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Recrudescence des escroqueries financières - de l’épargne d’une vie au néant, quelques secondes suffisent... Par Charlyves Salagnon, Avocat.
Parution : jeudi 26 janvier 2023
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Représentant un préjudice de 500 millions d’euros par an, et inquiétant depuis plusieurs années les acteurs de régulation principaux que sont les Parquets, la DGCCRF, l’AMF ou l’ACPR, les escroqueries financières subsistent, et parviennent à se réinventer.

Dans une récente campagne d’avertissement conjointe, le Parquet de Paris, la DGCCRF, l’AMF ou l’ACPR invitaient une nouvelle fois à la plus grande prudence face aux confrontations désormais plus que fréquentes à diverses publicités et promotions d’un argent prétendument facile à gagner.

Bien que la prévention nécessaire dispensée en la matière s’accroisse, que les mises en garde thématiques se font plus récurrentes, et que de nombreuses listes noires d’acteurs non autorisés sont quotidiennement actualisées, ces escroqueries financières explosent.

Présentation du phénomène et des remèdes

Un phénomène protéiforme mais un mode opératoire similaire.

Il convient de dissocier les diverses plateformes financières de trading des sites dits « escrocs ». Pour les premières, elles permettent effectivement de réaliser dans un cadre donné des opérations d’achats et de ventes sur les marchés financiers, et visent un objectif de rendement à court terme en fonction des fluctuations de ces derniers. Pour les seconds, bien que très ressemblants, leurs objectifs sont malhonnêtes.

Prenons un cas d’école : à la suite d’une publicité ou une offre intéressante trouvée sur un moteur de recherche, ou un réseau social, un particulier souhaitant améliorer son placement peut être tenté de cliquer sur un site promettant de « forts rendements, sans aucun risque ».

Alors redirigé vers une page très soignée, mais souvent hébergée à l’étranger, notre petit investisseur sera invité à préciser tout un tas de données personnelles via des formulaires de contact, et parfois même d’y renseigner directement ses coordonnées bancaires.

Souvent, un conseiller lui fait rapidement suivre un appel ou un message visant à le rassurer sur son inscription et sur ses transactions à venir.

Pour ne pas tomber dans un piège, notre petit porteur décide de commencer par de raisonnables sommes, pour s’essayer. Bien entendu la première opération génère une plus-value, et lui redonne parfaite confiance lorsqu’il parvient à retirer ses gains.

Ce n’est que lorsque la mise augmente que les demandes de retrait s’avèrent impossibles, et que les interlocuteurs se volatilisent.

Notre neo-trader a perdu son pari, son argent aussi.

Quels sont les domaines les plus touchés ?

Ce schéma est transposable à toutes les branches spécifiques aux marchés financiers. Si les escroqueries les plus connues ont été progressivement abandonnées (offres de place de parkings dans les aéroports étrangers, de pseudo-containers, de diamants, de chambres d’Ehpad, etc), les escrocs explorent sans relâche de nouvelles applications à leur combine.

Ainsi, c’est aujourd’hui vers le Forex (Foreign Exchange) que s’oriente la tendance - en d’autres termes vers le marché où s’échangent les monnaies du monde entier sans interruption, et qui présente la particularité de ne pas être régulé (contrairement au marché d’actions). Il faut bien avoir à l’esprit que ce n’est pas le fait même de pouvoir spéculer sur les devises et leur taux de change qui consiste en soi une escroquerie, car il est en effet tout à fait possible d’agir sur ce marché et d’en retirer des gains substantiels.

Le délit commence là ou la liste des brokers Forex autorisés s’arrête, puisque les risques de vols d’argent et les fausses promesses (« marché facile d’accès pour les débutants » ; « rendements pharaoniques en une semaine seulement » ; « multipliez votre argent par 30 en un clic » …) se cumulent avec la complexité intrinsèque du marché financier.

Un phénomène en nette augmentation.

Le contexte de taux d’intérêts inférieurs à l’inflation renforce l’attractivité des leviers présentés par les escrocs. Sur ce point, il convient de préciser que pour un investisseur moyen, le taux d’intérêt représente un - et souvent le seul - indicateur déterminant de son arbitrage entre un placement ou un autre. Si ces taux bas sont attractifs pour la constitution de prêts, notamment vers l’investissement des ménages dans l’immobilier, les chiffres sont toutefois beaucoup moins avantageux pour les épargnants. Cette tendance de fond n’a de surcroît pas vocation à drastiquement évoluer, compte tenu de la politique actuelle des Banques Centrales, qui prônent la prudence avant une réelle reprise économique internationale.

Ainsi, lorsque le taux d’intérêt du Livret A est fixé à 1% au 1er Janvier 2022 par l’Etat, il est tout à fait raisonnable de tenter de trouver un placement financier plus lucratif. Conséquence logique de ce manque d’attractivité, tout intéressé effectuant quelques recherches ne manquera pas de tomber sur les taux significativement plus compétitifs proposés par les plateformes litigieuses.

La publicité de ces investissement se développe à vue d’œil sur les réseaux sociaux …

Les escroqueries se multiplient aujourd’hui en raison d’un comportement alors beaucoup plus actifs de leurs instigateurs.

En effet, les différents sites de placements frauduleux renforcent leur participation dans la publicité ou la communication plus générale, en s’attaquant aux réseaux sociaux. Les vitrines de la société sont aujourd’hui empruntées par ces nouveaux annonceurs, qui, à coup de slogans racoleurs, véhiculent des promesses aussi profitables qu’impossibles à tenir.

Encore plus efficaces grâce aux algorithmes qui orientent ces publicités vers un public particulier, les annonces de ces autoproclamés conseillers financiers providentiels ne manquent pas d’accroitre leur visibilité, et de diversifier leurs cibles.

Elle touchent désormais un plus large public.

A rebours des orientations jusqu’alors observées en la matière, les milléniaux (18-35 ans) sont désormais les plus touchés par ce phénomène. Souvent néophytes, ces « traders en herbe » croient tout apprendre d’un mentor guère plus âgé qu’eux, qui exhibe régulièrement et avec bien plus de transparence sa fortune que les risques liés aux spéculations qu’il promeut.

Plus qu’un panneau publicitaire, le réseau social constitue aujourd’hui une réelle source d’informations privilégiée des plus jeunes investisseurs, qui peinent à différencier les solutions vers une richesse assurée de la simple poudre aux yeux.

Pour reprendre l’exemple du Forex, ce sont plusieurs millions de publications (22,2 millions de photos avec le #forex sur Instagram), et plusieurs milliers de comptes spécialement dédiés qui tentent d’en vanter quotidiennement les mérites.

La jeune génération semble ainsi plus encline à la prise de risque que ses ainés, et plus adepte de cet idéal d’enrichissement rapide. Même si les sommes engagées sont souvent moindres (notamment parce que ce nouveau public ne dispose pas de la même épargne qu’un foyer plus âgé), les escrocs compensent par le nombre.

Des outils de prévention.

Au-delà des listes noires d’acteurs non autorisés établies par l’AMF, la DGCCRF dispose depuis la Loi n°2020-1508 du 3 décembre 2020 d’un nouvel outil d’injonction numérique. Ainsi, il lui est désormais possible d’ordonner l’affichage d’un message d’avertissement aux consommateurs qui se rendraient sur un site illicite non identifié, ou qui ne se serait pas conformé à une mesure d’injonction.

Les prérogatives vont parfois plus loin, avec une possibilité d’exiger le déréférencement de la plateforme, ou plus strictement, une mesure de blocage, transfert, ou suppression du nom de domaine. En parallèle, l’AMF peut également saisir la justice pour demander un blocage d’accès aux sites litigieux.

Bien que ces nouveaux outils permettent souvent des réactions efficaces face aux escroqueries, la célérité du numérique et la multiplicité des plateformes non autorisées empêchent le « parfait contrôle ».

Des outils d’indemnisation.

La recherche de l’indemnisation amène bien souvent l’investisseur trompé à s’orienter vers la justice civile.

Il peut en effet tenter d’engager la responsabilité contractuelle et délictuelle des différentes banques ayant participé aux opérations de transfert des fonds.

En effe, bien souvent, les escrocs et leurs sociétés fictives disparaissent rapidement.

La difficulté se renforce lorsque l’intermédiaire est étranger.

Il est alors possible d’engager la responsabilité des intermédiaires bancaires entre les parties prenantes.

En effet, en vertu du devoir de vigilance imposé aux établissements bancaires, leur responsabilité peut être mise en cause dans le cadre de telles escroqueries.

La « vigilance constante » à observer pour une banque, garantie par l’article L561-6 du Code monétaire et financier est d’abord instaurée dans une perspective de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elle est aujourd’hui étendue par le droit prétorien. Ainsi, la surveillance pèse sur l’ensemble des comptes, obligeant la banque à relever d’office les anomalies apparentes, en particulier dans le cadre de mouvements de fonds.

L’idée est donc d’abord d’appuyer sur une opération dont les conditions étaient anormales eu égard l’utilisation habituelle du compte bancaire de la victime.

En ce sens, il faut rechercher en quoi le devoir de surveillance du banquier fait défaut, pour engager sa responsabilité civile délictuelle, et obtenir le paiement de dommages et intérêts.

Parallèlement, lorsque les escrocs ont usé de comptes bancaires en France, il est possible d’engager la responsabilité de la banque ayant permis le bénéfice de tels services.

Cette faculté s’explique par un second devoir bancaire, garanti par l’article R312-2 du Code monétaire et financier, qui impose une vérification de l’identité et du domicile des individus à chaque ouverture de compte. Puisque les escrocs agissent souvent sous pseudonymes, la responsabilité de la banque peut être engagée si elle ne parvient pas à démontrer qu’elle a effectivement procédé aux contrôles préalables nécessaires.

Attention à la double arnaque !

Pour parachever cette spirale infernale, les escrocs créent parfois de faux services spécialisés pour accompagner les victimes de tels agissements !

Par exemple, plusieurs victimes affirment avoir été contactées par de faux conseillers de l’AMF, qui tentent notamment de récolter des données personnelles.

Ainsi, lorsqu’un investisseur ayant perdu son argent via ces escroqueries cherche à obtenir réparation, il n’est pas rare qu’il mandate un faux cabinet d’avocat, ou un pseudo-médiateur, qui, loin de lui permettre de récupérer les sommes versées, contribuera à l’accroissement de ses pertes.

La vigilance est donc le maître mot que doit garder à l’esprit l’investisseur !

Charlyves Salagnon, Avocat Associé (Cabinet BRG Nantes-Paris) Avocat au Barreau de Nantes [->salagnon chez brg-avocats.fr]