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Résolution judiciaire du contrat pour inexécution : indifférence de la faute du débiteur. Par Nicolas Boullez, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.
Parution : lundi 30 janvier 2023
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Traditionnellement, la résolution judiciaire d’un contrat sanctionnait l’inexécution fautive d’une certaine gravité, imputable à l’une des parties. Tel n’est clairement plus le cas sous l’empire des textes nouveaux.

La chambre commerciale vient de rendre un arrêt important (Com. 18 janvier 2023, n° 21-16.812, arrêt promis à la publication) : dès lors qu’une partie n’a pas exécuté sa prestation, la résolution du contrat est encourue et la restitution de la contrepartie s’impose, même si le débiteur a été empêché par la crise sanitaire de remplir ses obligations. Reste à savoir si les première et troisième chambres civiles suivront le mouvement.

L’espèce est banale en contexte de crise sanitaire (Com. 18 janvier 2023, n° 21-16.812).

En février 2020, un établissement d’hôtellerie-restauration avait conclu avec un traiteur, un contrat emportant diverses prestations de restauration à servir pendant le déroulement d’un salon professionnel qui devait se tenir en mars 2021. Un acompte assez important est réglé par l’hôtel. Le salon est d’abord reporté, puis annulé en raison de l’impossibilité de le tenir liée au contexte sanitaire. En juin 2021, l’établissement hôtelier met le traiteur en demeure de lui restituer l’acompte versé. Le traiteur refuse, faute de résolution du contrat.

L’hôtel assigne le traiteur en paiement et, en appel, les juges du second degré le déboute de ses demandes. La cour d’appel retient que même si l’inexécution de la prestation de traiteur est totale, elle n’est pas fautive (c’est le salon qui a annulé l’évènement en raison de la covid-19), de sorte que la résolution ne peut être prononcée et l’acompte restitué à l’hôtel. Celui-ci se pourvoit en cassation.

Cassation est prononcée par la chambre commerciale, au triple visa des articles 1217, 1227 et 1229 du Code civil, triptyque de textes nouveaux : la résolution du contrat peut être prononcée, en toute hypothèse, dès lors qu’une partie n’a pas, de manière suffisamment grave, exécuté son obligation, peu important qu’aucun manquement ne puisse lui être reproché. La résolution est ainsi désormais clairement détachée de la faute et peut être prononcée, toutes les fois qu’une partie n’a pas exécuté son obligation.

La résolution constitue donc une arme encore plus redoutable que par le passé dans les mains de la pratique. Dès l’instant qu’une inexécution suffisamment grave est relevée, la résolution peut être demandée en justice, indépendamment de toute faute, et les restitutions consécutives s’ensuivront. Il s’agit ainsi d’une voie particulièrement efficace pour forcer un contractant à restituer un acompte, quand même l’inexécution proviendrait du fait d’un tiers, voire de la force majeure.

Quid de la force majeure dans tout ça ? La question a été évitée au niveau de la cassation, alors que l’établissement hôtelier avait tenté de s’en prévaloir devant la cour d’appel. Son argumentation sur ce point était cependant vouée à l’échec, car la Cour de cassation a posé depuis longtemps (et récemment rappelé, cf. Civ. 3ème, 30 juin 2022, pourvois n° 21-20.127, 21-20.190 et 21-19.889) que le jeu de la force majeure ne peut profiter qu’au débiteur de la prestation inexécutée et non pas au créancier. Les textes nouveaux commandent également un tel unilatéralisme de la force majeure, les articles 1218 et 1351 du Code civil ne visant la libération que du seul débiteur.

Quels conseils donc à donner aux praticiens ?

Dans l’hypothèse d’inexécution suffisamment grave d’une obligation, l’arme de la résolution est le plus sûr moyen de parvenir aux restitutions consécutives à son prononcé, puisqu’elle est désormais clairement détachée de tout contexte fautif.

C’est d’ailleurs la seule voie qui s’offre au créancier de l’obligation inexécutée, sauf pour lui à réintroduire la faute du débiteur s’il entend obtenir une indemnisation en sus de la restitution escomptée de la résolution.

Du côté du débiteur, le jeu de la force majeure peut être invoqué en contexte de crise sanitaire - même si l’on connaît les réticences de la jurisprudence à l’admettre -, ce qui lui permettra d’échapper à ses obligations sans devoir indemniser le créancier, mais sans doute pas de conserver l’acompte qui aurait pu lui être versé, l’article 1218 du Code civil ayant généralisé le mécanisme de la résolution de plein droit au jeu de la force majeure, ce qui entraîne sans doute des restitutions réciproques.

Nicolas Boullez, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, www.avocat-boullez.fr