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Obligation de sécurité de l’employeur et harcèlement moral au travail. Par M.Kebir, Avocat.
Parution : mercredi 25 janvier 2023
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En matière de harcèlement moral au travail, s’impose à l’employeur une double obligation : prévenir tout agissement constitutif de cette infraction, conformément aux dispositions de l’article L1152-4 Code du travail ; prendre des sanctions disciplinaires [1].
Ceci indépendamment de son obligation de sécurité de résultat et de protection de la santé du salarié, en vertu des articles L4121-1 et L4121-2 dudit Code.

Renforçant sa jurisprudence, la Cour de cassation a récemment retenu que, à défaut, pour le salarié de démontrer l’existence d’un harcèlement moral, il peut engager la responsabilité de l’employeur au titre de l’obligation de prévention et de protection de la santé du salarié.
Cass. Soc, 07 décembre 2022 Pourvoi 21-18114.

S’agissant du harcèlement moral, l’obligation de sécurité s’entend comme mesures préventives et actions immédiates, prises par l’employeur, propres à le faire cesser [2].

En clair, la Haute assemblée juge que, d’une part, l’obligation de prévention qui résulte des articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L1152-1 du même Code.
D’autre part, l’obligation légale de sécurité, prescrivant à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés notamment en matière de harcèlement moral, s’en trouve remplie, si ’l’employeur justifie avoir pris toutes les mesures de prévention [3].

De même, s’y ajoute l’absence de toute inaction ou action tardive. En ce sens que :

« informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser » [4].

I. Obligation de prévention/ obligation de sécurité et de protection de la santé du salarié.

Le régime juridique de l’obligation de sécurité de résultat, incombant à l’employeur, est institué par les dispositions de l’article L4121-1 Code du travail :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » [5].

Sur ce fondement, les juges du fond retiennent la responsabilité de l’employeur, faute pour lui d’avoir pris les mesures de prévention adaptées.

Lesquelles mesures, au nombre de neuf, sont posées par l’article L4121-2 dudit Code, énumérant ainsi les principes généraux de prévention, à l’appui de l’obligation de sécurité.

En substance, en termes de mesures de nature à écarter la survenance du risque professionnel, l’employeur doit, notamment :
- « éviter les risques » ;
- les « combattre à la source » ;
- « évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ».

Par ailleurs, la lutte contre le harcèlement moral obéit à des dispositions spécifiques.
Ainsi, en vertu de l’article L1152-4 du Code du travail :

« L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Les personnes mentionnées à l’article L1152-2 sont informées par tout moyen du texte de l’article 222-33-2 du Code pénal
 » [6].

Sur ce point, si le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement [7], c’est à l’employeur de rapporter la preuve d’avoir mis en œuvre les actions préventives [8].

En cela :

Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire [9].

Dans l’arrêt commenté du 07 décembre 2022, une salariée, déléguée du personnel, invoque un harcèlement moral et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Elle saisit le Conseil de prud’hommes d’une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail, tendant à la nullité du licenciement pour inaptitude. En sus de diverses demandes, notamment de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts du fait de la méconnaissance de l’obligation de sécurité.

Placée en arrêt de travail, la salariée a été déclarée inapte et licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Ses demandes sont écartées en appel.
Elle forme alors un pourvoi en cassation, à l’appui duquel elle relève que, « manque à l’obligation de sécurité l’employeur qui n’a pas pris toutes les mesures utiles pour prévenir les atteintes à la santé des salariés, en particulier les agissements de harcèlement moral ».

De surcroît, s’y ajoute l’absence totale de prévention des risques au sein de l’entreprise, notamment :
- refus de produire le DUERP ;
- absence de la fiche d’établissement ;
- défaut de justifier de la consultation du CHSCT ;
- et l’absence de formation appropriée des cadres.

De telle sorte que :

« En écartant la violation de l’obligation de sécurité, motifs pris que la société n’avait pas été inerte face aux souffrances de l’exposante et n’avait pas tardé à la préserver du comportement fautif de sa supérieure hiérarchique, sans vérifier, ainsi qu’elle y était invitée, que l’employeur avait pris les mesures nécessaires de prévention, antérieurement aux agissements, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail dans leur version applicable aux faits ».

Confortant la position des juges du fond, la Chambre sociale rappelle, d’abord, que :

« L’obligation de prévention qui résulte des articles L4121-1 et L4121-2 Code du travail est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L1152-1 Code du travail travail et ne se confond pas avec elle ».

Partant, en l’espèce :

« Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral,
- l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 Code du travail,
- et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser
 ».

II. Renforcement du périmètre de l’obligation de prévention.

En conséquence, la Haute assemblée renforce les obligations établies, à la charge de l’employeur, en matière de prévention et sanction du harcèlement [10].
En ce sens que l’obligation de sécurité, obligation de moyens renforcée [11], et de protection de la santé du salarié se traduit par les mesures de prévention et s’étend au harcèlement (Cf article "Harcèlement au travail : de la prévention à la sanction, un cadre juridique renforcé.").

En somme, le défaut de prévention est, dès lors, regardé à l’aune des articles L4121-1 et suivants Code du travail, indépendamment des interdictions posées par l’article L1152-1 Code du travail (prohibition du harcèlement moral).

Dit autrement, l’employeur, dès lors qu’il est informé de l’existence de faits laissant présumer la survenance de faits de harcèlement moral, doit, à la fois, prendre des mesures immédiates tendant à le faire cesser, et prouver l’opportunité et l’adéquation des mesures prises, entre autres :
- Actions de formation [12] ;
- Mettre à jour le règlement intérieur [13] ;
- Affichage obligatoire relatif au harcèlement [14] ;
- Mener l’enquête harcèlement ;
- Désigner un référent harcèlement moral [15].

Notons que le CSE peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer des actions de prévention. Le refus de l’employeur y afférent doit être motivé [16].

Toujours est-il que l’absence de harcèlement ne fait pas obstacle à la condamnation de l’employeur pour manquement à l’obligation de sécurité [17].
L’auteur du harcèlement peut, tout à la fois, être collaborateur, chef hiérarchique, ou tiers à l’entreprise [18].

En définitive, au fil de la jurisprudence, le renforcement du périmètre de la protection de la santé au travail implique de privilégier le paradigme de la prévention primaire. Au travers les outils communicationnels, le dialogue, l’écoute active et synergies entres les acteurs identifiés.

Me.Kebir Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Cabinet Kebir Avocat E-mail: [->contact@kebir-avocat-paris.fr] Site internet: www.kebir-avocat-paris.fr LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1Article L1152-5 Code du même Code.

[2Cass. Soc, 07 décembre 2022 Pourvoi 21-18114.

[3Articles L4121-1 et L4121-2 Code du travail.

[4Cass. Soc, 07 décembre 2022 n° 21-18114

[5Article L. 4121-1 Code du travail

[6Article L. 1152-4 Code du travail

[7Article L1154-1 Code du travail

[8Cass. Soc., 29 juin 2022, n° 21-11.437, publié

[9Article L1152-5 Code du travail

[10Cass.Soc.1er juin 2016 n°14-19.702

[11Cass. soc. 25 novembre 2015, n° 14-24.444

[12Articles L4121-2 Code du travail.

[13Loi santé au travail du 2 août 2021 et Loi Waserman du 21 mars 2022.

[14Article L1153-5 Code du travail.

[15Article L1153-5-1 Code du travail.

[16Article L.2312-9 Code du travail.

[17Cass. Soc, 23 novembre 2022 n°21-18.591.

[18Cass. Soc. 30 janvier 2019, n°17-28.905.