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[Série] "Tout savoir sur la SAS" : les actes accomplis pour la SAS en formation (partie 3). Par Ludovic Landivaux, Avocat.
Parution : mardi 24 janvier 2023
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Pour le troisième volet de notre série « Tout savoir sur la SAS », nous nous intéressons à la portée des actes juridiques accomplis par les fondateurs qui agissent au nom de la société en formation. Nous verrons aussi comment sécuriser juridiquement ces personnes et détaillerons les modalités de reprise de ces actes par la société, au moment de sa création.

Si vous n’avez qu’une minute, voici le résumé de l’article :
- Les textes applicables à la création des sociétés commerciales prévoient que les personnes qui prennent des engagements pour le compte d’une société en formation sont personnellement tenus de ces engagements ;
- Il existe toutefois des mécanismes juridiques qui permettent la reprise de ces engagements par la société dès sa création, c’est-à-dire son immatriculation au registre du commerce et des sociétés ;
- Cela étant, des risques demeurent, en particulier dans l’hypothèse où la société ne serait jamais créée ; dans ce cas les fondateurs, et en particulier ceux ayant pris des engagements, resteraient tenus des conséquences de ces engagements ;
- C’est pourquoi, on peut envisager de mettre en place entre tous les fondateurs un support contractuel (mandat) habilitant certains fondateurs à conclure des actes pour le compte de la société en formation, fixant le principe de reprise par la société de ces actes, et prévoyant le régime de responsabilité applicable entre les associés pour le cas où la société ne serait finalement jamais créée.

Le cadre légal.

S’agissant des actes accomplis pour le compte d’une société en formation, avant son immatriculation, l’article 1843 du Code civil pose le principe général de responsabilité des personnes qui agissent :

« Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas ».

Ainsi, les personnes agissant pour le compte d’une SAS sont par principe responsable des actes accomplis au cours de la période de formation de la société.

Si plusieurs personnes interviennent, la loi pose un principe de solidarité entre elles, c’est-à-dire que les créanciers des engagements pris par ces personnes au nom de la société en formation ont la possibilité de se retourner contre chacune de ces personnes pour l’intégralité des engagements souscrits (cf articles 1310 à 1319 du Code civil).

A titre d’exemple, si deux fondateurs signent au nom de la société un contrat pour l’achat d’une machine, le vendeur, s’il n’est pas payé, pourrait se retourner contre chacun de ces fondateurs pour réclamer la totalité du prix de la machine, à charge pour ces fondateurs de répartir ensuite entre eux le prix payé.

Ce principe général est repris et confirmé, s’agissant des sociétés commerciales, à l’article L210-6 du Code de commerce qui dispose :

« Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis ».

Il s’agit donc d’un régime de responsabilité particulièrement impactant, dans la mesure où il expose directement les personnes agissant pour le compte de la société en formation, notamment dans les hypothèses où ces engagements seraient exécutoires avant la création de la société ou, plus grave, si celle-ci n’était finalement jamais créée.

C’est en effet la création de la société, c’est-à-dire son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, qui permet de faire reprendre juridiquement par celle-ci les actes pris par ses fondateurs au cours de la période de formation.

Ainsi, l’article 1843 du Code civil prévoit que : « La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci ».

Et l’article L210-6 du Code de commerce précise que : « Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés ».

Ce texte ajoutant que les fondateurs ont la responsabilité des actes passés pour la société en formation :

« à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société ».

Autrement posé, pour que les actes pris par des fondateurs au nom de la société pendant sa période de formation soient repris et assumés par celle-ci, à compter de leur date de signature, il faut une double condition :
- Que la société soit régulièrement constituée et immatriculée au registre du commerce et des sociétés ;
- Que les associés fondateurs prévoient dans les statuts la reprise au nom et pour le compte de la société des engagements pris par certains d’entre eux au cours de la période de formation.

Pour sécuriser les fondateurs, il convient donc d’anticiper les modalités de reprise des actes pris pour la société au cours de sa période de création.

Modalités de reprise des actes accomplis pour le compte de la société en formation.

Compte tenu des règles rappelées ci-dessus, il est évidemment possible, sur le principe, de faire reprendre par la société les actes et engagements conclus par certains des fondateurs pour son compte, lors de sa période de formation.

On doit distinguer à cet égard deux périodes qui influent sur les modalités de reprise de ces actes par la société.

Les actes accomplis avant la signature des statuts.

S’agissant de la reprise par la société des actes conclus par certain des fondateurs, avant la signature des statuts, il convient que :
- ces actes aient été pris pour le compte et au nom d’une société en cours de constitution avec mention des renseignements permettant d’identifier celle-ci : dénomination sociale (même provisoire) et adresse du futur siège social par exemple.
En pratique, les actes devront expressément être accomplis « au nom et pour le compte de la société en formation » afin d’informer le cocontractant de la future substitution de débiteur.
La formule « agit pour le compte de la société X en formation » devra apparaitre expressément dans l’acte.
- et qu’ils soient mentionnés par la suite dans un état annexé aux statuts avec l’indication pour chacun d’eux, des obligations qui en résulteraient pour la société.

Ce sont ensuite la signature des statuts par les associés et l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés qui emporteront la reprise rétroactive par la société des engagements souscrits par certains de ses fondateurs.

Précisons à cet égard que l’état des actes accomplis pour le compte de la société en formation doit être tenu à la disposition des futurs actionnaires à l’adresse prévue du siège social trois jours au moins avant la date de signature des statuts (cf articles R210-6 et R225-14 du Code de commerce).

Les actes accomplis entre la signature des statuts et l’immatriculation de la société.

Si un acte a été conclu entre la signature des statuts et l’immatriculation de la société, il sera repris de plein droit par la société dès son immatriculation si la personne qui l’a conclu a agi envers les tiers en vertu d’un mandat spécial, donné par tous les associés fondateurs, soit dans les statuts, soit dans un acte à part (sur ce sujet voir également infra).

Pour une SAS, ce mandat, pour valoir reprise, doit être donné à l’un ou plusieurs des associés fondateurs, conformément à l’article R210-6 (alinéa 3) du Code de commerce qui dispose :

« les actionnaires peuvent, dans les statuts, ou par acte séparé, donner mandat à l’un ou plusieurs d’entre eux de prendre des engagements pour le compte de la société. Sous réserve qu’ils soient déterminés et que leurs modalités soient précisées par le mandat, l’immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emporte reprise de ces engagements par la société ».

Une fois la SAS immatriculée, les engagements souscrits sont alors réputés avoir été pris dès l’origine par la société (cf article L210-6).

Relevons qu’à défaut de précisions dans un mandat ou dans les statuts, les actes passés pas les fondateurs au cours de la période de constitution de la société ne sont pas repris automatiquement par la société lors de son immatriculation (Cour de cassation, chambre commerciale, 14 novembre 2006, n°05-16527).

Certes, ces actes pourraient alors malgré tout être repris par la société, mais ils devront pour cela être approuvés à la majorité des associés.

C’est un schéma à éviter compte tenu des aléas juridiques qu’il ferait peser sur les fondateurs.

Cela étant, les difficultés et risques pouvant survenir pour les fondateurs qui prennent des engagements au nom de la société en formation, résident tout particulièrement dans l’hypothèse de non-création de cette société.

Dans ce cas, seule la responsabilité des fondateurs serait en cause, puisque par définition, la personne morale (incréée) ne les reprendrait pas et donc ne les assumerait pas.

Il convient donc d’être particulièrement vigilant et de prévoir un mécanisme contractuel, entre tous les fondateurs, de nature à organiser la responsabilité de ceux qui, parmi eux, vont souscrire des engagements pour la société en formation.

Ce support contractuel aura pour objet - ab initio - de garantir les fondateurs appelés à prendre des engagements pour la société que ces engagements seront bien repris par la société dès sa création.

Ce contrat devrait aussi prévoir le régime de responsabilité entre les fondateurs, vis-à-vis de ces engagements, si la société n’était jamais créée.

Les moyens de sécuriser la responsabilité des fondateurs prenant des engagements au nom de la société en formation.

Afin de sécuriser les fondateurs qui seront appelés à prendre des engagements pour la SAS en cours de constitution, il convient d’envisager de confier à certains d’entre eux un mandat (conforme aux articles 1984 à 2010 du Code civil) et ce avant même la signature des statuts.

Un tel mandat devra être donné et signé par tous les fondateurs afin de donner à l’un ou plusieurs d’entre eux la mission et la capacité de prendre des engagements au nom et pour le compte de la société en formation.

On veillera notamment à la claire rédaction des clauses portant sur le contenu des actes à accomplir par les mandataires, les modalités de reprises de ses actes, les conséquences de ces actes entre les fondateurs si la société n’est jamais créée, la durée du mandat et son caractère rémunéré ou non.

Enfin, la période de constitution de la société (et donc la durée du mandat) devra rester d’une durée raisonnable à partir du moment où certains des fondateurs commenceront à prendre des engagements formalisés pour le compte de la société en formation.

En effet, si la société développait d’une manière durable et importante une activité dépassant l’accomplissement de simples actes nécessaires à sa constitution, elle pourrait alors encourir la qualification de société créée de fait (voir Cass. Com., 17 mai 1989, n°87-15644).

Le régime juridique de la société créée de fait est prévu aux articles 1871 à 1873 du Code civil.

Les principales conséquences, si la société créée de fait a un caractère commercial, sont l’application du régime des sociétés en nom collectif entre les associés - i.e une responsabilité indéfinie et solidaire -, de même qu’à l’égard des tiers, si les participants à la société créée de fait « agissent en qualité d’associés au vu et au su des tiers » (cf articles 1871-1 et 1872-1 du Code civil).

Ce risque rend d’autant plus indispensable la mise en place entre les fondateurs d’un contrat de mandat pour les actes à accomplir pour la société en formation, et d’organiser clairement entre eux les conséquences éventuelles de non-création de la société ou de reconnaissance d’une société créée de fait.

Ludovic Landivaux, avocat associé Avec la participation de Lauriane Sabathier et Benjamin Vidal, avocats Centaure Avocats