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Lutte contre la covid-19 et majoration des heures supplémentaires à l’hôpital. Par David Taron, Avocat.
Parution : jeudi 26 janvier 2023
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Les sujets RH ont acquis une importance toute particulière à la faveur de la crise sanitaire créée par la covid-19. Sollicitation excessive des personnels, rémunérations insuffisantes constituent autant de motifs d’insatisfaction fréquemment mis en avant.

Le gouvernement n’y a pas été insensible et a mis en œuvre plusieurs dispositifs visant à améliorer la situation. Parmi eux, figurent l’indemnisation et la majoration des heures supplémentaires. Mais, face à l’imprécision des textes, des revendications relatives au champ d’application de la mesure ont émergé.

Le présent article vise à préciser quels sont les agents concernés.

La reconnaissance professionnelle due aux personnels hospitaliers à la faveur de l’épidémie de covid-19 a conduit le gouvernement à l’instauration de plusieurs dispositifs ayant pour objet d’augmenter les rémunérations.

Parmi les mesures ainsi mises en œuvre figure la majoration des heures supplémentaires.

Il ne s’agit pas ici d’un dispositif de (re)valorisation des carrières mais d’un mécanismes ponctuel visant à augmenter la rémunération des heures travaillées au-delà de la durée légale de travail.

Concrètement, et par dérogation au décret n°2002-598 du 25 avril 2002 relatif aux indemnités horaires pour travaux supplémentaires, le pouvoir réglementaire a posé comme principe la monétisation des heures supplémentaires en faveur de certains agents travaillant dans les établissements situés dans les zones de circulation active du virus.

Au fil des mois, plusieurs décrets sont venus pérenniser le dispositif tout en revalorisation régulièrement le montant de l’indemnisation [1].

Compte tenu du surcroît d’activité généré par l’épidémie de covid-19 et de la pénurie de personnels soignants, cette majoration a pu concerner - et concerne toujours - un grand nombre d’agents.

Les différents décrets pris par le gouvernement sur le sujet ont cependant pu créer le trouble. Car, à bien les lire, il s’avère difficile de savoir quels sont les personnels concernés par la majoration ainsi mise en place.

Faute de directives claires, des pratiques divergentes ont pu émerger de-ci de-là. Il semblerait en effet que certaines hôpitaux aient majoré l’ensemble des heures supplémentaires de tous leurs agents tandis qu’à l’autre bout du spectre d’autres auraient cantonné le dispositif aux seuls personnels soignants dont les heures supplémentaires présentaient un lien direct avec la gestion de l’épidémie de covid-19.

Cette situation a ainsi pu générer de l’incompréhension et aboutir à l’émergence de revendications que l’on pourrait qualifier de maximalistes. Ainsi, pour citer un exemple, l’UNSA Santé et Sociaux défend l’idée selon laquelle toutes les heures supplémentaires auraient dû être majorées. [2] Le Tribunal administratif de Rouen a d’ailleurs eu à connaître d’une demande tendant à « octroyer la majoration de l’indemnisation des heures supplémentaires » à tous les agents du Centre Hospitalier Universitaire de Rouen [3].

Le débat oppose donc les tenants d’une indemnisation de tous les personnels ayant réalisés des heures supplémentaires pendant les périodes couvertes par les décrets (i.e. du 1er février 2020 au 15 septembre 2022) à ceux pour qui seules sont indemnisables les heures supplémentaires réalisées par les personnels soignants en lien avec la gestion du virus.

En d’autres termes, il s’agit de savoir si les pouvoirs publics ont entendu mettre en place un dispositif de soutien généralisé en faveur de tous les personnels hospitaliers ou cibler certains d’entre eux, soumis à des sujétions particulières.

Nous nous aventurerons donc ici à prendre position, en mentionnant dès à présent que l’interprétation qui nous semble la plus juste juridiquement est celle consistant à considérer que la majoration ne concerne que les personnels soignants ayant réalisé des heures supplémentaires dans le strict cadre de la gestion de l’épidémie de covid-19.

Il sera ainsi observé que l’interprétation la plus favorable des textes doit être écartée (1) au bénéfice d’une interprétation qualifiable de rationaliste (2).

1. Critique de l’interprétation "maximaliste".

Il apparaît que, pour justifier une application généralisée de la majoration des heures supplémentaires, les partisans de l’interprétation maximaliste se fondent sur une lecture littérale de l’article 1er des différents décrets précités (la rédaction est en effet identique pour chacun d’entre eux).

Ledit article dispose à cet égard que :

« Le présent décret détermine les conditions et les modalités selon lesquelles les heures supplémentaires, réalisées dans le contexte de la lutte contre l’épidémie de covid-19 par les fonctionnaires et les agents contractuels de droit public des établissements mentionnés aux 1°, 2°, 3° et 5° de l’article 2 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée, situés dans des zones de circulation active du virus, sont indemnisées et font l’objet d’une majoration exceptionnelle ».

A la lecture de ce texte, la majoration des heures supplémentaires serait ainsi conditionnée à la satisfaction de deux critères seulement :
- un critère statutaire, à savoir l’appartenance à la fonction publique hospitalière,
- un critère temporel, à savoir le contexte de lutte contre l’épidémie de covid-19.

Dans le détail, seraient concernés les agents travaillant :
- au sein d’un hôpital public,
- dans un établissement médico-social accueillant des personnes âgées ou des personnes handicapées,
- dans un service d’aide sociale à l’enfance,
- dans des lieux d’accueil pour les familles en difficulté ou les demandeurs d’asile,
- au sein des hôpitaux des armées ou de l’Institution nationale des Invalides.

Tous ces agents seraient ainsi présumés avoir agi ou agir dans le cadre de la lutte contre l’épidémie.

En résumé, tout le personnel ayant travaillé pendant l’épidémie serait éligible à une majoration, sans qu’il soit nécessaire de distinguer les situations au regard du rôle joué dans la lutte effective contre l’épidémie.

Cette lecture des textes peut paraître séduisante et est favorisée par un laconisme certain du pouvoir réglementaire. Elle a d’ailleurs été faite leurs par plusieurs établissements publics de santé.

Mais, à l’examen, nous pensons qu’elle ne résiste pas à l’analyse.

Sur un plan financier déjà, on peut raisonnablement douter que le gouvernement ait souhaité ouvrir trop largement le dispositif, nonobstant le « quoi qu’il en coûte ».

Au regard des textes eux-mêmes, la référence faite au « contexte de la lutte contre l’épidémie de covid-19 » semble avant tout renvoyer à l’existence d’un lien entre l’accomplissement des heures supplémentaires et la lutte contre l’épidémie, donc les missions réellement exercées par les agents.

Gageons que si le pouvoir réglementaire avait voulu mettre en avant un critère temporel, il aurait suffi qu’il dispose que toutes les heures supplémentaires réalisées sur une période donnée ouvraient droit à une majoration. Or, tel n’a pas été le cas.

De plus, les décrets considérés ne se sont pas substitués et / ou n’ont pas suspendu l’application du décret du 25 avril 2002 qui demeure le cadre général de la prise en compte des heures supplémentaires. Il est légitime de penser que si le dispositif de majoration ici examiné avait eu une portée générale, le gouvernement aurait mis entre parenthèse le décret du 25 avril 2022 précité. Or, là encore, cela n’a pas été le cas.

2. L’interprétation rationaliste.

Si l’on s’en tient à la lettre des décrets relatifs à l’indemnisation et à la majoration des heures supplémentaires, il faut souligner avec force que la mise en œuvre du dispositif est liée au « contexte de la lutte contre l’épidémie de covid-19 ».

C’est bien la lutte contre l’épidémie, au niveau de chaque établissement, qui justifie le déclenchement du dispositif d’indemnisation spécifique.

Le terme de lutte renvoie, selon la définition qu’en donne le Larousse, à l’« ensemble des actions menées pour vaincre un mal ». De ce fait, on peut valablement considérer que l’indemnisation majorée des heures supplémentaires est liée à la participation des agents aux actions concrètes de lutte.

Dans le même sens, il convient d’ajouter que les auteurs des décrets relatifs à l’indemnisation et à la majoration des heures supplémentaires ont entendu déroger très partiellement au décret n°2002-598 du 25 avril 2002 relatif aux indemnités horaires pour travaux supplémentaires (voir également supra) [4].

Le décret du 25 avril 2002 demeure donc applicable dans la mesure où il n’y est pas expressément dérogé.

Or, l’article 4 de ce dernier texte dispose que

« sont considérées comme heures supplémentaires les heures effectuées à la demande du chef d’établissement, dès qu’il y a dépassement des bornes horaires définies par le cycle de travail ».

Le pouvoir règlementaire a ainsi entendu laisser aux chefs d’établissements le soin d’apprécier les conditions de réalisation des heures supplémentaires, et donc d’établir le lien avec la lutte contre l’épidémie de covid-19.

Il peut également être relevé que les notices des décrets en débat précisent, quant à leur champ d’application, que :

« Ce décret vise à instaurer de manière exceptionnelle et temporaire, pendant la période comprise entre le 1er février et le 31 mai 2021, d’une part, la compensation sous la forme de la seule indemnisation des heures supplémentaires réalisées par certains agents affectés dans les établissements publics de santé et établissements publics locaux accueillant des personnes âgées ou handicapées relevant de la fonction publique hospitalière et, d’autre part, la majoration de la rémunération de celles-ci ».

Une fois encore, il peut être constaté que les auteurs de ce texte ont exclu une indemnisation générale à des taux majorés.

Enfin, il convient de mentionner la position exprimée par les services de l’Etat sur le sujet ; la seule à notre connaissance.

Dans une foire aux questions (FAQ) pour les agents hospitaliers sur les sujets RH récurrents [5], il est bien indiqué que :

« Il convient de souligner que les heures supplémentaires qui donnent droit à cette majoration exceptionnelle sont des heures réalisées dans le cadre et en lien avec la lutte de l’épidémie ».

Même si cette prise de position n’a évidemment pas la force d’une décision de justice, elle a le mérite d’apporter un éclairage sur la volonté du gouvernement.

En conclusion, il semble peu contestable que le pouvoir réglementaire a entendu conditionner l’indemnisation des heures supplémentaires majorées à l’exécution du service en lien avec la gestion de l’épidémie de covid-19, excluant par là-même une indemnisation généralisée.

Ce faisant, on peut déplorer qu’aucune précision ne soit donnée quant à ce qu’il convient d’entendre par des heures supplémentaires réalisées dans le cadre et en lien avec la lutte de l’épidémie.

Le lien peut en effet être plus ou moins direct (i.e. de l’affectation de l’agent en service covid au remplacement de personnels affectés par l’épidémie).

Il existe là une incertitude potentiellement source de contentieux, même s’il est raisonnable de penser qu’un lien direct soit exigé par les juridictions.

David Taron Avocat au Barreau de Versailles

[1Décret n°2020-718 du 11 juin 2020, décret n°2021-287 du 16 mars 2021, décret n°2022-502 du 7 avril 2022, décret n°2022-954 du 29 juin 2022.

[2FPH : majoration et indemnisation exceptionnelles des heures supplémentaires (unsa-fp.org).

[3TA Rouen, 7 octobre 2022, n°2202535. Requête jugée irrecevable néanmoins, la requête demandant le prononcé d’une injonction à titre principal.

[4Rappelons que les dérogations portent sur les deux points suivants : l’indemnisation plutôt que la compensation ; la majoration du taux horaire.

[5covid-19_faq_rh_janvier_2022.pdf (solidarites-sante.gouv.fr).