée la dispense expresse de reclassement par le médecin du travail, permet à l’employeur de rompre le contrat de travail du salarié inapte.

Le Code du travail prévoit, en effet, que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie :
- Soit de son impossibilité de proposer un emploi ;
- Soit du refus par le salarié de l’emploi proposé ;
- Soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi [3].

2/ Solution de l’arrêt du 14 décembre 2022.

Dans son arrêt du 14 décembre 2022, rendu en matière d’inaptitude non professionnelle, la Cour de cassation rappelle que ne constitue pas l’énoncé d’un motif précis de licenciement l’inaptitude physique du salarié, sans mention de l’impossibilité de reclassement.

Pour débouter une salariée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la Cour d’appel de Rennes avait retenu que si la lettre de licenciement n’utilisait pas la formule « inaptitude physique et l’impossibilité de reclassement », il n’en demeurait pas moins :
- Que la chronologie non contestée de la procédure était détaillée ;
- Que l’ensemble des postes proposés était énuméré ;
- Que le refus ferme de la salariée de tout reclassement dans l’entreprise était clairement précisé.

Ainsi, pour les magistrats, l’impossibilité de reclassement résultait sans ambiguïté de la lettre de licenciement, de même que l’inaptitude physique.

La cassation était prévisible puisqu’il est de jurisprudence constante que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse si la lettre de licenciement vise non pas l’inaptitude du salarié et l’impossibilité de le reclasser, mais seulement son refus de la proposition de reclassement [4].

Il résulte de l’arrêt du 14 décembre 2022 que l’impossibilité de reclassement ne peut pas se déduire des circonstances, même si celles-ci sont précisément rappelées dans la lettre de licenciement.

Un arrêt a pu juger qu’une lettre de licenciement mentionnant pour motif le refus du salarié d’une affectation conforme aux préconisations du médecin du travail et l’absence de tout poste disponible vise bien l’impossibilité de reclassement, et est par conséquent régulière [5].

Toutefois, il n’est pas certain que la Cour de cassation retiendrait à nouveau cette solution à l’avenir…

Xavier Berjot Avocat Associé Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1Cass. soc. 23-9-2014, n° 13-14.034 ; Cass. soc. 3-6-2020, n° 18-25.757.

[2Cass. soc. 3-6-2020, n° 18-25.757.

[3C. trav. art. L1226-2-1, al. 3 ; C. trav. art. L1226-12, al. 3 et C. trav. art. L1226-20, al. 2.

[4Cass. soc. 23-5-2017, n° 16-13.222.

[5Cass. soc. 1-3-2017, n° 15-24.710.